L’OJIM a depuis quelques semaines un correspondant en Afrique avec Wapote Gaye, journaliste sénégalais de grande expérience. Il s’exprime ici librement dans une tribune personnelle pour la liberté de la presse en Afrique.
Afrique de l’Ouest : Liberté d’expression et exercice de la presse en zone de turbulence
Sans liberté d’expression, il ne peut donc pas y avoir de démocratie. En effet, la liberté du débat permet aux citoyens de se forger une opinion sur les partis qui se présentent aux élections, de prendre des décisions en toute connaissance de cause et d’exercer plus efficacement leurs devoirs de citoyen. En Afrique de l’Ouest, les journalistes font toujours l’objet d’arrestations arbitraires y compris la suspension de médias. Pendant ce temps, les journalistes du Sahel souffrent.
La liberté de la presse tout comme la démocratie dont elle se nourrit ne se décrète pas une fois pour toutes et par tous les peuples. Elle est une quête permanente sous tous les cieux et quel que ce soit le niveau de développement du pays. Pour un continent en crise comme l’Afrique, caractérisé dans certains cas par le secret de la démocratie et les réflexes résiduels de l’État d’exception, dans d’autres cas par les conflits armés dans le Sahel et un peu partout par la “mal gouvernance”, la liberté de la presse est souvent mise à rude épreuve, non seulement par les pouvoirs mais aussi par toutes les forces qui exercent sur elle des pressions multiformes.
Les principes fondamentaux de la liberté de la presse
Les origines de la liberté de la presse sont lointaines. Dans l’histoire de toutes les sociétés, on trouve des références aux conditions d’exercice de la liberté d’expression quels que soient les outils utilisés. Toutefois, la revendication de la liberté de la presse a été notamment formulée lors de la Révolution française. L’article 11 de la déclaration des droits de l’homme et des citoyens stipule que la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme, tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi.
La déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 en son article 19 affirme : « tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir ou de répondre, sans considération de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ».
Donc, la liberté de la presse serait ce souffle qui donne la vie à la démocratie. Elle est fondamentalement un des piliers de la démocratie.
Rôle des journalistes dans le bon fonctionnement de la démocratie
Elle permet de disposer d’une information fiable réalisée par des journalistes jouissant d’une réelle liberté d’opinion. Chaque citoyen peut ainsi prendre connaissance des politiques menées, les juger et les comparer avec celle d’autres pays, de couvrir les propositions alternatives des opposants.
Premièrement, cela garantit que tous les citoyens font des choix responsables et éclairés plutôt que d’agir par ignorance ou par désinformation.
Deuxièmement, l’information remplit une « fonction de contrôle » en garantissant que les représentants élus respectent leur serment d’office et exécutent les souhaits de ceux qui les ont élus.
La liberté de la presse en Afrique
La problématique de la liberté de la presse en Afrique se pose au regard de nombreuses considérations d’ordre politique, économique et culturel. Comment parler de la liberté de la presse au Rwanda par exemple, où nous avons en mémoire la propagande génocidaire des médias dont les conséquences ont été dévastatrices pour le pays.
Comment parler de la liberté de la presse dans les pays où les questions sensibles comme la religion entraînent, pour un mot mal placé, une terrible déflagration comme c’est le cas au Niger ou au Nigeria. Alors, faut-il trouver des excuses dans tous ses pays où la liberté de la presse est bafouée en continu ?
La junte du Niger massacre la presse
« Le mépris du droit à la liberté d’expression et à la liberté de la presse, ainsi que du travail des journalistes se manifeste à un moment où la population a besoin d’informations justes sur le conflit et sur la réponse apportée par les autorités de transition. Nous demandons aux autorités nigériennes de libérer sans condition les journalistes arrêtés et détenus pour avoir exercé leur droit à la liberté d’expression ou pour avoir traité d’informations sensibles d’intérêt public » se plaint Samira Daoud, Directrice du bureau régional d’Amnesty international pour l’Afrique de l’Ouest et du centre.
Joint au téléphone, un confrère nigérien parle sous l’anonymat pour raison de sécurité. Il fait croire que « la junte du Niger veut instaurer la dictature ». Selon lui « cela ne doit pas prospérer ». Car, dit-il, « les journalistes ont le droit de faire librement leur travail en informant juste et vrai. Illustrant ses propos, il déclare à nos soins que « la presse demeure alors que les militaires quitteront un jour ou l’autre le pouvoir ». Il exhorte à ce que l’on respecte la presse qui, dit-il, joue un rôle crucial dans le bon fonctionnement d’une démocratie. Compte tenu de tout cela, Amnesty International interpelle la junte du Niger pour le respect des citoyens.
Pour rappel le 24 avril 2024, le Directeur de Publication du journal l’enquêteur Soumana Maiga a été mis aux arrêts parce que tout simplement, il avait publié un article pour interpeller sur l’installation présumée d’équipements d’écoute par des agents mises sur des bâtiments officiels de l’État. On l’a envoyé en prison pour atteinte à la défense nationale. Si la presse du Niger ne se lève pour combattre cela, le confrère du Niger risque un emprisonnement de dix ans s’il est reconnu coupable. Pour dire vrai, les droits humains sont totalement bafoués dans ce pays.
Assimi Goita et Dombya sont-ils des sanguinaires ?
Au Mali ou en Guinée, la situation est plus grave dans ses deux pays. Aucun journaliste n’a plus le courage d’informer librement le peuple. On fait constater des pressions politiques, intimidations, suspensions de médias et arrestations arbitraires sont autant d’atteintes graves qui compromettent leur capacité à jouer pleinement leur rôle d’informer impartialement le public sur les événements et les faits d’intérêt public. Dans ses deux pays, les journalistes refusent de parler et certains commencent à le quitter pour se rendre dans d’autres pays de la sous-région. C’est la raison pour laquelle, la cellule Norbet Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest et le centre international pour la sécurité des lanceurs d’alerte et des journalistes (WAJSIC) expriment leur profonde inquiétude face à la détérioration de la liberté d’expression et de la presse en Afrique de l’Ouest et particulièrement le Sahel. Le contexte de la sous-région particulièrement dans la partie du sahélienne fait peur, il y a une instabilité totale.
Interpellé sur le cas de ses deux pays avec le Sénégal, le journaliste Abdoulaye Timera répond : « comparaison n’est pas raison. Nous n’avons pas les mêmes formats, la même configuration ou de régime » dit-il. À l’en croire, « au Sénégal, les élections se sont organisées en bonne et due forme en élisant démocratiquement un Président de la République » dit-il. Par contre, renchérit-il, « la Guinée ou le Mali, ses deux pays sont divisés par la junte militaire ». Selon lui, « pour le soldat sa règle c’est le droit ». Et de préciser : « au Sénégal, on ne peut pas crier au scandale par rapport à ces deux pays » tient-il à préciser. Concernant la fermeture des médias, il invite à se poser des questions. C’est pour voir si les médias respectent les cahiers des charges.
Des atteintes à la liberté de la presse
Les atteintes à la liberté de la presse en Afrique sont multiformes. Il s’agit :
- D’interpellations de journalistes ;
- De la saisie des journaux ;
- De suspensions d’émissions radios ;
- De l’emprisonnement de journalistes ;
- D’assassinats de journalistes.
Interview avec Sama Kingsley Directeur de Publication du journal voix d’Afrique au Togo
Joint au téléphone par nos soins, Sama Kingsley, directeur de publication du journal Voix d’Afrique, a accepté de répondre à nos questions pour se prononcer sur la liberté d’expression en Afrique de l’ouest et du sahel.
OJIM : Comment voyez-vous la liberté d’expression et la presse en Afrique de l’ouest ?
Sama Kingsley : En ce qui concerne la liberté d’expression et la presse en Afrique de l’ouest de manière générale, la situation est mitigée dans la sous-région. Certains pays comme le Bénin, le Sénégal et le Cap-Vert offrent plus de libertés aux médias, tandis que d’autres comme la Guinée, le Togo ou le Niger font face à davantage de restrictions. Également, les défis incluent les poursuites judiciaires contre les journalistes, les arrestations arbitraires, la censure et l’accès limité à l’information publique. Cependant, on observe aussi des progrès ces dernières années avec une presse plus dynamique et critique dans certains pays.
OJIM : Y a‑t-il un risque à être journaliste dans la sous-région ? Selon vous quelles sont les conséquences ?
Sama Kingsley : Malheureusement, être journaliste dans certaines parties de l’Afrique de l’ouest comporte des risques substantiels. Des arrestations, agressions, enlèvements et même meurtres de reporters ont été rapportés, surtout dans les zones de conflit. Les conséquences peuvent être graves, par exemple les traumatismes, emprisonnements, amendes, interdictions de travailler, voire la mort dans les cas les plus extrêmes. Cela crée un climat d’autocensure et d’intimidation pour l’ensemble de la profession.
OJIM : Quel est votre avis concernant ceux qui travaillent dans le Sahel ?
Sama Kingsley : La situation est particulièrement préoccupante dans les pays du Sahel en raison de l’insécurité liée aux groupes armés. Les journalistes y font face à de nombreuses menaces et restrictions, rendant leur travail extrêmement périlleux. En plus des risques physiques, ils subissent aussi des pressions politiques et économiques qui limitent leur capacité à rapporter librement les informations. L’accès aux zones de conflit est également très difficile. Pour finir, bien que la situation varie selon les pays, la liberté de la presse en Afrique de l’ouest reste fragile et comporte de sérieux défis, en particulier dans les régions en proie à l’instabilité et aux violences.
Démocratie rime avec médias libres
La liberté d’expression va de pair avec la liberté de la presse, car si « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme », tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer. Le philosophe Emmanuel Kant disait : « le pluralisme étant le plus sûr élément pour évaluer la vitalité d’une démocratie ». Ainsi une démocratie rime avec des médias libres et indépendants car, plus les médias sont indépendants, plus la démocratie tant vers un processus de consolidation. Mais, depuis plus d’une décennie, le secteur de la presse traverse des difficultés. Les transformations opérées par les technologies de l’information ont aussi créé des bouleversements dans nos vies mais aussi dans les médias.
La liberté d’expression, un défi pour la démocratie sénégalaise
Malgré les avancées notoires dans le domaine des droits humains et de la démocratie en Afrique, la liberté d’expression continue d’être contestée voire malmenée par les pouvoirs publics dans beaucoup de pays de la région. Les acquis des dernières décennies risquent d’être remis en question si les gouvernements africains ne reconnaissent pas la liberté d’expression comme étant partie intégrante du jeu démocratique, du processus de développement et d’épanouissement des populations africaines.
Wapote Gaye,
Correspondant OJIM en Afrique