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Sénégal : une frange de la presse manipulée 

10 novembre 2024

Temps de lecture : 8 minutes
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Sénégal : une frange de la presse manipulée 

Temps de lecture : 8 minutes

La percée numérique a entrainé de profonds bouleversements dans beaucoup de secteurs d’activités dont celui des médias. Journalistes, parlementaires ou populations livrent leur part de vérité tout en dénonçant les mauvaises pratiques d’une frange de la presse manipulée au Sénégal

L’offre de formation en journalisme au Sénégal

Le Séné­gal est l’un des pays pio­nniers en matière de for­ma­tion en jour­nal­isme en Afrique fran­coph­o­ne avec la créa­tion du Cen­tre d’Etudes des Sci­ences et Tech­niques de l’information (CESTI) en 1965 par le gou­verne­ment du Séné­gal avec l’appui de l’Unesco, des coopéra­tions cana­di­enne et française. Le Ces­ti est une école publique, qui forme au Diplôme spé­cial­isé en jour­nal­isme et com­mu­ni­ca­tion (DSJC). La for­ma­tion ini­tiale s’étend sur trois années et com­porte un enseigne­ment général, une for­ma­tion pra­tique pro­fes­sion­nelle et des spé­cial­i­sa­tions en Radio, en Télévi­sion, en Presse écrite et en Web jour­nal­isme à par­tir de la 3ème année. Le CESTI garde tou­jours son cachet panafricain avec des étu­di­ants issus du Séné­gal, du Bénin, du Camer­oun, du Niger, de Dji­bouti, de la Côte d’Ivoire, du Gabon, du Mali, de la Guinée, de la Mau­ri­tanie, du Togo et du Con­go Brazzaville.

Dérives de la presse Sénégalaise

Aujourd’hui, force est de con­stater que nous vivons dans un monde numérisé, un monde dans lequel, pra­tique­ment, tout peut-être dénaturé. « C’est regret­table et déplorable. De plus en plus, on remar­que que la presse sert de tri­bune à n’importe quel aven­turi­er. En effet, pour des ques­tions d’argent ou de règle­ment de compte, cer­tains respon­s­ables d’organes de presse offrent leurs colonnes ou leurs micros à des gens mal civil­isés pour régler des comptes » déplore avec force Mbag­nick Diouf, Directeur des pro­grammes de la radio oxygènes de Pikine. A l’en croire, « cer­taines rédac­tions devi­en­nent des rings où tous les coups sont per­mis avec des insultes, des injures, des men­aces et autres invec­tives » dit-il. Pour notre inter­locu­teur, « c’est un précé­dent dan­gereux qui peut être source de conflits ».

Envahissement des réseaux sociaux dans l’espace médiatique Sénégalais

Les réseaux soci­aux sont indexés avec des con­séquences néfastes. « La neu­tral­ité dans le traite­ment des infor­ma­tions n’est pas à l’ordre du jour » se plaint le jour­nal­iste Mbag­nick Diouf. De son côté, Madame Fall enseignante est d’avis « qu’on doit dif­férenci­er les médias et les réseaux soci­aux ». Elle con­state de nom­breuses con­séquences et, elle se plaint du mutisme des autorités. Le jour­nal­iste Mbag­nick Diouf partage aus­si son avis en indi­quant « qu’il faut faire la nuance entre les médias et les réseaux soci­aux qui envahissent l’espace médi­a­tique ». Et d’alerter : « nom­breux sont ceux qui pensent que média égale réseaux soci­aux et vice-ver­sa. C’est facile de régle­menter les médias clas­siques mais dif­fi­cile pour les réseaux sociaux ».

Une manipulation des sites ou réseaux sociaux

Pour le jour­nal­iste Mbag­nick Diouf, « la manip­u­la­tion est le plus sou­vent remar­quée du côté des sites inter­net ou réseaux soci­aux et peut-être dans cer­tains médias clas­siques ». Selon lui, « ceux qui s’adonnent à cette pra­tique met­tent au-devant leurs intérêts qui peu­vent être financiers, poli­tiques ou autres ». Il fait remar­quer que « le monde est à l’ère du numérique qui capte l’attention de beau­coup de per­son­nes ». Et de se plain­dre : « la vitesse dont les fake news cir­cu­lent est extra­or­di­naire ». Il exhorte à chercher les orig­ines dans la course aux scoops, dans la con­cur­rence déloyale ou la mau­vaise foi.

Comment lutter contre la désinformation ?

« Il faut favoris­er l’introspection au niveau indi­vidu­el et col­lec­tif en met­tant tout le monde devant ses respon­s­abil­ités » con­seille l’Ancien Par­lemen­taire Séné­galais Abdoulaye Ndi­aye. Aus­si, dit-il, « la créa­tion de mécan­ismes de régu­la­tion s’impose et cela per­me­t­trait de cor­riger les insuff­i­sances notées çà et là ». Selon lui, « les médias ont l’obligation de se res­saisir en se con­for­mant aux règles d’éthique et déontologie ».

Non à la désinformation et la mésinformation

Par rap­port à l’avenir des medias, l’ancien par­lemen­taire de la CEDEAO Abdoulaye Ndi­aye fait remar­quer que « les médias séné­galais se sont déval­orisés dans leur grande majorité ». S’ils revi­en­nent à de meilleurs sen­ti­ments, notre inter­locu­teur est d’avis « qu’il est clair que les pos­si­bil­ités d’aller plus loin vont s’offrir, surtout avec le numérique ». Toute­fois, tient-il à pré­cis­er « les patrons de même que les rédac­tions doivent com­pren­dre que l’information est sacrée et qu’il est de leur devoir de pren­dre très au sérieux la mis­sion ». Pour l’ancien par­lemen­taire de la CEDEAO, « la dés­in­for­ma­tion et la més­in­for­ma­tion ne doivent plus être de mise dans la pra­tique quo­ti­di­enne ». La dés­in­for­ma­tion est une infor­ma­tion qui est fausse, et la per­son­ne qui la dif­fuse sait qu’elle est fausse. Tan­dis que la més­in­for­ma­tion se dis­tingue de la qual­ité du jour­nal­isme et de la cir­cu­la­tion d’informations fiables, con­formes aux normes et à l’éthique pro­fes­sion­nelle. Cepen­dant, la més­in­for­ma­tion et ses effets ne sont pas nou­veaux, mais sont devenus de plus en plus puis­sants, car ils sont ali­men­tés par les nou­velles tech­nolo­gies et la dif­fu­sion rapi­de en ligne. La més­in­for­ma­tion numérique, dans des con­textes de polar­i­sa­tion, risque d’éclipser le jour­nal­isme de qualité.

La presse écrite sénégalaise et ses dérives

Avec la démoc­ra­ti­sa­tion, l’affirmation de la lib­erté d’expression, la glob­al­i­sa­tion et les inno­va­tions tech­nologiques, les médias séné­galais ont tra­ver­sé une révo­lu­tion au cours des deux dernières décen­nies. Dans le domaine de la presse écrite, l’offre s’est con­sid­érable­ment diver­si­fiée, tant dans le nom­bre que dans les con­tenus. Les lignes édi­to­ri­ales sont plus volon­tiers cri­tiques et les jour­naux se sont éman­cipés de la tra­di­tion colo­niale, dévelop­pant des car­ac­téris­tiques forte­ment « locales ». Des jour­naux à sen­sa­tion ont fait leur appari­tion, témoins des change­ments soci­aux au sein de la pop­u­la­tion, surtout urbaine. La presse écrite séné­galaise se trou­ve néan­moins con­fron­tée à trois défis : poli­tique d’abord, la lib­erté d’expression n’est pas com­plète ; économique ensuite, la rentabil­ité n’est pas au ren­dez-vous ; enfin, la pro­fes­sion­nal­i­sa­tion des rédac­tions est encore incer­taine. Cette con­tri­bu­tion com­mence par dis­cuter de ces dif­férents aspects, avant de mon­tr­er que des acteurs externes, com­merçants et hommes poli­tiques, utilisent ces défail­lances à leur avan­tage. De ce fait, l’informalité et des pra­tiques illé­gales, fraude, cor­rup­tion et vio­lence mar­quent la presse séné­galaise de manière sig­ni­fica­tive. Jusqu’à présent, ces dimen­sions sont restées large­ment inaperçues des chercheurs.

Une presse ancienne et dynamique

La presse du Séné­gal est la plus anci­enne de l’Afrique de l’Ouest fran­coph­o­ne. Jouis­sant de la loi française de 1881 sur la lib­erté de la presse, des com­merçants métis de Saint-Louis pub­li­aient dès la fin du xixe siè­cle des feuilles comme Le Réveil du Séné­gal ou Le petit Séné­galais. L’élite colo­niale séné­galaise util­i­sait déjà les médias à la veille des élec­tions lég­isla­tives de 1910. Ain­si, Blaise Diagne, qui devint en 1914 le pre­mier député noir de l’Assemblée nationale française, avait l’appui de La Démoc­ra­tie du Séné­gal. À côté de ces feuilles à ori­en­ta­tion poli­tique et économique, exis­taient égale­ment des jour­naux liés aux cer­cles mis­sion­naires, comme Échos d’Afrique noire (1948–1960) et Afrique Nou­velle (1945–1987). Après la Sec­onde Guerre mon­di­ale, quand l’hégémonie française com­mença à s’effriter, l’élite séné­galaise acquit un rôle poli­tique plus grand, dans l’exercice duquel elle util­isa la presse écrite. On pour­rait évo­quer par exem­ple le jour­nal La Con­di­tion humaine, fondé en 1948 par le futur prési­dent du pays, Léopold Sedar Sen­g­hor. Après l’indépendance, Paris-Dakar (1933–1961) devint Dakar Matin (1961–1970), puis il fut bien­tôt mis à dis­po­si­tion du gou­verne­ment et rebap­tisé Le Soleil. Feu Sen­g­hor fai­sait de l’« unité nationale » sa pri­or­ité et il n’autorisa ni une oppo­si­tion ni des mass médias indépen­dants. Il ne put certes jamais sup­primer com­plète­ment la presse cri­tique, mais ce n’est qu’avec l’avènement du mul­ti­par­tisme, au milieu des années 1970, qu’un cli­mat plus libéral s’installa très pro­gres­sive­ment. Des jour­naux clan­des­tins, comme L’Écho du Séné­gal (créé en 1964) ou Xare­bi (1969), parurent au grand jour et de nou­veaux titres comme Le Démoc­rate (1974) ou Pro­mo­tion (1976) furent créés.

Le suc­cesseur de Sen­g­hor, Abdou Diouf, au pou­voir entre 1981 et 2000, plaça sa poli­tique médi­a­tique dans la con­ti­nu­ité de celle de son prédécesseur, mais mal­gré les sanc­tions régulières dont cer­tains jour­naux furent vic­times, les années 1980 furent mar­quées par une libéral­i­sa­tion irré­press­ible du secteur avec des jour­naux comme Takusaan (1983) ou Wal Fad­jri (1984), Sud Mag­a­zine (1986), Le Cafard libéré (1988), Sud Heb­do (1988) ou Le Témoin (1990).

Ironie du sort, Abdou Diouf fut vic­time de sa pro­pre poli­tique d’ouverture médi­a­tique lors de l’élection prési­den­tielle de 2000. En effet, les médias ont con­tribué à l’émergence d’une con­science citoyenne et « ont joué un rôle déter­mi­nant dans la trans­parence du scrutin », con­tribuant ain­si à la vic­toire de l’opposition menée par Abdoulaye Wade.

Mal­gré cette pléthore de titres, le secteur tra­verse une crise grave, avec des jour­nal­istes agressés ou mis en prison. Ce pays, habituelle­ment cité en exem­ple en matière de respect du droit à la lib­erté d’expression, con­naît depuis un cer­tain temps, une dérive inquié­tante. Anto­nio Gram­sci dis­ait : « on dit sou­vent aujourd’hui qu’une crise se pro­duit lorsqu’un vieux monde tarde à dis­paraître et qu’un nou­veau monde peine à s’imposer ». Les médias clas­siques et « les nou­veaux médias » n’échappent pas à cette sit­u­a­tion. Ces acteurs tra­di­tion­nels du secteur médi­a­tique devi­en­nent de moins en moins résilients avec une presse de moins en moins suiv­ie et une presse en ligne qui peine à capter les oppor­tu­nités qui lui sont offertes. Au total, au Séné­gal, les médias ont con­tribué et con­tin­u­ent de jouer un rôle pri­mor­dial dans la gou­ver­nance, dans la trans­parence, dans les alter­nances trans­par­entes et sta­bles des régimes poli­tiques, comme le mon­trent les élec­tions prési­den­tielles de 2000, 2007,2012, et 2024.

Mapote Gaye

Cor­re­spon­dant OJIM Afrique

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