Signe d’une crise grandissante, les titres de presse ont été deux fois plus nombreux en 2014 qu’en 2013 à faire appel à la générosité de leurs lecteurs, sous différentes formes. Souscriptions, financement participatif, voire augmentation de capital, la course aux financements alternatifs s’accélère. Sans représenter en général de solutions pérennes à même de régler le problème au fond. État des lieux.
Le quotidien communiste L’Humanité a lancé le 23 novembre un énième appel aux dons auprès de ses lecteurs. Objectif de la souscription: récolter un million d’euros. Il devrait être atteint au vu du résultat du précédent cru 2010–2011, qui avait ramené 1,2 million d’euros dans les caisses de L’Huma. En chute de diffusion de 18% depuis 2010 (DSH OJD 2013–2014 : 39 239 exemplaires), le journal sera en perte de près de trois millions d’euros cette année. L’Humanité n’est pas le seul titre à jouer sur la fibre sensible de ses lecteurs en faveur de la presse indépendante. C’est le credo des autres titres, en général de gauche ou assimilés, qui tendent aussi la sébile. Ainsi les hebdomadaires et mensuels satiriques Charlie hebdo et Sine hebdo ont lancé un appel début novembre. De façon plus modeste que pour L’Huma, il aurait permis à Charlie de récupérer 40 000 euros en une quinzaine de jours. Le mensuel anti libéral Alternatives économiques n’est pas en reste. Lui aussi a demandé à ses lecteurs de l’aide fin novembre pour fiancer notamment ses développements numériques. Les bons résultats en général engrangés sur ce canal ne sont pas uniquement dus au militantisme. Les dons sont défiscalisés (66% du montant) dans le cadre de l’association Presse & pluralisme qui collecte pour le compte des éditeurs. Ironie de la situation pour ces journaux marqués à gauche, ce dispositif a été mis en place en 2007 à la suite des Etats généraux de la presse, initié par Nicolas Sarkozy.
Le crowdfunding (financement participatif) est une autre alternative pour les supports exclus de Presse & pluralisme, réservé aux seuls supports d’information politique et générale. Par le biais du “love money” sur la toile, pure players et titres veulent aussi renforcer l’aspect communautaire très présent sur la toile. Le mensuel consacré à l’environnement durable Terra eco vient ainsi de lever 100 000 euros sur la plate-forme de financement participatif Ulule. Les salariés de Nice-Matin, désormais propriétaire du groupe au travers d’une Société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) sont même parvenus à récolter près de d’un demi-million d’euros en août. Seule contrepartie de leur élan de solidarité pour les internautes, des produits dérivés ou des places de spectacles.
L’Opinion, comme le mensuel patrimonial Le Revenu en 2008, s’inscrit lui dans une démarche de petit actionnariat en phase avec son ADN. Nicolas Beytout, le président du quotidien libéral, compte lever 2,5 millions d’euros dans le cadre du dispositif de la loi TEPA. Il permet également de défiscaliser une partie de ce montant.
Reste à savoir si le financement des particuliers peut constituer une voie d’avenir pour les sociétés de presse, à côté du système classique d’actionnariat, en général industriel. Qu’il s’agisse de combler des trous, comme à L’Humanité, où de financer de nouveaux développements, notamment numériques, ces solutions palliatives restent limitées dans les montants. De surcroît, les généreux donateurs ne tarderont pas à se lasser si de vraies réformes (diminutions de la masse salariale, refonte du contenu éditorial, vraies options stratégiques, etc…) ne sont pas menées dans ces médias à plus ou moins brève échéance.
Dessin : © Milady de Winter pour l’Ojim