Cela n’a pas traîné. Entre les six projets pour Radio France, le CSA a tranché par Sibyle Veil, directrice déléguée en charge des finances de Radio France depuis 2015, en tandem avec Laurent Guimier, actuel directeur des antennes. Le choix de la continuité ? Pas seulement. Car si Sibyle Veil est énarque et issue de la même promotion que Macron, il n’y a pas seulement la poulinière d’or de la caste politique qui les rapproche.
Un CSA en conseil très restreint
Olivier Schrameck ne s’est pas commis dans la nomination et n’est pas plus décidé à barrer la route à Macron qui place ses hommes à l’AFP, LCP-AN, Radio-France donc… seule Delphine Ernotte, de plus en plus contestée même si elle pâtit des lourdeurs internes et Marie-Christine Saragosse, débarquée par un imbroglio administratif puis reconduite par défaut, ont échappé au jeu de quilles. Depuis plusieurs semaines Schrameck est en effet « remplacé pour raisons de santé », tout comme Carole Bienaimé-Besse.
Des cinq conseillers restants (sur sept), quatre ont donné leur voix à Sibyle Veil le 12 avril. Une formation restreinte qui pourrait être illégale, relève la CGC-Médias, car rien ne prévoit cette formation restreinte pour entendre et surtout se prononcer sur les candidatures. 24 Heures Actu a fait un long papier sur la « procédure biaisée » qui a favorisé Sibyle Veil : « la procédure ressemble déjà à une mascarade. Les dés semblent jetés. L’Élysée joue en sous-main en faveur de Sibyle Veil, ancienne condisciple d’Emmanuel Macron à l’ENA. […] La nomination de Sibyle Veil à la tête de Radio France constitue un nouvel et édifiant exemple de népotisme au plus haut sommet de l’État. Et une trahison des engagements présidentiels : n’est-ce pas Emmanuel Macron lui-même qui préconisait “d’ouvrir” la société française, fustigeant cette “caste” de hauts fonctionnaires » qui se porte très bien, surtout lorsqu’elle est issue de la promotion ENA du président.
Retour de l’enarchie
Effectivement, la nomination de Sibyle Veil révèle un manque patent de renouvellement de la caste technocratique française, relève 24 Heures Actu : « Énarque, maître des requêtes au Conseil d’État, ancienne “directrice du pilotage de la transformation” de l’Assistance publique Hôpitaux de Paris puis conseillère “travail, santé, logement” à l’Élysée auprès de Nicolas Sarkozy, Sibyle Veil semble cocher toutes les cases de la technocratie française et aligne le CV typique des hauts fonctionnaires hexagonaux. Son expérience, indéniable, la prédispose-t-elle pour autant à prendre les rênes d’une maison aussi emblématique que Radio France ? Rien ne l’indique ».
Bref, on retrouve à quelques années d’intervalle les même biais et la même caste qui a propulsé Delphine Ernotte à France Télévisions. Avec le soutien de François Hollande et les résultats que l’on sait : audiences en berne, guerre improductive contre la « télévision d’hommes blancs de plus de cinquante ans », licenciements fracassants, chaîne d’information continue qui plafonne à 0,3% d’audience et coûte un bras, forte contestation interne, fichage, accusations de servilité politique… Bref, un epic fail aux frais du contribuable.
Le rôle clé de la promotion Senghor
Cela dit, cela n’a pas entravé l’ascension de « la favorite de l’Elysée » selon le Canard Enchaîné (18.04) qui enfonce le clou en citant un des membres du CSA : « Macron ne voulait plus de Matthieu Gallet et la voulait elle. En plus c’est une femme, elle a un nom prestigieux et elle n’est pas sotte ».
Pour ce qui est du nom prestigieux, la CGC-Médias relève que « Sibyle Petitjean devient le 30 septembre 2006 Madame Veil en épousant Sébastien Veil, petit-fils de Simone Veil ». Mais pas seulement. Il y a le rôle clé de la promotion Senghor, diplômée en 2004 et déjà présente à divers postes de responsabilités – dont le président. Mais aussi un ami du couple de Sibyle et Sébastien Veil, Mathias Vicherat, dircab de Bertrand Delanoë puis Anne Hidalgo à Paris, recruté en janvier 2017 à la SNCF dont il est le directeur général adjoint, chargé de la communication interne et externe. Et compagnon de Marie Drucker. La caste de l’entre-soi politico-médiatique, encore. Omniprésente.
« Dans les ministères du gouvernement Ayrault, une vingtaine de directeurs de cabinet, de sous-directeurs et de conseillers en sont issus. Certains occupent des postes prestigieux au sein de grandes institutions comme la Mutualité française ou le musée du quai Branly. Quelques-uns officient aux Nations unies ou dans des ambassades. D’autres encore, à la direction de grandes banques et de groupes d’assurance. Leurs noms ne sont pas connus du grand public mais ils constituent ce qu’il faut bien appeler un réseau de pouvoir en formation. Une constellation de figures en pleine ascension, dont rien ne permet de penser qu’elles s’arrêteront en si bon chemin », relève Vanity Fair (27/8/2014). Début avril 2018 un livre de Matthieu Larnaudie vient de paraître sur cette promo en or, sous le titre Les jeunes gens, enquête sur la promotion Senghor.
Des énarques contre l’ENA
C’est aussi la première promo qui ose se révolter contre sa formation : le jour de l’amphi-clôture, lorsque les élèves indiquent par ordre de classement le corps d’Etat qu’ils souhaitent intégrer, Marguerite Bérard, major, se lève et devant tout le monde remet une liasse de feuillets à la direction. « Sous le titre “ENA : l’urgence d’une réforme”, [le texte] dresse un état des lieux incendiaire des enseignements et de l’organisation de la digne institution et énumère les dysfonctionnements relevés par les étudiants au cours des années qu’ils viennent de passer entre Paris, Strasbourg et leurs stages dans l’administration. Tous les membres de la promotion l’ont signé », relate Vanity Fair.
Pas vraiment ce qu’on attend des promus de l’ENA : « Qu’ils remercient l’État pour leur formation en respectant les us, coutumes et représentants de la hiérarchie républicaine. En somme, qu’ils la ferment. L’élite ne doit pas s’en prendre à l’élite. Pour l’avoir fait, la promo Senghor est restée à part dans l’histoire de l’ENA ». Rien ne bougera – si ce n’est que les élèves recevront une lettre de Renaud Dutreil, alors ministre de la Fonction Publique, pour les rappeler à leur devoir de réserve, mais cet acte novateur a‑t-il pu préfigurer l’impatience d’une génération dont certains membres – Macron en tête – dynamiteront le jeu politique et le verrouillage des responsabilités moins de quinze ans plus tard ?
Sibyle Veil : un mari encore plus proche de Macron
Sibyle Veil a conseillé le président Macron avec son mari, Sébastien Veil. Celui-ci, issu de la même promotion Senghor, est « l’ex-conseiller de Nicolas Sarkozy à l’Elysée sur les sujets d’emploi et de formation professionnelle, directeur au bureau parisien du fonds Advent International », relève la Lettre de l’Expansion (12/12/2016). Il « conseille Emmanuel Macron sur les questions de politique culturelle et de communication depuis donc la toute fin d’année 2016 », continue la publication.
« Il ne paraît pas intéressé par la lumière. Hormis un compliment sur un camarade, il a refusé que l’on cite le moindre de ses propos, même le moins compromettant. Pour lui, le pouvoir ne semble qu’une donnée factuelle et non l’objet d’une convoitise », relevait Vanity Fair à son sujet en 2014. Cela dit, la très grande proximité avec Macron et le couple politico-médiatique formé par Sibyle Veil à Radio-France et son mari auprès de Macron interroge.
Vincent Jauvert, auteur des Intouchables d’Etat – Bienvenue en Macronie paru début janvier 2018 va plus loin : « le vrai nouveau sujet, ce sont […] les nombreux conflits d’intérêts que l’on observe au sommet du pouvoir, particulièrement depuis l’élection d’Emmanuel Macron ». Et de s’interroger sur « ces curieux couples de pouvoir, dont l’un des membres est au gouvernement, pendant que l’autre siège à la tête d’une puissante administration d’Etat ou pantoufle dans un groupe privé ». Le sujet n’est guère nouveau – le problème fleurit au moins depuis l’époque Sarkozy, si ce n’est avant – mais les dysfonctionnements, eux, se multiplient et deviennent de plus en plus coûteux. Sauf aux protagonistes de la caste, parfois pris la main dans le sac comme Agnès Saal, et toujours recasés, promus, jamais condamnés à payer les pots cassés. Ça, c’est pour le contribuable, pas besoin de sortir de l’ENA pour vider son portefeuille.
Et comme pour Matthieu Gallet, les conseillers vont encore coûter cher
Bis repetita (non) placent. Comme pour son prédécesseur Matthieu Gallet dont les factures de conseil auprès de Roland Berger Strategy et Denis Pingaud ont coûté cher au contribuable et ont fini par lui coûter cher, Sibyle Veil fait aussi travailler la caste en se payant des conseillers de luxe. Et leur entregent. Comme si le poste de son mari et le fait d’être de la même promotion de l’ENA que le président, enfin que « Jupiter », ne suffit pas ?
Sibyle Veil est ainsi conseillée par son ancien chef à l’Elysée Raymond Soubie, relève La lettre de l’Expansion (26.03). Mais aussi par Véronique Reille-Soult, patronne de Dentsu Consulting. Problème, « Dentsu Consulting est aussi en contrat avec Radio France pour la gestion des achats médias », relève 24 heures Actu. Un mélange des genres – doublé d’une impression désolante que l’histoire bégaie – qui n’a fait trembler ni le CSA, ni Jupiter.