C’est le slogan du bimensuel de société, fondé en 2015 par So Press. Une entreprise d’édition qui possède aussi So Foot et So Film. Entre autres. Le magazine est dirigé par Franck Annesse, auparavant rédacteur en chef de So Foot, assisté de deux rédacteurs en chef en la personne de Marc Beaugé et Stéphane Régy. Beaugé étant par ailleurs un habitué de Canal+ mais aussi de l’émission Quotidien de TMC. Une cinquantaine de personnes émargent au comité de rédaction, sans compter photographes, illustrateurs et directeurs artistiques. Society, c’est une grosse mécanique, qui apparaît avec le recul de 2017 comme très macroniquement assimilée. Ou intégrée. Au choix. Une centaine de pages, un petit prix, moins de 4 euros. Society, magazine « en liberté » ?
Bienvenue chez les « hipsters » ?
C’est par ce terme alors jugé méprisant par le directeur de la publication que Libération parlait de Society en juillet 2015, après en avoir salué la naissance dès le mois de mars. Quoi qu’en dise son directeur de publication, Society ne peut se départir de son image de magazine « hipe ». Ce qu’il est — et a été dès le berceau. Dans la corbeille de naissance, il y avait de l’argent. Beaucoup d’argent : le démarrage s’est effectué, selon les dires de ses animateurs, avec un peu plus d’un million d’euros. Lors de sa sortie, Society a été salué par Challenges comme un magazine courageusement « décalé », à l’instar de So Foot. Les objectifs affirmés étaient de donner un coup de vieux à L’Express, au Point ou à L’Obs. Ce qui en soi n’était pas si compliqué, et sans doute suffisait-il de s’y coller. Il s’agissait aussi de sembler décalé en affirmant la nécessité, malgré les apparences liées au web, d’une actualité racontée sur papier. Un magazine gauchement « réac », ou bien de bonne famille parisiano-bobo pour parler en langage décodé ? Le magazine du courage social-libertaire dépoussiéré enfin ! On se demande pourquoi Macron n’y a pas posé nu en pages centrales. Reste que Society est en marche sur les plates bandes des Inrocks, visant les nouveaux jeunes, vingtenaires et trentenaires. Il est vrai que le lectorat des Inrocks approche de la retraite. Plus dans l’air du temps, le magazine des nouveaux jeunes bobos affirme se vendre à 50 000 exemplaires par mois.
Hipe et bobo, c’est Society !
S’adressant à un public plutôt jeune, plutôt de garçons (même si cela devient compliqué en époque d’apologie des gender studies), plutôt cultivé, plutôt cool, plutôt startuper et plutôt multiculturel dans l’âme, Society est incontestablement hipe et bobo, ses Unes et sa maquette offrant même une sorte de caricature de ce positionnement. La preuve ? Society appelait dès sa naissance à écouter France Inter, lire les nouveautés de chez Gallimard et baiser par Tinder interposé. Fun, mode, Society. Si Bourmeau et Demorand n’étaient pas si âgés, ils traineraient assurément par-là. Entre deux bises à Patrick Cohen, Léa Salamé ou Christine Angot. Mais ces personnalités sont toutes trop vieilles, le lectorat de Society est plus ancré dans le Paris à la mode, celui des communicants et nocturnambules ayant porté un Macron au pouvoir.
Allez, on ose : on plonge dans les pages récentes de Society
Semaine du 14 au 27 septembre 2017. Que trouve-t-on en Une ? Un peu de Merkel à l’approche des élections en Allemagne (Society a toujours mis de vieilles têtes en Une, par souci de décalage, à commencer par Fillon lors de son premier numéro), un peu de titres accrocheurs histoire de faire frissonner dans le salon d’épilation pour hommes (« Francs-Maçons, fichtre ils sont même dans Society ! », « Gare au gourou — Mamma Ebe, la guérisseuse qui fait scandale en Italie » ou « Sang, Mafia et cagoules »). Que du bon goût, un peu comme les Unes actuelles de Libération. Le lecteur s’attend à des tremblements, il tourne les pages, reluque les photos, s’arrête sur titres et intertitres, et… reste coi. Society est déjà devenu un truc de vieux. À moins de l’avoir toujours été. Un peu comme Macron. Le reportage photo sur la franc-maçonnerie fait peine à voir, et celui sur la guérisseuse qui « ne guérissait pas » tout en prétendant « avoir rencontré Jésus » semble tout droit sorti d’un exemplaire vintage des Inrocks, années 90 du siècle passé. Ou bien de sa nouvelle formule, c’est du pareil au même.
Un mot sur Bruno Roger-Petit quand même
Macron en a fait son homme de main communicationnel, sans doute dans l’espoir d’éviter la multiplication de formules du type « Yes, la meuf est dead » au sujet de l’une ou l’autre personnalité ayant façonné la France. Society en fait un fromage — pardon, un reportage. La photo qui ouvre ces pages semble tirée des archives d’un arrière-grand-père pré-68. C’est Bruno Roger-Petit, sur un fauteuil en cuir élimé. Le journaliste de l’Élysée caresse son chat d’une main distraite, comme pour nous indiquer combien devenir la voix de son maître n’est pas si déontologiquement détestable. Les jaloux ont beaucoup glosé mais c’est lui qui y est, na ! Fallait y croire et voguer dans le bon sens au bon moment. Leçon de courtisanerie. Tout comme le reportage, lequel n’apprendra pas grand-chose à son lecteur, sinon que Society est sans doute l’un des rares médias à avoir publié un article aussi complaisant au sujet de la nomination de Bruno Roger-Petit comme porte-parole de la présidence de la République. Un article narcissique, ce qui ne surprendra pas un président qui s’y connaît en la matière.
Et un autre mot sur Delphine Ernotte
Une vraie société il n’y a pas à dire, que ce Society. Des pages qui ressemblent à un restaurant du centre de Paris, on y est bien. Entre soi. Bien sûr, on lance parfois quelques piques. Ernotte profite de la rentrée médiatique, par exemple, pour casser un peu de sucre sur Pujadas. Un événement d’une telle ampleur, d’une telle provocation, ce ne pouvait être que dans Society. C’est donc aussi à la Une de ce numéro de rentrée. Pauvre Pujadas, avec tout le mal qu’il s’est donné pour aider Emmanuel Macron à être élu, être si peu récompensé par sa direction… Et même, être ainsi étrillé par madame Ernotte, dont les accointances avec le nouveau chef de l’État sont de notoriété publique — de longue date. Mais bon… on ne va pas mégoter sur le fait que France Télévisions ait été dirigée, durant les élections présidentielles, par une fan du futur président, la France n’est quand même pas une république bananière. Sur les généralités, un extrait suffira : « Je pense qu’il y a deux télévisions comme il y a deux France. Une pour Paris, les urbains, les classes plus favorisées, qui d’ailleurs ne la regardent plus tellement ; puis une autre pour une France périphérique et pour laquelle elle a une utilité sociale. Et ce lien social, c’est notre mission. Tenez, je regardais Cyril Hanouna hier. Je me disais : “Malgré tout, ce type est quand même doué, il a compris quelque chose” ». On aura saisi : un média public comme France Télévisions pourrait bien ramener les bouseux dans le droit chemin. Quant à Pujadas, si son départ de France 2 s’est mal passé, c’est parce que c’est un homme. Madame Ernotte est de longue date préoccupée par le machisme indécrottable des mâles blancs. On ne se refait pas. En tout cas, c’est cela qui est bien avec Society, on découvre la face cachée d’un journaliste tel que Pujadas. Et honnêtement, nous n’aurions pas cru que ce journaliste était à ce point réactionnaire — si Society et Ernotte ne nous avait pas avertis du danger.
Une fois refermées les pages de ce bimensuel, que reste-t-il ? Pas grand-chose. Le vide qui semble s’emparer peu à peu des « milieux » médiatiques et culturels peut-être, ce même vide qui conduit des Ernotte, BRP ou Emmanuel Macron dans des fauteuils de direction ?