L’annonce est tombée en novembre 2021 et la transaction avait été divisée en deux tranches qui ont été réalisées respectivement en décembre et au début du mois de janvier 2022. La société néerlandaise Pluralis B.V., qui compte parmi ses investisseurs les fonds sorosiens Media Development Investment Fund (MDIF) et Soros Economic Development Fund (SEDF), devait racheter à l’homme d’affaires polonais Grzegorz Hajdarowicz, proche de la Plateforme civique (PO) de Donald Tusk, des parts de son groupe de presse comprenant notamment le prestigieux quotidien Rzeczpospolita (La République).
Extension du domaine Soros
Avec le rachat début février d’actions de KCI SA par la société Gremi International – deux sociétés du Polonais Hajdarowicz –, la transaction annoncée en novembre dernier avec les fonds sorosiens est arrivée à son terme. KCI détient aujourd’hui 33,81 % du capital et 42,7 % des droits de vote à l’assemblée générale de Gremi Media, propriétaire du quotidien Rzeczpospolita ainsi que du quotidien économique et financier Parkiet, du mensuel d’histoire Uważam Rze Historia et de plusieurs sites Internet d’information. La société Pluralis détient quant à elle 40 % des actions et 37,6 % des droits de vote.
On assiste donc à une nouvelle extension de l’influence du spéculateur américain George Soros dans les médias polonais après son entrée en 2016 dans le capital d’Agora, détenteur, entre autres médias, du quotidien Gazeta Wyborcza, puis le rachat en 2019 par Agora du groupe polonais Eurozet, propriétaire de plusieurs stations de radio ainsi que d’un studio de production de radio et de télévision.
L’Observatoire du Journalisme a déjà évoqué très brièvement ce rachat de Rzeczpospolita « par Soros » en décrivant la manière dont « Tysol (Solidarność) dénonce l’impunité de George Soros ».
Le fonds MDIF se vante d’investir dans les pays où la liberté médiatique est menacée. Pourtant, en 2011, quand Grzegorz Hajdarowicz avait racheté Rzeczpospolita avec le soutien du gouvernement de Donald Tusk pour procéder à sa reprise en main et faire taire ses critiques, notamment en ce qui concernait la gestion par Tusk de l’enquête sur la catastrophe de Smolensk, MDIF et même toute la nébuleuse sorosienne, très présente en Pologne par le biais des fondations et ONG, n’avait rien dit.
Avant son rachat par cet homme d’affaires proche du parti de Donald Tusk, 51 % des parts du propriétaire de Rzeczpospolita appartenaient au Britannique Mecom Group et 49 % des parts à l’État polonais qui avait un pouvoir de blocage des décisions stratégiques, ce qui lui a permis d’exercer des pressions sur Mecom pour le contraindre à revendre ses parts à Hajdarowicz. Le groupe que rachetait ce dernier était largement plus gros que les journaux qu’il possédait déjà, mais il a semble-t-il bénéficié de facilités financières de la part du gouvernement de Tusk qui lui a aussi revendu les parts de l’État à crédit. L’opération avait été menée au moyen d’un appel d’offres taillé sur mesure, semble-t-il, pour l’ami du pouvoir et après avoir rejeté les offres d’autres investisseurs, y compris celle de Mecom Group qui s’obstinait à refuser de changer de rédacteur en chef malgré les pressions du gouvernement de Donald Tusk. L’offre de Mecom portait sur 110 millions de zlotys pour le rachat des 49 % de parts de l’État polonais que Hajdarowicz a finalement pu racheter pour moitié moins.
Épuration au journal alors hostile au libéral libertaire Tusk
Immédiatement après le rachat de Rzeczpospolita par Hajdarowicz, le rédacteur en chef du journal, Paweł Lisicki (aujourd’hui rédacteur en chef de l’hebdomadaire Do Rzeczy) et tous les journalistes trop critiques à l’égard du gouvernement de Donald Tusk ont dû faire leurs adieux au journal (voir à ce sujet : « Quand Donald Tusk, ‘président de l’Europe’, muselait la presse d’opposition »).
Depuis, Rzeczpospolita est donc resté la propriété de l’homme d’affaires polonais Grzegorz Hajdarowicz qui, ne bénéficiant plus depuis l’arrivée au pouvoir du PiS en 2015 du soutien financier de l’État, a donc aujourd’hui choisi de faire entrer une société financée par les fonds de George Soros au capital de son groupe médiatique.
Rzeczpospolita est sur une ligne libérale, moins progressiste que Gazeta Wyborcza, européiste mais moins fanatiquement également que ce premier journal soutenu par les fonds sorosiens depuis 2016, et également critique des gouvernements du PiS et aligné sur l’opposition libérale, mais de manière malgré tout nettement moins engagée que Gazeta Wyborcza, ce qui lui confère une plus grande crédibilité.
« L’acquisition des actions par Pluralis B.V. assurera, avec une diversification plus complète de la propriété de Gremi Media, la compétence et l’expertise garanties par de grands investisseurs internationaux dans le domaine des médias, tout en permettant à la direction actuelle de conserver le contrôle opérationnel », pouvait-on lire dans un communiqué publié sur le site de Rzeczpospolita après la transaction.
Pro UE, pro OTAN, pro marché
« La situation sur le marché polonais des médias est de plus en plus difficile. Le poids de la politique se fait de plus en plus sentir et a un impact négatif. Rzeczpospolita et Parkiet restent en dehors des principales lignes de partage de la vie politique polonaise, mais ils ont une boussole de valeurs claire – défense du libre marché, protection de la propriété privée, respect des droits de l’homme et des droits civiques au sens de l’Europe occidentale, soutien à l’adhésion de la Pologne à l’Union européenne et à l’OTAN. Tout le monde n’aime pas ça. J’ai essayé de trouver des partenaires économiquement forts en Pologne, prêts à cofinancer les titres détenus par Gremi. Le résultat a été moins que satisfaisant. En outre, je me suis heurté à une tentative de rachat hostile des droits sur les titres, sous des prétextes absurdes. Heureusement, la tentative a échoué », a déclaré de son côté Grzegorz Hajdarowicz.
En parlant de tentative de rachat hostile, Hajdarowicz faisait sans doute allusion à l’intérêt porté à son groupe médiatique par la compagnie pétrolière polonaise Orlen, qui a déjà racheté en 2020 les journaux locaux détenus par Polska Press, propriété de la société allemande Verlagsgruppe Passau (voir : « Des médias polonais moins allemands, les médias français choqués »).