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Le site d’information de Solidarność fermé sous la pression des syndicats français

9 mars 2022

Temps de lecture : 7 minutes
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Le site d’information de Solidarność fermé sous la pression des syndicats français

Temps de lecture : 7 minutes

Un syndicaliste défend un autre syndicaliste, un syndicat défend un autre syndicat, c’est ce que dit le sens commun. Sauf en France où des syndicats ont obtenu la fermeture du site d’information en français du syndicat polonais Solidarność, héros de la chute du communisme en Pologne.

Où sont les dissidents ?

Tysol.fr n’est plus. Le site en français de l’hebdomadaire du légendaire syn­di­cat polon­ais Sol­i­darność, ou Sol­i­dar­ité, n’est plus acces­si­ble depuis le ven­dre­di 4 mars 2022. L’ironie de l’histoire aura voulu que la fer­me­ture de ce site d’information dis­si­dent, par rap­port aux médias de la bien-pen­sance qui domi­nent presque sans partage au pays de Voltaire, inter­vi­enne la semaine où plusieurs médias russ­es classés « indépen­dants » ou « d’opposition », telle la radio Écho de Moscou, ont été con­traint de sus­pendre ou cess­er défini­tive­ment leur activ­ité pour avoir par­lé de la guerre en Ukraine d’une manière non con­forme au dis­cours officiel.

Les dis­si­dents sont-ils à l’ouest, se demandait récem­ment le rédac­teur en chef du site tysol.fr, Patrick Édery, dans un de ses édi­to­ri­aux qui n’est plus acces­si­ble aujourd’hui. En fait il sem­blerait bien que les dis­si­dents sont aujourd’hui à l’ouest comme à l’est, malheureusement.

Pression des syndicats français

Car si tysol.fr a été fer­mé par son pro­prié­taire, le syn­di­cat Sol­i­dar­ité, tout porte à croire que c’est sous la pres­sion des syn­di­cats français, tous de gauche ou d’extrême gauche. Cette infor­ma­tion nous est con­fir­mée par Patrick Édery, qui nous a cepen­dant expliqué que la rai­son « offi­cielle » qui lui a été com­mu­niquée, c’est une « restruc­tura­tion ». Pen­dant que le site en français était sup­primé, tysol.pl, le site d’information de l’hebdomadaire Tygod­nik Sol­i­darność, ouvrait un site en langue ukraini­enne, guerre en Ukraine oblige.

Le rôle des syn­di­cats français ne fait cepen­dant que peu de doute dans cette déci­sion. En effet, Le Monde s’était fait le relais, le 15 décem­bre dernier, des pres­sions exer­cées par la CFDT, la CFTC, la CGT, FO et l’UNSA. « Cinq syn­di­cats français cri­tiquent Sol­i­darność pour sa com­plai­sance à l’égard de Marine Le Pen et d’Éric Zem­mour », titrait alors le jour­nal de référence de la gauche libérale lib­er­taire française. Co-signé de la plume de son cor­re­spon­dant à Varso­vie, Jakub Iwa­niuk, cet arti­cle expo­sait les raisons de la colère :

« Le tor­chon brûle entre cinq organ­i­sa­tions de salariés français­es et Sol­i­darność. La CFDT, la CFTC, la CGT, FO et l’UNSA reprochent à la direc­tion du mythique syn­di­cat polon­ais, qui fut l’acteur prin­ci­pal de la chute du com­mu­nisme dans le pays et dans tout le bloc de l’Est, sa com­plai­sance extrême à l’égard de Marine Le Pen et d’Éric Zem­mour. Comme l’a révélé l’agence de presse AEF, elles vien­nent de saisir la Con­fédéra­tion européenne des syn­di­cats (CES) afin que celle-ci se posi­tionne sur l’attitude à adopter, l’une des options pos­si­bles étant de sus­pendre, voire d’exclure, Sol­i­darność de l’organisation inter­na­tionale. Sol­lic­itée par Le Monde, la CES a déclaré, lun­di 13 décem­bre, que les pro­tag­o­nistes seront audi­tion­nés afin de « clar­i­fi­er les faits » et d’« iden­ti­fi­er des solu­tions ». Cet avis de tem­pête survient après plusieurs arti­cles parus récem­ment dans des organes de presse du syn­di­cat polon­ais – dont l’hebdomadaire Tygod­nik Sol­i­darność. Dans son édi­tion du 23 novem­bre, ce jour­nal met à la « une » Mme Le Pen, tout sourire et présen­tée sous son meilleur jour. »

La colère de la CFDT

Plus loin, on peut lire que la présen­ta­tion sous un angle posi­tif des idées de Marine Le Pen et Éric Zem­mour dans des arti­cles ou édi­to­ri­aux pub­liés sur tysol.fr aurait « ulcéré » Lau­rent Berg­er, le secré­taire général de la CFDT. « À tel point que le secré­taire général de la CFDT a envoyé une let­tre, le 29 novem­bre, à Piotr Duda, le prési­dent de Sol­i­darność, pour lui livr­er le fond de sa pen­sée. Le « posi­tion­nement » de Tysol est « igno­ble », écrit M. Berg­er. « Nous sommes révoltés de voir en France le nom de Sol­i­darność servir d’alibi pour l’extrême droite, une trahi­son du com­bat que la CFDT a mené à vos côtés, il y a quar­ante ans », pour­suit le leader cédétiste, en faisant allu­sion au sou­tien apporté par sa con­fédéra­tion au mou­ve­ment polon­ais, quand celui-ci fut vic­time de la loi mar­tiale instau­rée, le 13 décem­bre 1981, par le général Jaruzel­s­ki. »

Et celle de la CGT

Autre ironie de l’histoire, Philippe Mar­tinez, le chef du syn­di­cat com­mu­niste CGT, a lui aus­si écrit au chef de Sol­i­darność – tou­jours d’après ce qu’on peut lire dans cet arti­cle du Monde – pour lui dire : « Votre posi­tion­nement actuel est (…) une insulte à celui que vous adop­tiez il y a quar­ante ans. »

Réponse faite au Monde par le porte-parole de Sol­i­darność : « Il n’y a pas de “valeurs com­munes” à la CES, au sein de laque­lle nous sommes sys­té­ma­tique­ment ostracisés. Il y est ques­tion de social­isme ou de valeurs gauchistes qui ne sont pas les nôtres, con­traire­ment, par exem­ple, à l’enseignement social de l’Église catholique, qui est, depuis le début, au cœur de valeurs de Sol­i­darność. »

Le 16 décem­bre, Patrick Édery lançait l’alerte dans un édi­to­r­i­al inti­t­ulé « Les syn­di­cats de gou­verne­ment français deman­dent notre fer­me­ture ! ». « Ce que récla­ment, dans les faits, ces syn­di­cats », écrivait alors ce Français instal­lé en Pologne, qui ani­mait le site Tysol.fr de manière bénév­ole, « c’est la fer­me­ture de notre média français Tysol et la cen­sure du pre­mier média indépen­dant dans l’ex-bloc sovié­tique : Tygod­nik Sol­i­darność. » Et de pour­suiv­re : « Si nous ne nous soumet­tons pas à leur chan­tage, ils exi­gent l’exclusion du plus légendaire des syn­di­cats européens, celui qui a abat­tu la dic­tature com­mu­niste. Ces syn­di­cats s’attaquent aux deux prin­ci­pales insti­tu­tions polon­ais­es qui ont com­bat­tu pour rétablir la lib­erté d’expression et la démoc­ra­tie dans le pays de Jean-Paul II. Ils cri­tiquent le « par­ti pris poli­tique » de Tysol France, celui-ci étant con­traire aux valeurs et « au principe d’indépendance du mou­ve­ment syn­di­cal ». Est-ce cette indépen­dance qui a poussé ces syn­di­cats français à appel­er à ne pas vot­er Le Pen ? Est-ce cette indépen­dance qui les a poussés à appel­er à vot­er Mit­ter­rand ? Ou est-ce leur déférence à l’é­gard des élites pro­gres­sistes ? »

« La CGT de Mar­tinez, elle, il y a 40 ans était financée par l’URSS. Pen­dant que les mem­bres de Sol­i­darność se fai­saient arrêter, tor­tur­er, assas­sin­er, elle était du côté des bour­reaux, de la dic­tature », rap­pelait encore Édery dans son édi­to­r­i­al, et « Sol­i­darność, con­traire­ment aux syn­di­cats français, n’a pas tourné le dos aux class­es pop­u­laires pour pou­voir se soumet­tre au pro­gres­sisme. Nous, nous avons exacte­ment les mêmes idées qu’il y a 40 ans, quand notre syn­di­cat chré­tien, anti-com­mu­niste, anti­marx­iste, anti-lénin­iste, anti-trot­skiste, anti-maoïste, anti-stal­in­iste, exigeait la sou­veraineté de la nation polon­aise, pour que son peu­ple puisse instau­r­er la démoc­ra­tie. »

Les journalistes polonais protestent

Le 4 févri­er, l’association des jour­nal­istes polon­ais SDP (Sto­warzysze­nie Dzi­en­nikarzy Pol­s­kich), qui compte dans ses rangs d’anciens dis­si­dents au com­mu­nisme, pub­li­ait un com­mu­niqué pour dire « son indig­na­tion face à la réac­tion de la direc­tion des syn­di­cats français à la pub­li­ca­tion d’une inter­view dans Tygod­nik Soli­darność avec la can­di­date à l’élection prési­den­tielle française Marine Le Pen, ain­si qu’à l’in­for­ma­tion selon laque­lle cet heb­do­madaire pos­sède un site en langue française ». Dans leur com­mu­niqué, les jour­nal­istes polon­ais expri­maient leur « ferme protes­ta­tion con­tre une telle ten­ta­tive de vio­la­tion du principe de la lib­erté d’ex­pres­sion » et rap­pelaient que « punir un syn­di­cat pour le fait que son heb­do­madaire a pub­lié une inter­view et exploite un site web dans une langue étrangère est con­traire au principe de lib­erté d’ex­pres­sion de tout État démoc­ra­tique ».

Mal­heureuse­ment, minori­taire au sein des instances syn­di­cales européennes, il sem­blerait que le syn­di­cat polon­ais qui a su résis­ter au com­mu­nisme dans le passé n’ait pas fait preuve cette fois d’un grand courage. Alors que son site en langue française ne lui coû­tait qua­si­ment rien, puisque les auteurs et con­tribu­teurs tra­vail­laient aus­si pour la plu­part en bénév­oles, il a fait savoir le lun­di 28 févri­er 2022, un an exacte­ment après sa mise en ligne, que la direc­tion de Sol­i­dar­ité avait décidé de fer­mer son site d’information et d’opinion en langue française. Cela nous fait donc une voix dis­si­dente en moins dans l’Hexagone, grâce à cer­tains syn­di­cats français.

Voir aus­si : Péti­tion, Non à la fer­me­ture de Tysol France

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