Un syndicaliste défend un autre syndicaliste, un syndicat défend un autre syndicat, c’est ce que dit le sens commun. Sauf en France où des syndicats ont obtenu la fermeture du site d’information en français du syndicat polonais Solidarność, héros de la chute du communisme en Pologne.
Où sont les dissidents ?
Tysol.fr n’est plus. Le site en français de l’hebdomadaire du légendaire syndicat polonais Solidarność, ou Solidarité, n’est plus accessible depuis le vendredi 4 mars 2022. L’ironie de l’histoire aura voulu que la fermeture de ce site d’information dissident, par rapport aux médias de la bien-pensance qui dominent presque sans partage au pays de Voltaire, intervienne la semaine où plusieurs médias russes classés « indépendants » ou « d’opposition », telle la radio Écho de Moscou, ont été contraint de suspendre ou cesser définitivement leur activité pour avoir parlé de la guerre en Ukraine d’une manière non conforme au discours officiel.
Les dissidents sont-ils à l’ouest, se demandait récemment le rédacteur en chef du site tysol.fr, Patrick Édery, dans un de ses éditoriaux qui n’est plus accessible aujourd’hui. En fait il semblerait bien que les dissidents sont aujourd’hui à l’ouest comme à l’est, malheureusement.
Pression des syndicats français
Car si tysol.fr a été fermé par son propriétaire, le syndicat Solidarité, tout porte à croire que c’est sous la pression des syndicats français, tous de gauche ou d’extrême gauche. Cette information nous est confirmée par Patrick Édery, qui nous a cependant expliqué que la raison « officielle » qui lui a été communiquée, c’est une « restructuration ». Pendant que le site en français était supprimé, tysol.pl, le site d’information de l’hebdomadaire Tygodnik Solidarność, ouvrait un site en langue ukrainienne, guerre en Ukraine oblige.
Le rôle des syndicats français ne fait cependant que peu de doute dans cette décision. En effet, Le Monde s’était fait le relais, le 15 décembre dernier, des pressions exercées par la CFDT, la CFTC, la CGT, FO et l’UNSA. « Cinq syndicats français critiquent Solidarność pour sa complaisance à l’égard de Marine Le Pen et d’Éric Zemmour », titrait alors le journal de référence de la gauche libérale libertaire française. Co-signé de la plume de son correspondant à Varsovie, Jakub Iwaniuk, cet article exposait les raisons de la colère :
« Le torchon brûle entre cinq organisations de salariés françaises et Solidarność. La CFDT, la CFTC, la CGT, FO et l’UNSA reprochent à la direction du mythique syndicat polonais, qui fut l’acteur principal de la chute du communisme dans le pays et dans tout le bloc de l’Est, sa complaisance extrême à l’égard de Marine Le Pen et d’Éric Zemmour. Comme l’a révélé l’agence de presse AEF, elles viennent de saisir la Confédération européenne des syndicats (CES) afin que celle-ci se positionne sur l’attitude à adopter, l’une des options possibles étant de suspendre, voire d’exclure, Solidarność de l’organisation internationale. Sollicitée par Le Monde, la CES a déclaré, lundi 13 décembre, que les protagonistes seront auditionnés afin de « clarifier les faits » et d’« identifier des solutions ». Cet avis de tempête survient après plusieurs articles parus récemment dans des organes de presse du syndicat polonais – dont l’hebdomadaire Tygodnik Solidarność. Dans son édition du 23 novembre, ce journal met à la « une » Mme Le Pen, tout sourire et présentée sous son meilleur jour. »
La colère de la CFDT
Plus loin, on peut lire que la présentation sous un angle positif des idées de Marine Le Pen et Éric Zemmour dans des articles ou éditoriaux publiés sur tysol.fr aurait « ulcéré » Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT. « À tel point que le secrétaire général de la CFDT a envoyé une lettre, le 29 novembre, à Piotr Duda, le président de Solidarność, pour lui livrer le fond de sa pensée. Le « positionnement » de Tysol est « ignoble », écrit M. Berger. « Nous sommes révoltés de voir en France le nom de Solidarność servir d’alibi pour l’extrême droite, une trahison du combat que la CFDT a mené à vos côtés, il y a quarante ans », poursuit le leader cédétiste, en faisant allusion au soutien apporté par sa confédération au mouvement polonais, quand celui-ci fut victime de la loi martiale instaurée, le 13 décembre 1981, par le général Jaruzelski. »
Et celle de la CGT
Autre ironie de l’histoire, Philippe Martinez, le chef du syndicat communiste CGT, a lui aussi écrit au chef de Solidarność – toujours d’après ce qu’on peut lire dans cet article du Monde – pour lui dire : « Votre positionnement actuel est (…) une insulte à celui que vous adoptiez il y a quarante ans. »
Réponse faite au Monde par le porte-parole de Solidarność : « Il n’y a pas de “valeurs communes” à la CES, au sein de laquelle nous sommes systématiquement ostracisés. Il y est question de socialisme ou de valeurs gauchistes qui ne sont pas les nôtres, contrairement, par exemple, à l’enseignement social de l’Église catholique, qui est, depuis le début, au cœur de valeurs de Solidarność. »
Le 16 décembre, Patrick Édery lançait l’alerte dans un éditorial intitulé « Les syndicats de gouvernement français demandent notre fermeture ! ». « Ce que réclament, dans les faits, ces syndicats », écrivait alors ce Français installé en Pologne, qui animait le site Tysol.fr de manière bénévole, « c’est la fermeture de notre média français Tysol et la censure du premier média indépendant dans l’ex-bloc soviétique : Tygodnik Solidarność. » Et de poursuivre : « Si nous ne nous soumettons pas à leur chantage, ils exigent l’exclusion du plus légendaire des syndicats européens, celui qui a abattu la dictature communiste. Ces syndicats s’attaquent aux deux principales institutions polonaises qui ont combattu pour rétablir la liberté d’expression et la démocratie dans le pays de Jean-Paul II. Ils critiquent le « parti pris politique » de Tysol France, celui-ci étant contraire aux valeurs et « au principe d’indépendance du mouvement syndical ». Est-ce cette indépendance qui a poussé ces syndicats français à appeler à ne pas voter Le Pen ? Est-ce cette indépendance qui les a poussés à appeler à voter Mitterrand ? Ou est-ce leur déférence à l’égard des élites progressistes ? »
« La CGT de Martinez, elle, il y a 40 ans était financée par l’URSS. Pendant que les membres de Solidarność se faisaient arrêter, torturer, assassiner, elle était du côté des bourreaux, de la dictature », rappelait encore Édery dans son éditorial, et « Solidarność, contrairement aux syndicats français, n’a pas tourné le dos aux classes populaires pour pouvoir se soumettre au progressisme. Nous, nous avons exactement les mêmes idées qu’il y a 40 ans, quand notre syndicat chrétien, anti-communiste, antimarxiste, anti-léniniste, anti-trotskiste, anti-maoïste, anti-staliniste, exigeait la souveraineté de la nation polonaise, pour que son peuple puisse instaurer la démocratie. »
Les journalistes polonais protestent
Le 4 février, l’association des journalistes polonais SDP (Stowarzyszenie Dziennikarzy Polskich), qui compte dans ses rangs d’anciens dissidents au communisme, publiait un communiqué pour dire « son indignation face à la réaction de la direction des syndicats français à la publication d’une interview dans Tygodnik Solidarność avec la candidate à l’élection présidentielle française Marine Le Pen, ainsi qu’à l’information selon laquelle cet hebdomadaire possède un site en langue française ». Dans leur communiqué, les journalistes polonais exprimaient leur « ferme protestation contre une telle tentative de violation du principe de la liberté d’expression » et rappelaient que « punir un syndicat pour le fait que son hebdomadaire a publié une interview et exploite un site web dans une langue étrangère est contraire au principe de liberté d’expression de tout État démocratique ».
Malheureusement, minoritaire au sein des instances syndicales européennes, il semblerait que le syndicat polonais qui a su résister au communisme dans le passé n’ait pas fait preuve cette fois d’un grand courage. Alors que son site en langue française ne lui coûtait quasiment rien, puisque les auteurs et contributeurs travaillaient aussi pour la plupart en bénévoles, il a fait savoir le lundi 28 février 2022, un an exactement après sa mise en ligne, que la direction de Solidarité avait décidé de fermer son site d’information et d’opinion en langue française. Cela nous fait donc une voix dissidente en moins dans l’Hexagone, grâce à certains syndicats français.
Voir aussi : Pétition, Non à la fermeture de Tysol France