La percée numérique a entrainé de profonds bouleversements dans beaucoup de secteurs d’activités dont celui des médias. Journalistes, parlementaires ou populations livrent leur part de vérité tout en dénonçant les mauvaises pratiques d’une frange de la presse manipulée au Sénégal
L’offre de formation en journalisme au Sénégal
Le Sénégal est l’un des pays pionniers en matière de formation en journalisme en Afrique francophone avec la création du Centre d’Etudes des Sciences et Techniques de l’information (CESTI) en 1965 par le gouvernement du Sénégal avec l’appui de l’Unesco, des coopérations canadienne et française. Le Cesti est une école publique, qui forme au Diplôme spécialisé en journalisme et communication (DSJC). La formation initiale s’étend sur trois années et comporte un enseignement général, une formation pratique professionnelle et des spécialisations en Radio, en Télévision, en Presse écrite et en Web journalisme à partir de la 3ème année. Le CESTI garde toujours son cachet panafricain avec des étudiants issus du Sénégal, du Bénin, du Cameroun, du Niger, de Djibouti, de la Côte d’Ivoire, du Gabon, du Mali, de la Guinée, de la Mauritanie, du Togo et du Congo Brazzaville.
Dérives de la presse Sénégalaise
Aujourd’hui, force est de constater que nous vivons dans un monde numérisé, un monde dans lequel, pratiquement, tout peut-être dénaturé. « C’est regrettable et déplorable. De plus en plus, on remarque que la presse sert de tribune à n’importe quel aventurier. En effet, pour des questions d’argent ou de règlement de compte, certains responsables d’organes de presse offrent leurs colonnes ou leurs micros à des gens mal civilisés pour régler des comptes » déplore avec force Mbagnick Diouf, Directeur des programmes de la radio oxygènes de Pikine. A l’en croire, « certaines rédactions deviennent des rings où tous les coups sont permis avec des insultes, des injures, des menaces et autres invectives » dit-il. Pour notre interlocuteur, « c’est un précédent dangereux qui peut être source de conflits ».
Envahissement des réseaux sociaux dans l’espace médiatique Sénégalais
Les réseaux sociaux sont indexés avec des conséquences néfastes. « La neutralité dans le traitement des informations n’est pas à l’ordre du jour » se plaint le journaliste Mbagnick Diouf. De son côté, Madame Fall enseignante est d’avis « qu’on doit différencier les médias et les réseaux sociaux ». Elle constate de nombreuses conséquences et, elle se plaint du mutisme des autorités. Le journaliste Mbagnick Diouf partage aussi son avis en indiquant « qu’il faut faire la nuance entre les médias et les réseaux sociaux qui envahissent l’espace médiatique ». Et d’alerter : « nombreux sont ceux qui pensent que média égale réseaux sociaux et vice-versa. C’est facile de réglementer les médias classiques mais difficile pour les réseaux sociaux ».
Une manipulation des sites ou réseaux sociaux
Pour le journaliste Mbagnick Diouf, « la manipulation est le plus souvent remarquée du côté des sites internet ou réseaux sociaux et peut-être dans certains médias classiques ». Selon lui, « ceux qui s’adonnent à cette pratique mettent au-devant leurs intérêts qui peuvent être financiers, politiques ou autres ». Il fait remarquer que « le monde est à l’ère du numérique qui capte l’attention de beaucoup de personnes ». Et de se plaindre : « la vitesse dont les fake news circulent est extraordinaire ». Il exhorte à chercher les origines dans la course aux scoops, dans la concurrence déloyale ou la mauvaise foi.
Comment lutter contre la désinformation ?
« Il faut favoriser l’introspection au niveau individuel et collectif en mettant tout le monde devant ses responsabilités » conseille l’Ancien Parlementaire Sénégalais Abdoulaye Ndiaye. Aussi, dit-il, « la création de mécanismes de régulation s’impose et cela permettrait de corriger les insuffisances notées çà et là ». Selon lui, « les médias ont l’obligation de se ressaisir en se conformant aux règles d’éthique et déontologie ».
Non à la désinformation et la mésinformation
Par rapport à l’avenir des medias, l’ancien parlementaire de la CEDEAO Abdoulaye Ndiaye fait remarquer que « les médias sénégalais se sont dévalorisés dans leur grande majorité ». S’ils reviennent à de meilleurs sentiments, notre interlocuteur est d’avis « qu’il est clair que les possibilités d’aller plus loin vont s’offrir, surtout avec le numérique ». Toutefois, tient-il à préciser « les patrons de même que les rédactions doivent comprendre que l’information est sacrée et qu’il est de leur devoir de prendre très au sérieux la mission ». Pour l’ancien parlementaire de la CEDEAO, « la désinformation et la mésinformation ne doivent plus être de mise dans la pratique quotidienne ». La désinformation est une information qui est fausse, et la personne qui la diffuse sait qu’elle est fausse. Tandis que la mésinformation se distingue de la qualité du journalisme et de la circulation d’informations fiables, conformes aux normes et à l’éthique professionnelle. Cependant, la mésinformation et ses effets ne sont pas nouveaux, mais sont devenus de plus en plus puissants, car ils sont alimentés par les nouvelles technologies et la diffusion rapide en ligne. La mésinformation numérique, dans des contextes de polarisation, risque d’éclipser le journalisme de qualité.
La presse écrite sénégalaise et ses dérives
Avec la démocratisation, l’affirmation de la liberté d’expression, la globalisation et les innovations technologiques, les médias sénégalais ont traversé une révolution au cours des deux dernières décennies. Dans le domaine de la presse écrite, l’offre s’est considérablement diversifiée, tant dans le nombre que dans les contenus. Les lignes éditoriales sont plus volontiers critiques et les journaux se sont émancipés de la tradition coloniale, développant des caractéristiques fortement « locales ». Des journaux à sensation ont fait leur apparition, témoins des changements sociaux au sein de la population, surtout urbaine. La presse écrite sénégalaise se trouve néanmoins confrontée à trois défis : politique d’abord, la liberté d’expression n’est pas complète ; économique ensuite, la rentabilité n’est pas au rendez-vous ; enfin, la professionnalisation des rédactions est encore incertaine. Cette contribution commence par discuter de ces différents aspects, avant de montrer que des acteurs externes, commerçants et hommes politiques, utilisent ces défaillances à leur avantage. De ce fait, l’informalité et des pratiques illégales, fraude, corruption et violence marquent la presse sénégalaise de manière significative. Jusqu’à présent, ces dimensions sont restées largement inaperçues des chercheurs.
Une presse ancienne et dynamique
La presse du Sénégal est la plus ancienne de l’Afrique de l’Ouest francophone. Jouissant de la loi française de 1881 sur la liberté de la presse, des commerçants métis de Saint-Louis publiaient dès la fin du xixe siècle des feuilles comme Le Réveil du Sénégal ou Le petit Sénégalais. L’élite coloniale sénégalaise utilisait déjà les médias à la veille des élections législatives de 1910. Ainsi, Blaise Diagne, qui devint en 1914 le premier député noir de l’Assemblée nationale française, avait l’appui de La Démocratie du Sénégal. À côté de ces feuilles à orientation politique et économique, existaient également des journaux liés aux cercles missionnaires, comme Échos d’Afrique noire (1948–1960) et Afrique Nouvelle (1945–1987). Après la Seconde Guerre mondiale, quand l’hégémonie française commença à s’effriter, l’élite sénégalaise acquit un rôle politique plus grand, dans l’exercice duquel elle utilisa la presse écrite. On pourrait évoquer par exemple le journal La Condition humaine, fondé en 1948 par le futur président du pays, Léopold Sedar Senghor. Après l’indépendance, Paris-Dakar (1933–1961) devint Dakar Matin (1961–1970), puis il fut bientôt mis à disposition du gouvernement et rebaptisé Le Soleil. Feu Senghor faisait de l’« unité nationale » sa priorité et il n’autorisa ni une opposition ni des mass médias indépendants. Il ne put certes jamais supprimer complètement la presse critique, mais ce n’est qu’avec l’avènement du multipartisme, au milieu des années 1970, qu’un climat plus libéral s’installa très progressivement. Des journaux clandestins, comme L’Écho du Sénégal (créé en 1964) ou Xarebi (1969), parurent au grand jour et de nouveaux titres comme Le Démocrate (1974) ou Promotion (1976) furent créés.
Le successeur de Senghor, Abdou Diouf, au pouvoir entre 1981 et 2000, plaça sa politique médiatique dans la continuité de celle de son prédécesseur, mais malgré les sanctions régulières dont certains journaux furent victimes, les années 1980 furent marquées par une libéralisation irrépressible du secteur avec des journaux comme Takusaan (1983) ou Wal Fadjri (1984), Sud Magazine (1986), Le Cafard libéré (1988), Sud Hebdo (1988) ou Le Témoin (1990).
Ironie du sort, Abdou Diouf fut victime de sa propre politique d’ouverture médiatique lors de l’élection présidentielle de 2000. En effet, les médias ont contribué à l’émergence d’une conscience citoyenne et « ont joué un rôle déterminant dans la transparence du scrutin », contribuant ainsi à la victoire de l’opposition menée par Abdoulaye Wade.
Malgré cette pléthore de titres, le secteur traverse une crise grave, avec des journalistes agressés ou mis en prison. Ce pays, habituellement cité en exemple en matière de respect du droit à la liberté d’expression, connaît depuis un certain temps, une dérive inquiétante. Antonio Gramsci disait : « on dit souvent aujourd’hui qu’une crise se produit lorsqu’un vieux monde tarde à disparaître et qu’un nouveau monde peine à s’imposer ». Les médias classiques et « les nouveaux médias » n’échappent pas à cette situation. Ces acteurs traditionnels du secteur médiatique deviennent de moins en moins résilients avec une presse de moins en moins suivie et une presse en ligne qui peine à capter les opportunités qui lui sont offertes. Au total, au Sénégal, les médias ont contribué et continuent de jouer un rôle primordial dans la gouvernance, dans la transparence, dans les alternances transparentes et stables des régimes politiques, comme le montrent les élections présidentielles de 2000, 2007,2012, et 2024.
Mapote Gaye
Correspondant OJIM Afrique