Il dit « croire à la controverse rationnelle, à la contradiction pluraliste et […] penser] utile de débattre, même avec des interlocuteurs situés radicalement à l’opposé de [s]es idées. » Malgré la grande ouverture d’esprit dont il se targue, Laurent Joffrin quitte la chaîne CNews pour protester contre les « méthodes employées » par Vincent Bolloré au JDD.
C’est une lettre déchirante qu’a adressée Laurent Joffrin à la poignée de lecteurs de son site d’informations en ligne Le Journal.info : le 31 août, l’ancien patron de Libération et du Nouvel Obs a expliqué les raisons de son départ de CNews, chaîne appartenant au groupe Vivendi de Vincent Bolloré, où il intervenait régulièrement.
Joffrin : chevalier blanc d’une presse supposée pluraliste
Laurent Joffrin le jure : tout au long de sa carrière au Nouvel Observateur et à Libération, l’ancien rédacteur-en-chef de 71 ans a contribué à promouvoir le pluralisme au sein de ses colonnes. « J’ai […] participé de près à l’élaboration chartes internes qui garantissaient un traitement équilibré de l’information dans les articles courants », a‑t-il expliqué sur son nouvel outil d’informations. Si la pluralité des opinions exprimées dans le quotidien Libération nous a échappé, le septuagénaire, socialiste libéral compatible à tous les pouvoirs et au CAC 40 qui s’est essayé de manière éclaire à la politique, a fait l’éloge de ses travaux passés, assurant avoir « surtout tenu à négocier [dans ses rédactions] un mécanisme de partage du pouvoir entre journalistes et propriétaires sur le fonctionnement du journal, qui prévoyait notamment un droit de veto des rédactions sur la nomination du directeur de la rédaction ». L’enjeu ? « Assurer, en cas de changement de propriétaire, le respect de la charte et de l’identité du titre concerné. »
C’est à contrecœur que Joffrin a donc quitté les couloirs de la rédaction télévisuelle d’un Bolloré qui aurait « balayé […] sans ménagement » ces « principes », puisque « 90 % des rédacteurs de l’hebdo » se seraient opposés à la tournure prise par le journal, consécutivement à la venue de Geoffroy Lejeune.
Héraut de la presse écrite
En renonçant à intervenir sur un média marqué par la ligne de son rédacteur-en-chef, Joffrin contredit le fil directeur de sa lettre du Journal. C’est parce qu’il ne peut considérer l’arrivée sur la scène médiatique d’un JDD marqué par un propriétaire aux idées conservatrices et un rédacteur-en-chef ancré à droite sur l’échiquier politique, qu’il déserte les plateaux de télévision appartenant audit groupe. Aussi, on peine à se désoler du départ de celui qui dit avoir « consacré tous [ses] efforts pendant une trentaine d’années » à la presse écrite. En soulignant que le « cas particulier » du JDD « tient au fonctionnement de la presse écrite », l’ancien rédacteur-en-chef s’érige en défenseur d’un pluralisme à un seul versant. Les récentes acquisitions de Vivendi, comportant un nombre modéré de titres généralistes, ne peuvent rivaliser avec le grand nombre de titres ancrés à gauche ou orientés vers une frange de la droite libérale libertaire.
La posture de Joffrin, qui a tenu la barre d’un média perfusé à la subvention publique (sous sa direction, Libération était le deuxième titre le plus aidé en 2016, en valeur absolue, avec 6,3 millions d’euros d’aides) notamment au nom du pluralisme, et qui a par ailleurs dû recevoir des cachets à l’occasion de ses passages réguliers sur CNews, apparaît en ce sens quelque peu hypocrite. Sans oublier que Libération n’a jamais vécu de ses lecteurs mais des subsides de milliardaires successifs, Édouard de Rothschild, Bruno Ledoux, Patrick Drahi, maintenant Daniel Křetínský, qui y ont trouvé leur intérêt. Un intérêt non financier mais d’influence…
Voir aussi : Libération, infographie