Le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung a publié le 7 février un article très élogieux sur l’imam de Bordeaux, Tareq Oubrou. Celui-ci serait un « prédicateur exemplaire ». L’hebdomadaire Courrier international a trouvé l’article tellement intéressant qu’il l’a repris le 23 février dans sa revue de revue de presse internationale. Mais qui trop embrasse mal étreint. En s’appuyant sur l’imam de Bordeaux pour critiquer « le manichéisme réducteur du débat sur l’islam » en France, le quotidien allemand ferme les yeux sur les critiques à l’encontre du personnage.
Quand le Süddeutsche Zeitung confond portrait et éloge dithyrambique
C’est probablement le débat parlementaire en France sur la loi sur le séparatisme qui a amené le Süddeutsche Zeitung à consacrer un article à Tareq Oubrou. La loi — désormais adoptée — serait selon le quotidien allemand « un texte qui se focalise sur la répression et les restrictions ». Le ton est donné : on aura compris qu’il s’agit en fait de vilipender l’islamophobie en France, un pays où l’on mettrait dans le même sac islam, « terrorisme, immigration, exclusion, séquelles du colonialisme et identité de la République ».
Le portait de Tareq Oubrou est du même acabit. « À quoi pourrait ressembler un islam de France si ce n’est à celui prôné par l’imam de Bordeaux? », s’interroge Nadia Pantel dans le Süddeutsche Zeitung. Tareq Oubrou serait selon le quotidien allemand un imam comme on en voudrait : il encourage ses fidèles à douter, il n’encourage pas les femmes à porter le voile. Il condamne les attentats islamistes et il figure lui-même « sur la liste noire des islamistes ». Ses prêches iraient dans le sens de l’apaisement. C’est du bout des lèvres que la journaliste allemande mentionne l’engagement passé de Tareq Oubrou dans la mouvance islamiste.
Tareq Oubrou décoré de la légion d’honneur en 2014
La côté d’amour de Tareq Oubrou auprès d’une certaine intelligentsia n’est pas nouvelle. En février 2014, Ouest France nous apprenait que l’imam de Bordeaux avait été fait chevalier de la Légion d’honneur par Alain Juppé. Le 8 janvier 2016, sur France culture Anne Fauquembergue dressait le portrait de « celui qui voudrait plaire à tous les Français ». Ses liens passés avec les islamistes seraient de l’histoire ancienne, car depuis son mariage à 27 ans, il se serait converti « au réalisme de la société ». Puisque la radio affiliée à l’État français nous le dit…
Condamnation de la décapitation de Samuel Paty, comme le souligne Télérama, défense des caricatures « qui font partie de la culture française » selon Europe 1 le 1er septembre 2020 : les prises de position de Tareq Oubrou en feraient un imam exemplaire, selon non seulement le Süddeutsche Zeitung mais aussi nombre de médias français, mais…
Le travail d’investigation de Mohamed Louizi
Mohamed Louizi est un ancien membre des Frères musulmans qui consacre désormais une partie de son temps libre à mettre à jour les réseaux islamistes. Il ne se contente pas des déclarations des uns et des autres dans les médias. Il mène un travail d’investigation qui devient si rare en cette période d’articles en ligne rédigés à la hâte par des stagiaires ou des journalistes débordés.
Dans un article paru sur son blog le 1er décembre 2020 intitulé « Tareq Oubrou, une colombe qui couve des vautours ? », Mohamed Louizi entend démontrer que l’« on peut bel et bien quitter une association frériste sans rompre pour autant avec l’idéologie frérosalafiste qui l’alimente ».
En voici quelques extraits :
Tareq Oubrou « est toujours «imam» à Bordeaux, salarié d’une mosquée contrôlée par les Frères musulmans de l’association FMG. (…) Il semble être toujours associé au CAPRI (Centre d’Action et de Prévention contre la Radicalisation des Individus) créé par ses Frères musulmans à Bordeaux (…). Aussi, au nom de sa non-rupture assumée avec sa famille frériste, Tareq Oubrou répond toujours aux invitations des Frères musulmans pour animer des conférences. (…) Tareq Oubrou est toujours administrateur au sein du conseil d’administration de l’organisation frériste Secours Islamique ».
« Comment prétendre que Tareq Oubrou ait rompu avec les Frères musulmans ? », s’interroge Mohamed Louizi qui estime que « son paradigme est une pure ruse langagière, une stratégie de conquête ».
On attend, pour le moment en vain, une réponse point par point de l’intéressé.
D’autres travaux d’investigation ont été menés par une journaliste libanaise, Lina Murr Nehme. Dans un livre paru en 2017 intitulé « Tariq Ramadan, Tareq Oubrou, Dalil Boubakeur, ce qu’ils cachent », elle « met à nu ces auteurs qui se plaisent à parler dans les médias en France sans rencontrer de personnes capables de les démasquer » selon le site Riposte Laique, un des rares médias à avoir couvert la sortie de l’ouvrage.
« Lina Murr Nehmé dévoile, à la lumière de ses activités, de ses écrits, de ses déclarations publiques et officieuses, l’art et le génie de la force de manipulation et de dissimulation d’Oubrou, et l’habileté avec laquelle il escamote son propre passé, ses relations et ses convictions ». On est loin du dithyrambe du journal allemand…
En conclusion de son interview, Tareq Oubrou déclare au Süddeutsche Zeitung :
« Les discussions les plus conflictuelles ne portent (…) pas sur la religion, mais sur un fantôme ». Le Süddeutsche Zeitung ne serait-il pas passé à côté d’un fantôme en négligeant un point de vue contradictoire pour dresser le portrait du « prédicateur exemplaire »?
Pour aller plus loin : voir le documentaire réalisé en 2013 par Michael Prazan intitulé « La Confrérie, enquête sur les Frères Musulmans »