Le 5 juillet, Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, était reçue à la commission des finances. Proposée dans l’octave du rapport d’information des affaires culturelles et de l’éducation (Jean-Jacques Gaultier) sur l’avenir de l’audiovisuel public, l’audition tendait à mettre en lumière les « multiples défis » auxquels France Télévisions est confronté. Où l’on apprend que France Télévisions veut « représenter la France telle que l’on veut qu’elle soit ». Mais qui est ce « on » ?
Ma question à Mme Ernotte, directrice de @Francetele sur sa déclaration de 2015 « on a une Tv d’hommes blancs de plus de 50 ans, il va falloir que cela change ! ». Lors de cette audition elle répond que « Notre projet est de représenter la France telle qu’on veut qu’elle soit ». pic.twitter.com/8xfosbfMMF
— Frédéric Cabrolier (@Fr_Cabrolier) July 5, 2023
« Nous sommes chanceux en France [où l’] audiovisuel public se porte bien ». Au pupitre de la salle de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, Delphine Ernotte, PDG de France Télévisions, se montre confiante. Interrogée à la Commission des finances sur les défis auxquels sont confrontés l’institution, Ernotte s’est dit satisfaite du « niveau de confiance, d’attachement extrêmement élevé » des Français à France Télévisions, applaudissant le fait que « chaque jour un Français sur deux regarde nos programmes [et que] huit Français sur dix regardent ceux-ci dans la semaine ». « Premier groupe audiovisuel en France », France Télévisions fait, pour son PDG, ferait face à de nombreuses problématiques.
France Télévisions et le respect de la souveraineté
En premier lieu, la question de la souveraineté de l’information. Avec un tiers de son offre (et 40 % du budget investi) consacrée à l’information, France Télévisions est une source d’information importante, qu’elle désigne comme un pilier solide face à la désinformation. S’inquiétant de la généralisation de l’intelligence artificielle générative, Ernotte regrette également la montée de la « part de l’ingérence étrangère » qu’elle juge en progrès. « Je préside l’Union européenne de radio-télévision et j’ai à ce titre fait un voyage à Kiev pour soutenir mes collègues ukrainiens — que nous soutenons avec des programmes et matériels, expliquera-t-elle. Dans un pays en guerre, l’information, la maîtrise de cette information est le sujet numéro un ». Ce constat soulève la question de la défense de la souveraineté française, et parallèlement la question de l’information véhiculée par les réseaux sociaux – aux mains des Américains et des Chinois. « Dans ce paysage compliqué, argumentera-t-elle, le service public reste une boussole, et notamment le fait que nous sommes ancrés dans les territoires. Nous avons 9 antennes ultra-marines, 24 antennes régionales dans l’hexagone. […] C’est plus de la moitié de nos effectives, régions et outre-mer. Nous avons accéléré cette décentralisation ces dernières années. […] L’information sur la 3 sera à la rentrée entièrement locale et régionale. Cela répond à une attente du public ».
Vient ensuite la question de la création, deuxième pilier de l’offre de France Télévisions, qui comprend notamment les programmes sportifs. « Point fort pour rassembler les gens de manière positive, selon Ernotte, ces programmes génèrent des « problèmes de droits sportifs », avec des programmes « payant[s] [notamment pour] les matchs du soir sur Amazon. On observe une sorte de privatisation des droits sportifs. Nous essayons de préserver l’action du service public sur cette question », a‑t-elle indiqué. Affirmant l’importance des industries culturelles européennes, Ernotte souligne que « France Télévisions représente 50 % des investissements dans la création. Ça représente 60 000 employés en équivalent temps plein. » Enfin, Ernotte se réjouit que 7 millions de Français regardent un film de cinéma par semaine sur France Télévisions – quoique Canal + reste le premier investisseur dans le cinéma, que chaque mois, 10 millions regardent une pièce de théâtre, un opéra, un concert de hip-hop… et que cette institution assure « une forme de continuité territoriale et culturelle ».
France Télévisions et le défi technologique
En termes technologiques, le défi est selon Ernotte « assez immense ». « A 21h, [ce sont] 27 millions de Français sont en direct sur un programme TV. 4,5 millions regardent un programme d’une plateforme [type YouTube]. [Ils sont] 4,2 millions derrière un réseau social ou diffusion de contenus. Quand on veut parler à beaucoup de monde, la puissance de la télévision est encore extraordinaire ». Pour autant, Delphine Ernotte s’interroge sur les comportements de la tranche d’âge 15–25 ans, qui se tournent de manière égale vers les réseaux sociaux et les plateformes de contenus que devant la télévision. C’est pour cette raison que France Télévisions a doublé son budget sur le numérique à l’occasion de son plan de 2018.
Une autre problématique en matière technique se pose : la maîtrise de la donnée, la personnalisation des contenus et, surtout, l’investissement sur l’ensemble des environnements technologiques, c’est-à-dire des interfaces des différents opérateurs téléphoniques, téléviseurs, etc. La multiplication des investissements qu’une telle prolifération engendre apparaît comme un problème majeur pour la PDG de France Télévisions.
Les prévisions financières de France Télévisions
Face à la suppression de la redevance audiovisuelle, la présidente, qui entend trouver un mode de financement pérenne, a fait savoir que l’affectation d’une part de la TVA constituait un bon compromis entre une budgétisation pure et simple et une taxe affectée. Elle s’est félicité des économies réalisées par l’institution qu’elle gère : « La transformation de l’entreprise n’a pas été modeste », a‑t-elle assuré. L’institution a dû baisser en euro constant d’à peu près 160 millions en net en même temps qu’elle augmentait ses investissements numériques, dans le domaine de la création et qu’elle devait faire face à l’inflation. Au total, 400 millions d’euros d’économies ont été réalisés sur la structure, notamment par l’intermédiaire de la baisse des effectifs (1000 ETP / an). Une « baisse de 10 % des effectifs en 5 ans avec une activité qui croît » qu’elle juge inédite. Le budget a également fait l’objet d’une diminution en matière de dépenses sur les programmes. « Au global, en euro constant, France Télévisions coûte 500 millions d’euros de moins à la collectivité », s’est-elle félicitée.
Quel avenir pour France Télévisions ?
En ce qui concerne les perspectives futures de France Télévisions, Delphine Ernotte entend proposer des investissement tant technologiques (investissement dans l’IA avec génération de sous-titrages de paroles en direct sur France Info notamment), humains (développement des réseaux locaux). Elle insiste également sur la nécessité d’investir dans les programmes liés à la jeunesse, insinuant que les récentes émeutes des banlieues souffrent de ce manque. (« Il faut qu’on mette en œuvre des programmes spécifiques pour ces jeunes gens. Les derniers évènements en sont le témoin ».) Les difficultés financières qu’elle va rencontrer en ce sens sont pointés du doigt, du fait de l’inflation.
Concentration dans les médias et mixité : les échanges avec la commission
À l’occasion des échanges avec les députés, le président de la Commission des finances, M. Coquerel, n’a pas hésité à revenir sur ses propres inquiétudes sur « les concentrations » dans les médias, dont il a rappelé qu’elle était une « préoccupation du Conseil National de la Résistance » ; étrillant le « cas » récent du JDD, le député LFI a souligné que le « service public est la garantie [de] l’indépendance des journalistes, [du] pluralisme, [de] la garantie de considérer que le public doit servir à l’émancipation intellectuelle, personne d’autre ne peut l’assurer que le service public. […] Je tiens à ce que vous ayez les moyens budgétaires d’assurer vos missions ».
Sur la gestion de l’entreprise, Delphine Ernotte a réaffirmé sa volonté de « mutualiser des investissements sur le numérique » avec Radio France notamment. Face aux ruptures technologiques en accélération, « l’IA générative va entraîner la révolution des métiers ». Le PDG de France Télévisions a fait part de sa « volonté de s’approprier ces technologies et de créer un code éthique sur l’utilisation de ces technologies ». Elle s’est également félicitée du fait que les comptes de France Télévisions sont à l’équilibre depuis 8 ans.
Ernotte veut « représenter la France telle qu’on voudrait qu’elle soit »
Enfin, interrogée par plusieurs députés, Delphine Ernotte est revenue sur la représentation des Français sur ses antennes. « Je tiens à dire qu’on ne représente pas la France telle qu’elle est car si on représentait la France telle qu’elle est on aurait toujours 5 % de femmes dans les expertes. Mais on essaie de représenter la France telle qu’on voudrait qu’elle soit. Sur la mixité par exemple […], a souligné le PDG avant de se féliciter : « On est passés de 25 % de femmes expertes sur nos plateaux à 50 % de femmes expertes. Et on essaie de maintenir ce taux. Ce qui n’est pas simple ! ».
🛑🛑Incroyable ! ⬇️⬇️
« On ne représente pas la France telle qu’elle est mais telle qu’on voudrait qu’elle soit » Merci pour cette clarification sur la dérive idéologique du service public @DelphineErnotte. pic.twitter.com/63Pmarvi66— Marc Eynaud (@Eynaud_Marc) July 5, 2023
Elle a également fait part d’un nouvel objectif : « calculer le taux de prise de parole des femmes par rapport à celui des hommes », indiquant que l’INA le faisait déjà. « Le service public est assez exemplaire sur le sujet », s’est-elle encore félicitée. Concernant les catégories sociales, les différentes origines, du handicap, elle a indiqué que « même si on progresse on a encore du chemin à faire. Sur le handicap, depuis plusieurs années, on fait très attention pour le sport » (présentation de l’handisport, séries sur le handicap). Sur les catégories sociales, elle a concédé qu’on était « trop à représenter les catégories sociales élevées et pas assez populaires ». Enfin, ironiquement, elle a déploré que France Télévisions ne puissent procéder à des statistiques ethniques. « Sur les origines, on progresse, mais à l’inverse de la comptabilisation des femmes, on n’a pas le droit de décompter les différents signes de diversité, ce qui ne nous aide pas ».