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Tribune : la liberté d’expression en Afrique de l’ouest

8 septembre 2024

Temps de lecture : 10 minutes
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Tribune : la liberté d’expression en Afrique de l’ouest

Temps de lecture : 10 minutes

L’OJIM a depuis quelques semaines un correspondant en Afrique avec Wapote Gaye, journaliste sénégalais de grande expérience. Il s’exprime ici librement dans une tribune personnelle pour la liberté de la presse en Afrique.

Afrique de l’Ouest : Liberté d’expression et exercice de la presse en zone de turbulence

Sans lib­erté d’expression, il ne peut donc pas y avoir de démoc­ra­tie. En effet, la lib­erté du débat per­met aux citoyens de se forg­er une opin­ion sur les par­tis qui se présen­tent aux élec­tions, de pren­dre des déci­sions en toute con­nais­sance de cause et d’exercer plus effi­cace­ment leurs devoirs de citoyen. En Afrique de l’Ouest, les jour­nal­istes font tou­jours l’objet d’arrestations arbi­traires y com­pris la sus­pen­sion de médias. Pen­dant ce temps, les jour­nal­istes du Sahel souffrent.

La lib­erté de la presse tout comme la démoc­ra­tie dont elle se nour­rit ne se décrète pas une fois pour toutes et par tous les peu­ples. Elle est une quête per­ma­nente sous tous les cieux et quel que ce soit le niveau de développe­ment du pays. Pour un con­ti­nent en crise comme l’Afrique, car­ac­térisé dans cer­tains cas par le secret de la démoc­ra­tie et les réflex­es résidu­els de l’État d’exception, dans d’autres cas par les con­flits armés dans le Sahel et un peu partout par la “mal gou­ver­nance”, la lib­erté de la presse est sou­vent mise à rude épreuve, non seule­ment par les pou­voirs mais aus­si par toutes les forces qui exer­cent sur elle des pres­sions multiformes.

Les principes fondamentaux de la liberté de la presse

Les orig­ines de la lib­erté de la presse sont loin­taines. Dans l’histoire de toutes les sociétés, on trou­ve des références aux con­di­tions d’exercice de la lib­erté d’expression quels que soient les out­ils util­isés. Toute­fois, la reven­di­ca­tion de la lib­erté de la presse a été notam­ment for­mulée lors de la Révo­lu­tion française. L’article 11 de la déc­la­ra­tion des droits de l’homme et des citoyens stip­ule que la libre com­mu­ni­ca­tion des pen­sées et des opin­ions est un des droits les plus pré­cieux de l’homme, tout citoyen peut donc par­ler, écrire, imprimer libre­ment sauf à répon­dre de l’abus de cette lib­erté dans les cas déter­minés par la loi.

La déc­la­ra­tion uni­verselle des droits de l’homme du 10 décem­bre 1948 en son arti­cle 19 affirme : « tout indi­vidu a droit à la lib­erté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opin­ions et celui de chercher, de recevoir ou de répon­dre, sans con­sid­éra­tion de fron­tières, les infor­ma­tions et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ».

Donc, la lib­erté de la presse serait ce souf­fle qui donne la vie à la démoc­ra­tie. Elle est fon­da­men­tale­ment un des piliers de la démocratie.

Rôle des journalistes dans le bon fonctionnement de la démocratie

Elle per­met de dis­pos­er d’une infor­ma­tion fiable réal­isée par des jour­nal­istes jouis­sant d’une réelle lib­erté d’opinion. Chaque citoyen peut ain­si pren­dre con­nais­sance des poli­tiques menées, les juger et les com­par­er avec celle d’autres pays, de cou­vrir les propo­si­tions alter­na­tives des opposants.

Pre­mière­ment, cela garan­tit que tous les citoyens font des choix respon­s­ables et éclairés plutôt que d’agir par igno­rance ou par désinformation.

Deux­ième­ment, l’information rem­plit une « fonc­tion de con­trôle » en garan­tis­sant que les représen­tants élus respectent leur ser­ment d’office et exé­cu­tent les souhaits de ceux qui les ont élus.

La liberté de la presse en Afrique

La prob­lé­ma­tique de la lib­erté de la presse en Afrique se pose au regard de nom­breuses con­sid­éra­tions d’ordre poli­tique, économique et cul­turel. Com­ment par­ler de la lib­erté de la presse au Rwan­da par exem­ple, où nous avons en mémoire la pro­pa­gande géno­cidaire des médias dont les con­séquences ont été dévas­ta­tri­ces pour le pays.

Com­ment par­ler de la lib­erté de la presse dans les pays où les ques­tions sen­si­bles comme la reli­gion entraî­nent, pour un mot mal placé, une ter­ri­ble défla­gra­tion comme c’est le cas au Niger ou au Nige­ria. Alors, faut-il trou­ver des excus­es dans tous ses pays où la lib­erté de la presse est bafouée en continu ?

La junte du Niger massacre la presse

« Le mépris du droit à la lib­erté d’expression et à la lib­erté de la presse, ain­si que du tra­vail des jour­nal­istes se man­i­feste à un moment où la pop­u­la­tion a besoin d’informations justes sur le con­flit et sur la réponse apportée par les autorités de tran­si­tion. Nous deman­dons aux autorités nigéri­ennes de libér­er sans con­di­tion les jour­nal­istes arrêtés et détenus pour avoir exer­cé leur droit à la lib­erté d’expression ou pour avoir traité d’informations sen­si­bles d’intérêt pub­lic » se plaint Sami­ra Daoud, Direc­trice du bureau région­al d’Amnesty inter­na­tion­al pour l’Afrique de l’Ouest et du centre.

Joint au télé­phone, un con­frère nigérien par­le sous l’anonymat pour rai­son de sécu­rité. Il fait croire que « la junte du Niger veut instau­r­er la dic­tature ». Selon lui « cela ne doit pas prospér­er ». Car, dit-il, « les jour­nal­istes ont le droit de faire libre­ment leur tra­vail en infor­mant juste et vrai. Illus­trant ses pro­pos, il déclare à nos soins que « la presse demeure alors que les mil­i­taires quit­teront un jour ou l’autre le pou­voir ». Il exhorte à ce que l’on respecte la presse qui, dit-il, joue un rôle cru­cial dans le bon fonc­tion­nement d’une démoc­ra­tie. Compte tenu de tout cela, Amnesty Inter­na­tion­al inter­pelle la junte du Niger pour le respect des citoyens.

Pour rap­pel le 24 avril 2024, le Directeur de Pub­li­ca­tion du jour­nal l’enquêteur Soumana Maiga a été mis aux arrêts parce que tout sim­ple­ment, il avait pub­lié un arti­cle pour inter­peller sur l’installation pré­sumée d’équipements d’écoute par des agents mis­es sur des bâti­ments offi­ciels de l’État. On l’a envoyé en prison pour atteinte à la défense nationale. Si la presse du Niger ne se lève pour com­bat­tre cela, le con­frère du Niger risque un empris­on­nement de dix ans s’il est recon­nu coupable. Pour dire vrai, les droits humains sont totale­ment bafoués dans ce pays.

Assimi Goita et Dombya sont-ils des sanguinaires ?

Au Mali ou en Guinée, la sit­u­a­tion est plus grave dans ses deux pays. Aucun jour­nal­iste n’a plus le courage d’informer libre­ment le peu­ple. On fait con­stater des pres­sions poli­tiques, intim­i­da­tions, sus­pen­sions de médias et arresta­tions arbi­traires sont autant d’atteintes graves qui com­pro­met­tent leur capac­ité à jouer pleine­ment leur rôle d’informer impar­tiale­ment le pub­lic sur les événe­ments et les faits d’intérêt pub­lic. Dans ses deux pays, les jour­nal­istes refusent de par­ler et cer­tains com­men­cent à le quit­ter pour se ren­dre dans d’autres pays de la sous-région. C’est la rai­son pour laque­lle, la cel­lule Nor­bet Zon­go pour le jour­nal­isme d’investigation en Afrique de l’Ouest et le cen­tre inter­na­tion­al pour la sécu­rité des lanceurs d’alerte et des jour­nal­istes (WAJSIC) expri­ment leur pro­fonde inquié­tude face à la détéri­o­ra­tion de la lib­erté d’expression et de la presse en Afrique de l’Ouest et par­ti­c­ulière­ment le Sahel. Le con­texte de la sous-région par­ti­c­ulière­ment dans la par­tie du sahéli­enne fait peur, il y a une insta­bil­ité totale.

Inter­pel­lé sur le cas de ses deux pays avec le Séné­gal, le jour­nal­iste Abdoulaye Timera répond : « com­para­i­son n’est pas rai­son. Nous n’avons pas les mêmes for­mats, la même con­fig­u­ra­tion ou de régime » dit-il. À l’en croire, « au Séné­gal, les élec­tions se sont organ­isées en bonne et due forme en élisant démoc­ra­tique­ment un Prési­dent de la République » dit-il. Par con­tre, renchérit-il, « la Guinée ou le Mali, ses deux pays sont divisés par la junte mil­i­taire ». Selon lui, « pour le sol­dat sa règle c’est le droit ». Et de pré­cis­er : « au Séné­gal, on ne peut pas crier au scan­dale par rap­port à ces deux pays » tient-il à pré­cis­er. Con­cer­nant la fer­me­ture des médias, il invite à se pos­er des ques­tions. C’est pour voir si les médias respectent les cahiers des charges.

Des atteintes à la liberté de la presse

Les atteintes à la lib­erté de la presse en Afrique sont mul­ti­formes. Il s’agit :

  • D’in­ter­pel­la­tions de journalistes ;
  • De la saisie des journaux ;
  • De sus­pen­sions d’émissions radios ;
  • De l’emprisonnement de journalistes ;
  • D’as­sas­si­nats de journalistes.

Interview avec Sama Kingsley Directeur de Publication du journal voix d’Afrique au Togo

Joint au télé­phone par nos soins, Sama Kings­ley, directeur de pub­li­ca­tion du jour­nal Voix d’Afrique, a accep­té de répon­dre à nos ques­tions pour se pronon­cer sur la lib­erté d’expression en Afrique de l’ouest et du sahel.

OJIM : Com­ment voyez-vous la lib­erté d’ex­pres­sion et la presse en Afrique de l’ouest ?

Sama Kings­ley : En ce qui con­cerne la lib­erté d’ex­pres­sion et la presse en Afrique de l’ouest de manière générale, la sit­u­a­tion est mit­igée dans la sous-région. Cer­tains pays comme le Bénin, le Séné­gal et le Cap-Vert offrent plus de lib­ertés aux médias, tan­dis que d’autres comme la Guinée, le Togo ou le Niger font face à davan­tage de restric­tions. Égale­ment, les défis inclu­ent les pour­suites judi­ci­aires con­tre les jour­nal­istes, les arresta­tions arbi­traires, la cen­sure et l’ac­cès lim­ité à l’in­for­ma­tion publique. Cepen­dant, on observe aus­si des pro­grès ces dernières années avec une presse plus dynamique et cri­tique dans cer­tains pays.

OJIM : Y a‑t-il un risque à être jour­nal­iste dans la sous-région ? Selon vous quelles sont les conséquences ?

Sama Kings­ley : Mal­heureuse­ment, être jour­nal­iste dans cer­taines par­ties de l’Afrique de l’ouest com­porte des risques sub­stantiels. Des arresta­tions, agres­sions, enlève­ments et même meurtres de reporters ont été rap­portés, surtout dans les zones de con­flit. Les con­séquences peu­vent être graves, par exem­ple les trau­ma­tismes, empris­on­nements, amendes, inter­dic­tions de tra­vailler, voire la mort dans les cas les plus extrêmes. Cela crée un cli­mat d’au­to­cen­sure et d’in­tim­i­da­tion pour l’ensem­ble de la profession.

OJIM : Quel est votre avis con­cer­nant ceux qui tra­vail­lent dans le Sahel ?

Sama Kings­ley : La sit­u­a­tion est par­ti­c­ulière­ment préoc­cu­pante dans les pays du Sahel en rai­son de l’in­sécu­rité liée aux groupes armés. Les jour­nal­istes y font face à de nom­breuses men­aces et restric­tions, ren­dant leur tra­vail extrême­ment périlleux. En plus des risques physiques, ils subis­sent aus­si des pres­sions poli­tiques et économiques qui lim­i­tent leur capac­ité à rap­porter libre­ment les infor­ma­tions. L’ac­cès aux zones de con­flit est égale­ment très dif­fi­cile. Pour finir, bien que la sit­u­a­tion varie selon les pays, la lib­erté de la presse en Afrique de l’ouest reste frag­ile et com­porte de sérieux défis, en par­ti­c­uli­er dans les régions en proie à l’in­sta­bil­ité et aux violences.

Démocratie rime avec médias libres

La lib­erté d’expression va de pair avec la lib­erté de la presse, car si « la libre com­mu­ni­ca­tion des pen­sées et des opin­ions est un des droits les plus pré­cieux de l’homme », tout citoyen peut donc par­ler, écrire, imprimer. Le philosophe Emmanuel Kant dis­ait : « le plu­ral­isme étant le plus sûr élé­ment pour éval­uer la vital­ité d’une démoc­ra­tie ». Ain­si une démoc­ra­tie rime avec des médias libres et indépen­dants car, plus les médias sont indépen­dants, plus la démoc­ra­tie tant vers un proces­sus de con­sol­i­da­tion. Mais, depuis plus d’une décen­nie, le secteur de la presse tra­verse des dif­fi­cultés. Les trans­for­ma­tions opérées par les tech­nolo­gies de l’information ont aus­si créé des boule­verse­ments dans nos vies mais aus­si dans les médias.

La liberté d’expression, un défi pour la démocratie sénégalaise

Mal­gré les avancées notoires dans le domaine des droits humains et de la démoc­ra­tie en Afrique, la lib­erté d’expression con­tin­ue d’être con­testée voire mal­menée par les pou­voirs publics dans beau­coup de pays de la région. Les acquis des dernières décen­nies risquent d’être remis en ques­tion si les gou­verne­ments africains ne recon­nais­sent pas la lib­erté d’expression comme étant par­tie inté­grante du jeu démoc­ra­tique, du proces­sus de développe­ment et d’épanouissement des pop­u­la­tions africaines.

Wapote Gaye,
Cor­re­spon­dant OJIM en Afrique