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Sus à Telegram de Pavel Durov : la confidentialité, voilà l’ennemi

5 janvier 2025

Temps de lecture : 8 minutes
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Sus à Telegram de Pavel Durov : la confidentialité, voilà l’ennemi

Temps de lecture : 8 minutes

Les États contrôlent tous les réseaux sociaux et messageries instantanées. Tous ? Non. Semblables au célébrissime village gaulois, X (ex-Twitter) et Telegram résistent encore (mais le second commence à céder) et toujours aux ordres. Ce qui leur vaut une haine qui n’a rien de cordiale de la part des médias de grand chemin.

Pre­mière dif­fu­sion le 5 novem­bre 2024

Telegram, la messagerie vraiment confidentielle ou presque

Telegram est une appli­ca­tion de mes­sagerie instan­ta­née dirigée par Pavel Durov. On devrait dire Paul Du Rove, car ce Russe a choisi de pren­dre la nation­al­ité française en 2021 et d’adapter son nom. Telegram existe depuis 2013 et est par­ti­c­ulière­ment appré­cié de la droite con­ser­va­trice, qui y voit un canal d’échanges sûr garan­ti par une con­fi­den­tial­ité plus impor­tante que sur What­sApp. C’est à peu près ce que voulait Pavel Durov, selon qui Telegram doit per­me­t­tre à « des activistes et des gens ordi­naires » d’échanger sans risque face à des « gou­verne­ments et des entre­pris­es cor­rompues ». Telegram compte aujourd’hui un mil­liard d’utilisateurs, dont env­i­ron 50 000 dans l’Union européenne. En avril 2023, alors que sa plate­forme avait été blo­quée au Brésil (CF LE MONDE), il écrivait « La mis­sion de Telegram est de préserv­er la vie privée et la lib­erté d’expression dans le monde entier. Lorsque les lois locales vont à l’encontre de cette mis­sion ou imposent des exi­gences tech­nologique­ment irréal­is­ables, nous devons par­fois quit­ter ces marchés. […] De tels événe­ments, bien que regret­ta­bles, sont préférables à la trahi­son de nos util­isa­teurs et des con­vic­tions sur lesquelles nous avons été fondés. » Des con­vic­tions ravalées par L’Express au rang « d’argument mar­ket­ing » où se « retranche » Telegram.

Voir aus­si : Exten­sion du domaine de la cen­sure : arresta­tion à Paris de Pavel Durov, fon­da­teur de Telegram

Une confidentialité qui peut plaire aux criminels

Le revers de la médaille, c’est que cette con­fi­den­tial­ité ne plaît pas qu’aux lanceurs d’alerte et aux opposants à divers gou­verne­ments, mais aus­si aux crim­inels. Pavel Durov le déplore, et cherche des solu­tions pour l’éviter. Il affirme ne pas vouloir laiss­er « de mau­vais acteurs remet­tre en cause l’in­tégrité de [sa] plate­forme pour un mil­liard d’u­til­isa­teurs » et fustige « les crim­inels qui abusent de notre plate­forme pour éviter la justice ».

Ces États qui n’aiment pas la confidentialité

Avec X (ex-Twit­ter), Telegram fait donc par­tie des bêtes noires de cer­tains Etats, ain­si que de l’Union européenne. Le Dig­i­tal Ser­vices Act (DSA) souhaite ain­si impos­er aux réseaux soci­aux de répon­dre aux réqui­si­tions judi­ci­aires, et depuis son entrée en vigueur, les deman­des d’informations afflu­ent vers Telegram. En neuf mois, le Brésil a fait 200 requêtes. L’Inde, le plus gros marché de Télé­gram, près de 7 000 sur la même péri­ode. Des faits qui peu­vent être com­pris comme une vague de ten­ta­tives de répres­sion. Comme Telegram ne répond pas à toutes ces deman­des, les États, repris en chœur par les médias, l’accusent de ne pas répon­dre aux sol­lic­i­ta­tions de la jus­tice lorsque cette dernière enquête sur le traf­ic de drogue, le blanchi­ment crim­inel ou la dif­fu­sion d’images pédo­pornographiques. À les enten­dre, il n’y a guère que quand ses réqui­si­tions touchent au ter­ror­isme que la jus­tice peut espér­er être entendue.

Comment la répression s’organise

Le 24 août 2024, Pavel Durov était arrêté à la porte de son avion, au Bour­get, alors qu’il venait d’atterrir. S’ensuit une garde à vue de qua­tre jours, une mise en exa­m­en le 28 août, puis une remise en lib­erté sous con­trôle judi­ci­aire moyen­nant une inter­dic­tion de quit­ter le ter­ri­toire et un cau­tion­nement de 5 mil­lions d’euros. Entretemps, l’ambassade de Russie plaide pour sa libéra­tion sur X. La jus­tice l’accuse de com­plic­ité de dif­fu­sion d’images à car­ac­tère pédo­pornographique et de traf­ic de stupé­fi­ants, accu­sa­tions que Telegram réfute. L’application estime se con­former aux oblig­a­tions du DSA, et plus large­ment au droit de l’Union européenne. À cette époque, Elon Musk a de son côté maille à par­tir avec le Brésil, qui voudrait que cer­tains comptes d’extrême-droite soient modérés.

Voir aus­si : Dig­i­tal Ser­vices Act : l’UE veut impos­er ses normes et sa vision du monde à sens unique

Les compromis de Telegram et X

Face à ces pres­sions, Elon Musk et Pavel Durov ont fini par met­tre de l’eau dans leur vin. Le pre­mier paye une amende de 5 mil­lions d’euros et bloque cer­tains comptes accusés de pro­mou­voir la dés­in­for­ma­tion au Brésil. Pavel Durov, lui, a con­fir­mé le 2 octo­bre blo­quer sur le moteur de recherche de Telegram cer­tains mots-clés pou­vant men­er à des canaux, c’est-à-dire des groupes de dis­cus­sion, con­cer­nant les ventes d’armes, de drogue ou de ser­vices illé­gaux. Les adress­es IP et numéros de télé­phone d’utilisateurs qui enfreindraient la loi pour­ront égale­ment être com­mu­niqués à la jus­tice. Il pré­ci­sait cepen­dant que ces dis­po­si­tions exis­taient depuis 2018. La poli­tique de con­fi­den­tial­ité de Telegram a cepen­dant changé. Elle pré­ci­sait autre­fois n’avoir jamais trans­mis d’adresse IP ou de numéro de télé­phone à la jus­tice. Elle explique main­tenant qu’elle le fera si elle reçoit « une ordon­nance valide des autorités judi­ci­aires com­pé­tentes » et après avoir mené « une analyse juridique de la demande ».

Voir aus­si : Meta, une cen­sure de gauche libérale lib­er­taire insti­tu­tion­nal­isée. Troisième partie

Les médias contre Telegram

Il serait aus­si vain qu’angélique de nier l’usage que font les crim­inels, notam­ment ter­ror­istes et pédocrim­inels, des mes­sageries instan­ta­nées et des réseaux soci­aux. Ils utilisent Telegram et X (ex-Twit­ter), c’est évi­dent. Peut-on néan­moins croire qu’ils n’utilisent pas Face­book ou What­sApp ? C’est dif­fi­cile, et cela sem­ble néan­moins être l’opinion de cer­tains dirigeants qui s’acharnent sur les uns plutôt que sur les autres. L’Express affirme ain­si que Telegram est la plate­forme « adorée des cybercriminels ».

Au reste, les médias évi­tent soigneuse­ment cette faille dans le raison­nement de nos poli­tiques et se con­tentent de not­er, à l’instar du Monde, que Elon Musk, qui dirige X, et Pavel Durov, à la tête de Telegram, « vien­nent de s’incliner devant des régu­la­teurs d’États démoc­ra­tiques ». Pavel Durov « cède » selon L’Humanité. On sor­ti­rait presque les cotil­lons, la lib­erté a gag­né. Le Monde con­tin­ue : « loin d’être une zone de non-droit, Inter­net peut se pli­er aux règles ». Il faut pour cela « se don­ner les moyens de les faire respecter, quitte à utilis­er la manière forte comme l’ont fait le plus légale­ment du monde les juges français et brésiliens. » Le plus légale­ment du monde pré­cise le quo­ti­di­en, afin de couper l’herbe sous le pied à ceux qui craindraient une sur­veil­lance exces­sive de leurs faits et gestes.

Radio France, elle, a choisi de décrédi­bilis­er Pavel Durov dans une dimen­sion plus per­son­nelle. En 2021, il obtient son Diplôme d’études en langue française niveau B1 dans le cadre de son acces­sion à la citoyen­neté française. « Un niveau inter­mé­di­aire qui ne lui per­me­t­tra pas, quelques années plus tard, lors de sa garde à vue, de répon­dre aux enquê­teurs en français. Il s’exprimera en russe, puis en anglais », note Radio France. Le coup est assez bas, et on attend du jour­nal­iste, qui a prob­a­ble­ment un niveau supérieur à B1 en anglais, qu’il s’exprime en cette langue lors d’une enquête judi­ci­aire. Le stress risque d’affaiblir son niveau.

Telegram et X, premiers concurrents des médias

Les réseaux soci­aux et mes­sageries instan­ta­nées véhicu­lent deux risques : la cen­sure et la sur­veil­lance. On a vu pen­dant la crise san­i­taire com­bi­en le pre­mier était impor­tant, avec la sup­pres­sion de cer­taines pub­li­ca­tions, la sus­pen­sion de comptes, les con­tenus com­pat­i­bles avec la doxa ambiante placés par les appli­ca­tions sous les pub­li­ca­tions sul­fureuses. Quant à la sur­veil­lance, elle est juste­ment la rai­son pour laque­lle tant d’utilisateurs choi­sis­sent Telegram. On sait depuis plusieurs années, et sans aucun doute pos­si­ble, que Meta vend les don­nées des util­isa­teurs à des entre­pris­es, notam­ment à des fins pub­lic­i­taires et met ses serveurs à la dis­po­si­tion des ser­vices de ren­seigne­ment améri­cains sur demande. Si ce type de vente est rageant, imag­in­er que ces mêmes don­nées ail­lent à des États est plus inquié­tant. Si une per­son­ne qui enfreint la loi peut voir ses don­nées trans­mis­es à la jus­tice, qui empêchera l’État de créer un délit d’opinion qui lui per­me­t­tra un véri­ta­ble coup de filet sur tous les comptes suiv­ant une per­son­nal­ité ou une autre ? Au reste, L’Humanité n’attend que cela, et met sans dif­fi­culté « des groupes de mil­i­tants d’extrême droite, des dji­hadistes, des pédophiles et moult trafics illé­gaux en tous gen­res » dans le même panier, comme si les électeurs d’Eric Zem­mour et de Marine Le Pen étaient des pédocriminels.

Au-delà des risques liés aux réseaux soci­aux, ce qui se joue dans ce nou­veau feuil­leton qu’est le duel entre X et Telegram et les médias, c’est l’avènement de nou­veaux con­cur­rents dans le monde de l’information. Bien des titres sont aujourd’hui inqui­ets de voir bien des citoyens s’informer sur X et Telegram plutôt que dans les médias recon­nus. En effet, lorsqu’on suit le compte de Jean-Luc Mélen­chon, le biais idéologique est affiché et recon­nu. C’est loin d’être le cas lorsqu’on suit France Inter, alors que…

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