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Suspension de l’USAID ordonnée par Trump : les médias américains n’ont plus leur place au Moyen-Orient

9 mars 2025

Temps de lecture : 5 minutes
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Suspension de l’USAID ordonnée par Trump : les médias américains n’ont plus leur place au Moyen-Orient

Temps de lecture : 5 minutes

Vingt ans après le lance­ment de la pre­mière chaîne de télévi­sion améri­caine dédiée au monde arabe, Al-Hur­ra, le con­stat d’échec pousse l’administration de la Mai­son Blanche à un dés­in­vestisse­ment mas­sif dans la région. L’annonce de la sus­pen­sion, pour une péri­ode de trois mois, du pro­gramme d’aide au développe­ment (USAID) est tombée tel un couperet dans les milieux médi­a­tiques arabes.

Al-Hurra, coincée entre Al Jazeera et Al-Arabiya

Créée en 2004, au lende­main de l’invasion de l’Irak par l’armée améri­caine, Al-Hur­ra (« La Libre » en arabe) avait comme objec­tif de pro­mou­voir le dis­cours offi­ciel des États-Unis auprès d’un pub­lic arabe avide de lib­erté d’expression et débats, mais le qua­si-mono­pole exer­cé dans ce domaine par deux grandes chaînes — Al-Jazeera (Qatar) et Al-Ara­biya (Ara­bie Saou­dite) — ne lais­sait que peu de place à de nou­veaux médias. Avec un bud­get pas­sant de 100 mil­lions de dol­lars en 2019 à 90 mil­lions de dol­lars en 2023, inclu­ant d’autres médias de moin­dre enver­gure comme Radio Sawa, la chaîne améri­caine ne ces­sait de régress­er, d’année en année. En out­re, des rap­ports du Gov­ern­ment Account­abil­i­ty Office (GAO) ont pointé, dès 2020, le manque d’efficacité de la chaîne mal­gré des investisse­ments lourds.

Plan social à Al Hurra

Dans une note adressée le 4 sep­tem­bre 2024 au per­son­nel de la chaîne Al Hur­ra, le PDG de MBN, la société mère qui dif­fuse cette chaîne, Jef­frey Ged­min, annonçait, sans sur­prise, un plan social, prélude à sa fer­me­ture prochaine :

« Aujour­d’hui, a‑t-il écrit, est un jour triste. Nous avons dit au revoir à 160 de nos collègues. Nous avons réduit nos effec­tifs de 21 % ».

Et d’enchaîner :

« Les mesures que nous prenons sont oblig­a­toires. Les coupes budgé­taires imposées par le Con­grès nous ont oblig­és à réduire les coûts de l’en­tre­prise de près de 20 mil­lions de dol­lars », a‑t-il précisé.

La chaîne con­tin­ue d’émettre, mais vis­i­ble­ment sans grande con­vic­tion, et tra­vail­lant avec le min­i­mum syn­di­cal. Comp­tant jusqu’à 2023 env­i­ron 250 employés (jour­nal­istes et tech­ni­ciens), la chaîne aurait déjà licen­cié 15 % de son per­son­nel. Par ailleurs, on sait que la direc­tion a, dans le cadre de son plan social, procédé à la réduc­tion des antennes en Irak et en Tunisie pour « mutu­alis­er les ressources ». Dans le même sil­lage, la chaîne a dimin­ué de façon dras­tique ses pro­duc­tions orig­i­nales (doc­u­men­taires, émis­sions en direct…), tout en mobil­isant des pigistes pour les reportages.

Le temps des vaches maigres

La chaîne a subi de plein fou­et les pre­mières coupes budgé­taires sous l’administration Trump (2017–2021). La réforme annon­cée par la direc­tion de MBN, en sep­tem­bre dernier, est la con­séquence directe de cette poli­tique iso­la­tion­niste prônée par le prési­dent répub­li­cain, alors qu’aucune solu­tion n’a pu être trou­vée durant le man­dat du démoc­rate Joe Biden.

Son audi­ence tour­nait autour de 3% de con­fi­ance, selon le site spé­cial­isé dans les sondages Arab Barom­e­ter. Si la dure con­cur­rence que lui impo­saient les deux grandes chaînes arabes explique en par­tie ce reflux d’Al‑Hurra, le con­texte géopoli­tique région­al a aus­si joué un rôle défa­vor­able : la mon­tée des mou­ve­ments islamistes rad­i­caux, à l’origine de l’exacerbation du dis­cours anti-occi­den­tal, comme l’enlisement de l’armée améri­caine dans la région, notam­ment en Irak, qui a fini par pouss­er celle-ci à s’en retirer.

Autre disparition en 2023

Autre signe de cette décon­fi­ture médi­a­tique améri­caine au Moyen-Ori­ent : la dis­pari­tion, en 2023, du site d’information Al-Mashareq, des­tiné à la région de la Mésopotamie notam­ment. Lancé en 2017 par le Pen­tagone, et conçu comme un organe à la fois de pro­pa­gande de l’armée améri­caine et de « sen­si­bil­i­sa­tion » con­tre le péril dji­hadiste qui menaçait alors cette région, ce site d’expression arabe n’a pas pu tenir plus de six ans. Sa faible audi­ence s’expliquerait par une ligne édi­to­ri­ale trop affichée, mais aus­si, selon cer­taines sources, par une stratégie de mar­ket­ing qui s’est avérée inef­fi­cace. Son per­son­nel a été redirigé vers d’autres médias pro-améri­cains dis­séminés un peu partout dans la région.

Effet boomerang dans tout le monde arabe

L’influence médi­a­tique améri­caine dans la région du Moyen-Ori­ent — et du monde arabe en général — risque de fléchir davan­tage dans un avenir immé­di­at en rai­son du coup d’arrêt don­né par Don­ald Trump au pro­gramme USAID. La déci­sion touche de nom­breux médias numériques arabes (dont cer­tains vivent essen­tielle­ment de ces sub­ven­tions) et ONG. On peut citer notam­ment des médias pales­tiniens comme le site d’analyse Pales­tine Chron­i­cle, Radio Nisaa (fémin­iste) ou encore Ma’an Net­work, un réseau de télévi­sion et radio basé en Cisjor­danie, accusé par cer­taines sources de liens avec le Hamas. Des sites d’investigation basés au Liban, à l’image de Daraj, Mega­phone ou The Pub­lic Source, et en Tunisie, tels que Inky­fa­da et Radio Misk, béné­fi­ci­aient de fonds USAID. On trou­ve aus­si dans ce mag­ma des médias syriens anci­en­nement en exil, comme Enneb Bal­a­di, basé en Turquie et se faisant le relai de la rébel­lion anti-Assad. Tous se plaig­nent aujourd’hui de dif­fi­cultés finan­cières et abor­dent la nou­velle année avec appréhension.

Toutes ces plate­formes, aux­quelles on peut ajouter des asso­ci­a­tions pilotant des sites d’information telles que ARIJ en Jor­danie, pour­raient dis­paraître ou réduire leurs activ­ités, faute de fonds. Des for­ma­tions financées par le pro­gramme améri­cain dans des domaines aus­si névral­giques que le data-jour­nal­ism ou la sécu­rité numérique risquent d’être sup­primés, au grand dam des jour­nal­istes locaux.

Une aubaine pour les gouvernements… et pour les islamistes ?

Cela dit, la mau­vaise passe que tra­verse la presse cri­tique, par­tielle­ment financée par des pays étrangers, est une aubaine pour les dif­férents régimes locaux : elle pour­rait en effet per­me­t­tre aux médias pro-gou­verne­men­taux de regag­n­er du ter­rain et resser­rer leur emprise sur un pub­lic encore sous le choc des événe­ments qui ont endeuil­lé le Moyen-Ori­ent et de plus en plus sen­si­ble aux dis­cours souverainistes.

Tou­jours à l’affût de la moin­dre régres­sion poli­tique, les islamistes ten­teraient, eux aus­si, de se replac­er sur l’échiquier médi­a­tique, et ce même s’ils ont tou­jours su infil­tr­er les médias alter­nat­ifs nés des révoltes du « print­emps arabe », prof­i­tant ain­si de la générosité de leurs bailleurs de fonds.

Mus­sa A.

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