C’est la morosité au Syndicat du Livre, bras armé de la CGT – et historiquement du Parti communiste – qui pendant longtemps a contrôlé en partie la presse. Les imprimeries ferment, la presse décline, les suppressions de postes se multiplient, les français préfèrent lire sur internet, les troupes diminuent et la propagande ne porte plus. Plutôt que d’en tirer les conséquences et de s’éclipser – ou de tenter d’adapter son discours aux nouvelles réalités, le syndicat du Livre multiplie les blocages.
Un syndicat responsable du coût élevé d’impression et de vente des journaux français
Créé en 1944 alors que De Gaulle avait chargé la CGT d’imprimer les livres et les journaux en fusionnant les équipes issues de la résistance au personnel des journaux existants, le Syndicat du Livre a eu une puissance énorme jusqu’au tournant des années 2010. Il n’y a eu que deux épisodes de résistance avant 1990 : celui d’Emilien Amaury et du Parisien libéré de 1975 à 1977, qui se conclut par le décès du patron de presse rebelle, et la résistance des éditeurs parisiens à une grève des parutions de dix jours en 1989. La chute du Mur était déjà en marche.
« Pendant des semaines et des mois, les gros bras du syndicat vont torturer son entreprise, utilisant les pires méthodes de la racaille, détournant des camions de livraison, jetant dans les rues et les maculant des millions d’exemplaires imprimés, bloquant des ateliers et des stocks de papier, utilisant la force et la menace, les poings et les barres de fer, sans opposition de la police ni de la justice, en toute impunité », relève Jean Nouailhac au sujet de la résistance d’Emilien Amaury dans un article dédié aux abus du Syndicat du Livre, « syndicat doré sur tranche » choyé du système.
Le syndicat de la presse participe au déclin de la presse en se payant abondamment sur sa logistique. Ainsi, grâce aux différentes primes et avantages, les salaires des ouvriers de l’entreprise se situent entre 4200 à 5000 euros. Presstalis est également grevée d’un taux d’encadrement particulièrement élevé, encadrement qui est payé entre 5700 à 7100 euros en moyenne. Ces coûts salariaux ont pour conséquence que « le coût d’un employé de Presstalis équivaut à nettement plus du double de celui des employés d’un autre logisticien, et son temps de travail est nettement inférieur de moitié », relève le Figaro en 2013.
Par ailleurs des prix élevés sont imposés aux imprimeries contrôlées par le syndicat, par rapport aux imprimeries de labeur qu’il ne contrôle pas, toujours en gonflant la masse salariale. Ainsi, le rapport d’information n°406 (2003–2004) de Paul Loridant, déposé le 7 juillet 2004, relève que « le coût d’impression, pour un travail identique, en offset, sur papier journal, provient à 80 % des salaires dans l’imprimerie de presse (dédiée à l’impression des quotidiens), contre 35 % dans l’imprimerie de labeur (impression des magazines) ».
Organisé en branches par métiers, le syndicat a aussi la mainmise sur les emplois, relève Libération en 1995 : « chaque syndicat est habilité à négocier le nombre d’emplois dans sa branche avec les éditeurs de journaux, ce qui débouche sur une liste nominative dont les éditeurs garantissent l’emploi. Par ailleurs, chaque syndicat gère une permanence d’embauche et fournit du personnel “hors liste” (non permanent) pour des remplacements de vacances ou de maladie ». On se doute que ceux qui sont embauchés sont en parfait accord avec les positions défendues par le syndicat du Livre !
D’autres affaires mettant en cause le Syndicat du Livre ont été découvertes par le passé. Ainsi, dans son livre Spéciale dernière : qui veut la mort de la presse quotidienne française ?, paru en 2007, Emmanuel Schwarzenberg avait révélé que 200 tonnes de papier, soit 5% du papier utilisé pour l’impression des journaux en France, était détourné par le syndicat du Livre au profit de la presse officielle cubaine. C’est Robert Hersant qui découvre et fait démanteler le juteux trafic en 2007, mais ne porte pas plainte par peur de représailles pour les journaux de son groupe. Idem, en 1991 la direction des NMPP (Nouvelles messageries de la presse parisienne, l’ancêtre avant 2009 de Presstalis) découvre une cache de 5000 armes dans ses entrepôts de Saint-Ouen, faite par le syndicat après la faillite de Manufrance en prévision du « grand soir ». L’affaire est étouffée.
Des méthodes musclées envers tous ceux qui perturbent les juteuses affaires du syndicat
Le Syndicat du Livre ne recule devant rien pour faire peur aux patrons de presse qui voudraient fuir les coûts qu’il impose : en 1992, la société Les meilleures éditions SA, éditrice des journaux Le Meilleur et Spéciale dernière, est victime de ses intimidations et forcée à recourir aux imprimeries qu’il contrôle. En 2002 ce sont les journaux gratuits Metro et 20 Minutes qui sont ciblés par le syndicat, des colporteurs sont tabassés, puis Direct Matin Plus alors que Bolloré a choisi une imprimerie de labeur.
Et pour cause : elles sont moins chères, les journaux en y recourant peuvent vendre moins cher (voire gratuitement) et espérer enrayer l’érosion de leur lectorat. S’ils le pouvaient, ils s’engouffreraient dans la brèche. Mais le « modèle économique » du syndicat du Livre serait rayé de la carte, ainsi que les juteux salaires de ses membres. Le syndicat du Livre a aussi les moyens d’imposer son discours. Ainsi le 26 mai 2016, le syndicat empêche la parution des journaux, pour leur refus de publier une tribune du président de la CGT Philippe Martinez contre la loi travail ; seule L’Humanité, qui a publié la lettre, paraît.
Le syndicat du Livre menacé par les suppressions d’imprimeries et les réformes
Cependant, les imprimeries ne cessent de fermer – notamment en région parisienne, mais aussi en province comme MOP à Vitrolles. Le Syndicat du Livre y répond de façon musclée et via ses relais comme le journal communiste La Marseillaise, mais ne peut enrayer le processus, qui témoigne d’une nouvelle étape dans la grande crise de la presse papier en France et des médias « du système » en général, auxquels les français font de moins en moins confiance.
A rebours de l’évolution des choses, le Syndicat du Livre figé dans un monopole peu favorable à l’évolution des idées et des modèles de pensée y répond à sa façon : en suspendant les parutions des journaux les jours de grève, ce qui fragilise encore leur santé économique. D’autant que la contestation sociale ne fait plus recette : les français sont las, même ceux qui ont l’habitude de descendre dans les rues. Elles étaient vides les 21 septembre et ou le 19 octobre – alors que le lendemain Ouest-France était à son tour touché par une grève de ses imprimeries et ne paraissait pas, pas plus que Presse-Océan ou le Courrier de l’Ouest. Pas de quoi perturber les lecteurs qui se reportaient sur le web ou la télé.
En mai 2017 le Filpac-CGT, la fédération syndicale CGT qui comprend entre autres le syndicat du Livre organisait à Montreuil (évidemment) des Assises du monde du livre. Le discours, centré sur le « livre attaqué de toutes parts par le numérique » montrait la crispation des syndicats CGT qui refusent toute prise en compte du numérique autrement que comme un danger mortel… avant tout pour l’existence même du syndicat et de ses troupes.
Dans le numérique, pas d’impression contrôlée par un syndicat qui contrôle emplois, prix et conditions. Pas de discours journalistique calibré pour échapper aux menaces de grève de l’impression. Pas de censure, donc, et pas de contrôle possible. C’est peut-être bien tout le problème.
Crédit photo : stevepb via pixabay (cc0)