À la suite de l’invasion du Capitole à Washington par des manifestants pro Trump, nous publions en tribune libre un article qui pour une fois ne traitera pas des médias mais de la situation générale aux États-Unis, le tout sous la signature de notre correspondant en Amérique du Nord. Les intertitres sont de la rédaction.
La réalité dépasse la fiction
Un roman (1) paru il y a trois ans, Combat pour l’Hémisphère Nord, envisageait la chute des États-Unis en 2035. Ce n’est peut-être plus de la fiction. Lorsqu’un régime est perçu comme tyrannique, lorsque la révolte gronde, lorsque les élites ne comprennent plus qu’elles ont atteint leur date de péremption, lorsqu’elles sont aveugles aux évolutions du monde et se crispent, lorsque les castes défiscalisées alourdissent le fardeau des contribuables, lorsque les états ne sont plus que les courroies de transmission des ploutocrates, l’on réalise alors que la prophétie marxiste de l’accumulation du capital s’est enfin réalisée.
Création de l’homme nouveau
Car c’est bien l’übercapitalisme technétronique qui se débarrasse de Donald Trump. Désormais plus fort que les États, plus significatif que les étiquettes politiques, allié au grand stratège chinois, il se consacre à l’adoration du veau d’or qui déstructure le monde. Il fabrique un nouvel être humain, exsangue, sans famille ni mémoire, avide de lendemains qui chantent comme de satisfactions instantanées, adorateur de la morale du ressentiment, prompt à la dénonciation afin de mériter la prochaine gratification.
Trump entre deux feux
Aux États-Unis, traditionnellement, le parti démocrate, avec ses alliés médiatiques, avait pour job de protéger les ploutocrates, d’abord en assurant la police religieuse (intimidation idéologique), puis en achetant la paix avec la caste des intouchables, traditionnellement les minorités raciales. Le parti républicain, lui, se devait d’acheter la paix avec les patrons d’entreprises et la classe moyenne. Tout en vendant la guerre à l’extérieur, essentiellement au profit des mêmes ploutocrates. Ils ont écrasé Trump.
Des alliés de circonstance, un roi délaissé
Oublions le harcèlement, les trahisons et les sales coups dont Trump a été victime. Un Xi Jinping ou un Poutine aurait non seulement survécu mais surtout renforcé son pouvoir. Pas Trump. En transposant la Trump Tower à la Maison Blanche, en se privant de son controversé idéologue (Steve Bannon) sous l’influence du « complexe Javanka » (son gendre Jared et sa fille Ivanka), en cédant aux néoconservateurs, en oubliant sa campagne populiste de 2016 qui clairement désignait les élites richissimes comme l’ennemi de la population, Narcisse s’est fourvoyé en refaisant la campagne 2012 « anti-gauche » de Mitt Romney. Il a cloué son cercueil et a travaillé pour le roi de Prusse.
Les intégristes évangélistes ont ainsi gagné des juges qui les soutiendront. Pas lui. Le complexe militaro-industriel a gagné un outil militaire tout neuf. Pas lui. Les laboratoires pharmaceutiques ont gagné le marché du siècle. Pas lui. Netanyahu a gagné un superbe accord de paix préfinancé. Pas lui. Les grands conglomérats ont gagné un plan pluriannuel d’exemptions fiscales puis ont essentiellement financé les démocrates. Pas lui. Il a voulu créer un mouvement pour 2024 autour de ses 75 millions d’électeurs tout en détruisant l’establishment républicain. Pas pu !
Direction 1984 ?
Les américains vont désormais vivre derrière un nouveau rideau de fer psychique, sans moyen de communiquer entre eux, comprimés entre censure médiatique et surveillance policière. De nouvelles lois électorales et de nouveaux découpages vont pérenniser le brillant galop d’essai de la récente présidentielle, faisant du parti démocrate le « parti unique ». De nouvelles mesures antiterroristes vont être votées pour amplifier les effets du Patriot Act de George W. Bush et mettre la moitié des américains sous observation. Direction 1984 ou ultime chant du cygne d’un empire passé directement de l’immaturité à la décadence ?
De notre correspondant en Amérique du Nord, Erkan Ormanalara
- André Archimbaud, Combat pour l’hémisphère Nord, l’amour d’Ariane, 2018, broché, Avatar éditions, 184 p., 17€