Le groupe Wirtualna Polska Holding (« Pologne virtuelle ») qui gère le site Internet le plus visité en Pologne, wp.pl, compte depuis le 8 novembre une représentante du fonds d’investissement sorosien Media Development Inverstment Fund (MDIF) à son conseil de surveillance. Après avoir pris pied dans la presse quotidienne (depuis 2016) puis étendu son influence dans la radio (depuis 2019) en Pologne, la famille Soros a fait son entrée au début du mois d’octobre au capital de Wirtualna Polska. La somme investie est certes modeste, pour le moment, avec 6 millions de zlotys pour 0,2 % des actions, mais le but est noble : « soutenir l’indépendance des médias ».
Un groupe polono-américain
Si bien que les dirigeants de Wirtualna Polska Holding, un groupe à capital polonais, ont choisi de vendre des actions au fond d’investissement américain en dessous de leur valeur réelle, selon leur communiqué. « Dans ce cas, cependant, il est beaucoup plus important pour nous, en tant que propriétaires, de trouver un partenaire qui nous soutiendra dans la défense de la liberté des médias en Pologne. Le paquet de contrôle reste entre des mains polonaises », a déclaré Jacek Świderski, le président de Wirtualna Polska Holding.
Le MDIF de Soros en première ligne
« Le MDIF soutient les médias libres dans le monde entier, car ils sont le fondement de la démocratie et l’épine dorsale de la société civile. Ils jouent un rôle essentiel en mettant en lumière les actions des personnes au pouvoir – quel que soit leur parti – et en les obligeant à rendre des comptes aux citoyens. WP est l’un des plus grands médias de Pologne. Nous apprécions sa position et la qualité de son journalisme, ainsi que la grande importance des récentes publications d’investigation pour le marché polonais. Cet investissement témoigne de l’engagement constant de MDIF pour protéger les médias indépendants sur le marché polonais », a déclaré de son côté Harlan Mandel, le PDG de MDIF.
D’une manière générale, ainsi qu’on peut le lire sur le site du fonds d’investissement sorosien, « Le MDIF fournit des financements par emprunt et par capitaux propres, assortis de conseils stratégiques, aux médias indépendants dans les pays où l’accès à des nouvelles et à des informations fiables est menacé. »
En juin dernier, le rédacteur en chef du site Wirtualna Polska et son collègue d’Onet avaient publié des éditoriaux dénonçant des pressions dont ils auraient fait l’objet de la part du gouvernement de Mateusz Morawiecki pour infléchir leur ligne éditoriale, qui est à la fois progressiste et ouvertement hostile aux conservateurs du PiS et à la droite souverainiste et pro-vie.
Les deux premiers sites polonais sont progressistes
Onet.pl est en compétition avec Wirtualna Polska pour le titre de site le plus visité. En septembre 2023, wp.pl a eu 8 120 412 visiteurs uniques contre 7.686 090 pour onet.pl. Les deux sites ont une ligne éditoriale similaire. Onet appartient au groupe médiatique germano-suisse Ringier Axel Springer. Ce groupe médiatique est également propriétaire du tabloïde Fakt, qui est le quotidien le plus vendu en Pologne, ainsi que de l’hebdomadaire Newsweek Polska, numéro un dans le segment des hebdomadaires d’actualité et d’opinion.
Des médias favorables à Donald Tusk
Ce sont autant de médias favorables à la coalition des libéraux et de la gauche qui est en train de se mettre en place sous la direction de l’ancien premier ministre et ancien président du Conseil européen Donald Tusk après les élections du 15 octobre. Le partie Droit et Justice et ses alliés de la coalition Droite unie ne disposent en effet plus d’une majorité suffisante à la Diète pour continuer à gouverner.
Dans le domaine des sites Internet d’information, le groupe Wirtualna Polska Holding est également propriétaire d’o2.pl, le numéro 5 des sites Internet d’information en septembre avec 2 113 614 visiteurs uniques. Le numéro 4, Gazeta.pl, avec ses 3 078 162 visiteurs uniques en septembre, appartient au journal Gazeta Wyborcza du groupe Agora, où, rappelons-le, le MDIF sorosien est également actionnaire. Le numéro 3, interia.pl, appartient au groupe de télévision Polsat, à capitaux polonais, dont la ligne est moins férocement engagée contre les conservateurs du PiS et moins ouvertement en faveur des libéraux et de la gauche que les médias d’Agora et ceux de Ringier Axel Springer, mais qui reste malgré tout plutôt libérale-libertaire et pro-UE.
L’américain Warner Bros est de la partie
On notera au passage qu’avec le groupe de télévision TVN, propriété de l’Américain Warner Bros. Discovery, qui est, lui, très engagé contre le PiS depuis des années (comme les médias du groupe Agora) et la télévision publique qui devrait bientôt repasser sous le contrôle des amis de Donald Tusk, le paysage audiovisuel polonais va bientôt redevenir assez monocorde, comme avant l’arrivée des conservateurs au pouvoir en 2015.
La presse quotidienne n’est pas indemne
Il n’en sera pas autrement du côté de la presse papier quotidienne. Après les deux tabloïds de tête (Fakt du groupe Ringier Axel Springer et Super Express, à capitaux polonais), on a, dans l’ordre du nombre d’exemplaires vendus, le journal Gazeta Wyborcza du groupe Agora et le journal Rzeczpospolita du groupe Gremi Media, deux groupes médiatiques où les sociétés et fonds sorosiens ont pris des participations. Dans le cas de Gremi Media, propriétaire des quotidiens Rzeczpospolita et Parkiet, la société néerlandaise Pluralis BV, détenue par des fonds sorosiens, dont MDIF, est même le plus gros actionnaire. La rédaction en chef de Rzeczpospolita a changé à la fin du mois d’août, quand Pluralis a étendu son influence sur Gremi Media, à l’approche des élections parlementaires polonaises du 15 octobre.
Au printemps, Pluralis avait lancé une opération de crowdfunding en Allemagne par le biais de la GLS Bank afin de s’opposer à une « vague de conquête des médias » par les gouvernements d’Europe centrale. En Pologne, cela faisait référence au rachat de la presse régionale par la compagnie pétrolière Orlen.
Une indépendance très dépendante
En fait d’indépendance, alors que le groupe Wirtualna Polska Holding compte désormais au sein de son conseil de surveillance une certaine Joanna Różycka-Iwan qui est « chief investement officer » (responsable des investissements au niveau mondial) de MDIF, cette même dame est aussi au conseil de surveillance de Gremi Media et du groupe de radio Eurozet, racheté par Agora en 2019. Eurozet est notamment propriétaire de Radio Zet, numéro 2 de la radio en Pologne. L’autre racheteur d’Eurozet en 2019, aux côtés d’Agora, c’était la société tchèque SFS Ventures dont un important actionnaire est la société américaine Salvatorska Ventures LCC appartenant aussi au fonds sorosien MDIF. La représentante du MDIF au sein de Wirtualna Polska est aussi au conseil de surveillance de Gremi Media aux côtés du Hongrois Zoltán Varga, propriétaire de médias hongrois gaucho-libertaires et grand critique de Viktor Orbán (Pluralis lui a revendu une partie de ses actions fin août), ainsi que d’un certain Grzegorz Kossakowski, un Polonais qui a passé plus de vingt ans au sein du groupe Agora.
En fait de médias indépendants, on a donc plutôt affaire à des médias interdépendants au sein d’un même réseau.
Une autre illustration de cette supposée indépendance des médias anti-gouvernementaux (plus pour longtemps, car ils redeviendront bientôt pro-gouvernementaux avec le retour de Tusk au pouvoir), c’est la lettre envoyée par le PDG du groupe Rigier Axel Springer aux journalistes de ses médias polonais en mars 2017. Une lettre dans laquelle il enjoignait ses journalistes de soutenir Donald Tusk et la voie d’une intégration toujours plus poussée de l’UE, contre « les populistes qui ont traîné l’UE dans la boue », les populistes en question étant bien entendu les conservateurs au pouvoir en Pologne. Inutile de préciser que les médias sorosiens et ceux du groupe germano-suisse sont tous pro-avortement et soutenaient les grandes mais éphémères manifestations pro-avortement de la fin 2020.
Les médias du monde libéral libertaire en position dominante
À côté de ces grands groupes, les médias conservateurs en Pologne font plutôt figure de nains appauvris, alors que ce sont toujours les conservateurs qui sont au pouvoir depuis maintenant 8 ans. Mateusz Morawiecki s’est en effet vu confier par le président Andrzej Duda la mission de former un nouveau gouvernement, les listes du PiS étant malgré tout arrivées en tête aux élections du 15 octobre. On sait cependant qu’il n’a quasiment aucune chance d’y arriver, faute d’alliés.
Si nous n’entendrons bientôt plus parler dans les grands médias français des menaces contre la liberté de la presse et contre le pluralisme médiatique en Pologne, c’est pourtant maintenant qu’il ya le plus de soucis à ce faire, les groupes médiatiques les plus puissants et les mieux financés en Pologne étant déjà tous du côté du prochain gouvernement de Donald Tusk.