The Guardian, célèbre et autrefois honorable journal britannique, a acquis ses titres de noblesse au fil des siècles, est sur le point de fêter ses 200 ans. Sa ligne éditoriale s’était toujours voulue plutôt modérée, classée comme « sociale-libérale », c’est-à-dire centre gauche. C’est pourtant ce même journal qui vient de voir une de ses meilleures chroniqueuses, Suzanne Moore, claquer la porte après une controverse à l’arrière-goût franchement idéologique.
Suzanne Moore, la porte please
Suzanne Moore était considérée comme un excellent élément. Lauréate du prix de la fondation Orwell en 2019, elle était une chroniqueuse reconnue et récompensée, publiant régulièrement. Mais un jour elle publia le papier de trop. Avec une liberté de ton certaine, la chroniqueuse avait rédigé un article dans lequel elle prenait parti pour Selina Todd, professeur d’histoire moderne de l’université d’Oxford. Le tort de cette dernière ? Avoir été « désinvitée » d’une journée commémorative de la libération de la femme après avoir participé à une réunion d’un groupe féministe. Un groupe qui veut exclure les femmes transgenres des luttes féministes, au motif qu’elles sont biologiquement des hommes (pas simple, je sais, ça sent le règlement de comptes).
Trans de tous les pays, unissez-vous
Cela n’a pas manqué de faire réagir les plus engagés qui ont crié à la transphobie. C’est ainsi qu’après la publication de son article intitulé « Women must have the right to organise. We will not be silenced » (Les femmes doivent avoir le droit de s’organiser. Nous ne serons pas réduits au silence) dans lequel on pouvait lire que « si le genre est une construction sociale, le sexe ne l’est pas » ; Suzanne Moore a pu être témoin de la réception, par sa direction, d’une lettre cosignée par 338 de ses collègues qui rejettent en bloc la conclusion de l’article qu’elle avait rédigé puis crient en cœur à la transphobie. La malheureuse journaliste a déclaré qu’elle s’était sentie attaquer comme si elle venait d’écrire Mein Kampf !
The Guardian ? So politically correct !
La rédaction du quotidien a pris un virage particulièrement progressiste depuis quelques années déjà, tant et si bien qu’aujourd’hui les conservateurs britanniques, lorsqu’ils veulent qualifier un « intello de gauche », disent que c’est un « lecteur du Guardian ». Le départ controversé de Suzanne Moore ne fait que souligner une dynamique enclenchée depuis un certain temps. Cela fait également quelques mois que plusieurs collaborateurs transgenres de The Guardian ont quitté la rédaction. Le sujet paraît donc assez sensible pour le journal en cette période.
Rappelons que si l’édition papier de ce journal a chuté de plus de 60% pendant les années 2010 leur site internet était encore le troisième plus visité au monde avec près de 150 millions de visiteurs uniques par mois en 2012, parmi lesquels deux tiers d’étrangers. Ce qui attribue au journal la palme d’un des lectorats les plus cosmopolites du monde.
Trahie par ses collègues
Suzanne Moore a finalement démissionné quelques mois plus tard sans plus d’explications. Tweetant simplement :
https://twitter.com/suzanne_moore/status/1328376117900750851?lang=fr
(j’ai quitté The Guardian. CERTAINES personnes me manqueront beaucoup là-bas. Pour le moment c’est tout ce que je peux dire.). Autrement dit, elle part probablement sans grand regret. Elle ajoutera cependant :
https://twitter.com/suzanne_moore/status/1328413022356983809
(Je me sens comme à mes propres funérailles) et avouera s’être sentie « brimée et trahie par ses collègues ». Elle terminera tout de même sur une note plus positive : « Anyway I will keep writing of course! The efforts to shut me up seem not to have been very well thought through » (Peu importe je continuerai d’écrire bien sûr ! Les efforts pour me faire taire semblent ne pas avoir été très bien pensés).
La réaction de Suzanne Moore témoigne de son indépendance d’esprit, elle déclarait encore à son chef de rédaction qui voulait déjeuner et discuter avec elle au sujet de la situation : « Je n’ai pas cinq ans, je n’ai pas besoin d’une gentille tape sur la tête et qu’on me donne un burger vegan. »
Un journaliste du média The Spectator a écrit par la suite que le départ d’une telle journaliste « diminuait » la rédaction de The Guardian qui subissait une « étroitesse et peut-être même une fermeture d’esprit journalistique ». On ne saurait mieux dire.