Première diffusion le 06/07/2019
A la suite de notre article sur les réactions des médias sur l’invitation de Marion Maréchal, envoyée puis retirée par le Medef, nous avons reçu une lettre de lecteur. Assez différente par la forme du ton habituel de l’Observatoire, nous la publions telle quelle en tribune libre.
« Quelle mouche a donc piqué Alain Duhamel ? Outré que le MEDEF ait pu inviter Marion Maréchal, et sans doute vexé de n’avoir lui-même jamais bénéficié de cet honneur, il s’est attaqué à elle au micro de RTL, dans l’émission On Refait le Monde du 28 juin 2019, en visant tout particulièrement l’institut des sciences sociales, économiques et politiques (ISSEP), cette école qu’elle a jeté sur les fonts baptismaux à Lyon, en 2018.
Voyons donc comment Alain Duhamel refait le monde… Évoquant celle qui fut la plus jeune députée de l’histoire de la République française, sans que ce record ait été depuis battu, il s’interroge sur ce qu’elle peut avoir à dire en économie, à des chefs d’entreprise, et se demandant « quelle est sa compétence, quelle est sa culture, quel est son acquis, quelle est son expérience ? », il trouve très vite la réponse : « dans tous ces domaines, c’est zéro ! » Patrick Poivre d’Arvor, présent sur le plateau, se risquant à lui faire remarquer qu’elle venait de créer une école, Duhamel écarte très vite l’objection : « une école lamentable, avec une vingtaine d’étudiants (…) de niveau académique à pleurer de rire, avec des conférenciers qui disent tous la même chose, c’est-à-dire rien », et de conclure « franchement, c’est pas Harvard, son école » !
Même si sa charge ne s’embarrasse pas de nuances, notons que, pour la chute, Duhamel s’est un peu retenu… Sans doute n’a‑t-il pas osé dire ce qu’il pensait très fort, en songeant à la seule école d’enseignement supérieur par laquelle il est péniblement passé, nous verrons dans quelles conditions, et dont il tente de tirer toute sa légitimité académique : « c’est pas Sciences-Po, son école », voulait-il dire ! Et pourtant… Si Alain Duhamel s’était un minimum renseigné, ce que nous avons pour notre part fait, il se serait rendu compte qu’avec près de 80 étudiants inscrits (une quinzaine en magistère 1 et plus de soixante en formation continue) dès sa première année d’existence, et non pas « une vingtaine », l’ISSEP détient précisément le même nombre d’étudiants que ceux qui étaient présents à Paris, rue Saint-Guillaume, la première année de la création de l’École libre des sciences politiques (Sciences-Po), en 1872, par Émile Boutmy.
Pour ce qui est du niveau académique des étudiants de l’ISSEP, il est, lors de leur admission à l’école, de niveau Bac + 3, c’est-à-dire, comme nous le verrons, le diplôme académiquement reconnu le plus élevé que détient aujourd’hui Alain Duhamel… Pour ce qui le concerne, et compte-tenu de la place qu’il s’efforce d’occuper dans l’espace médiatique, il faut bien admettre que c’est « à pleurer de rire » ! Les conférenciers de l’ISSEP ? Une rapide recherche permet déjà d’identifier, parmi les intervenants de cette école, l’historien Édouard Husson et l’expert en relations internationales Pascal Gauchon, fondateur de la revue Conflits, qui a notamment eu comme élève Maxime Lefebvre, auteur de l’ouvrage de référence Le jeu du droit et de la puissance, que s’arrachent tous les étudiants qui doivent se confronter aux concours les plus exigeants en matière de relations internationales. Compte-tenu des spécificités de leurs domaines respectifs d’expertise, Pascal Gauchon et Édouard Husson ne sont pas totalement identifiés comme disant « la même chose », et encore moins « rien ». Mais pour comprendre cela, sans doute ne faut-il pas avoir, des relations internationales et de l’histoire, une vision à la Duhamel qui le conduisait tantôt à pousser à une intervention française contre la Syrie ou à se montrer complaisant avec Bernard Henri-Lévy, le va-t-en-guerre de la Libye.
Et Alain Duhamel, « quelle est sa compétence, quelle est sa culture, quel est son acquis, quelle est son expérience » ? Appliquons cette intéressante question à deux domaines, les sciences politiques et la morale, mis en exergue par l’Académie des sciences morales et politiques, cette institution qui a recruté Duhamel comme membre depuis 2012, ce qu’il ne manque jamais de mentionner avec fierté dès que possible. Demandons-nous un instant ce qu’il peut bien avoir à dire au sein de ce cénacle. Toute l’expérience de Duhamel s’est limitée, dans les colonnes du Monde, de Libération, puis sur les plateaux de radio et de télévision auquel les postes de direction occupés dans les médias par son frère Patrice lui donnaient accès, à abonder dans le sens des idées du moment, enfoncer des portes ouvertes et relayer les injonctions du pouvoir. Il n’y a donc pas grand-chose à apprendre de ce côté-là, même si cela révèle déjà quelque chose en matière de morale.
Intéressons-nous alors à « sa compétence », « sa culture », « son acquis » en nous penchant sur les études effectuées par Duhamel. Son bagage académique se résume à… Sciences-Po, et c’est tout. Tout de même, pourrait-on penser, la sélection, le concours d’entrée, le prérequis de la mention au Bac comme base du recrutement, ce n’est pas n’importe quelle école ! Sauf que… Lorsqu’Alain Duhamel, qui appartient à la promotion sortie en 1962 de la filière « service public », entre à Sciences-Po, cette école ne pratique encore aucune sélection : tous ceux qui frappent à la porte, avec un Bac en poche, peuvent y entrer. Il suffit d’avoir un peu de temps devant soi et des parents suffisamment riches pour financer les études de leur progéniture, à une époque où les études supérieures sont encore loin d’être généralisées ou identifiées comme un préalable nécessaire avant l’entrée dans la vie active. Il faut donc une motivation, pour faire des études supérieures… Chez Duhamel, on la comprend vite : né en 1940, il appartient, en 1961, à une classe d’âge mobilisable pour la guerre d’Algérie. L’objection de conscience n’étant pas encore un motif permettant d’échapper à ses devoirs de citoyen, une solution s’impose d’elle-même : devenir étudiant ! Le moins que l’on puisse dire est qu’Alain eût de la suite dans les idées, puisqu’il s’est même consacré à animer, en y occupant les fonctions de vice-président, l’Union antifasciste de Sciences-Po qui militait, au sein de l’établissement de la rue Saint Guillaume, contre la guerre d’Algérie. De là à imaginer que lui et ses camarades « antifa » cherchaient surtout à maquiller leur manque de courage derrière un mobile politique, il n’y a qu’un pas que chacun, ici, sera libre de franchir. « Antifa », à une époque où le souvenir de l’occupation est encore présent chez les ainés, ça a tout de même plus d’allure que « pétochard » ! Peut-être conscient de cette lacune de son CV, Alain Duhamel ira même jusqu’à s’inventer, un demi-siècle plus tard, dans une interview donnée en 2018 dans Émilie Magazine, une revue des alumni de Sciences-Po, un passé de combattant politique, en déclarant que, dans ses activités de militant antifasciste, « les affrontements avaient été beaucoup plus rudes » qu’en mai 68. Difficile de ne pas éclater de rire… Lui et ses camarades antifas auront au moins eu un mérite : avec 2566 élèves au cours de l’année scolaire 1961–62, le renfort des planqués de la guerre conduit l’école à atteindre la limite de ses capacités, en termes d’effectif, ce qui amène le corps professoral, après de vifs débats, à mettre en place, dès 1964, un mode de sélection sur la base d’épreuves d’entrée et de mention réclamée au Bac. Cette sélection donnera pour longtemps au diplôme de Sciences-Po, avant que Richard Descoings ne commence à saper ce principe, une reconnaissance et une qualité unanimement admises, mais postérieures à la sortie de Duhamel de cette école. Sans surprise, l’indigence politique et les résultats scolaires de l’antifa Duhamel le placent à la hauteur de ses alter ego contemporains. Nationalisée en 1945, Sciences-Po est à cette date essentiellement devenue une préparation à l’ENA, créée à la même date et avec laquelle elle se trouve colocalisée. En 1962, la voie naturelle des meilleurs élèves, surtout ceux de la filière « service public » à laquelle appartient Duhamel, est donc de rejoindre l’école de la haute administration d’État. 10 % d’entre eux parviennent à franchir le concours d’entrée, les suivants, près de 40 % des élèves, rejoignent également l’administration, mais par d’autres concours. Loin de tout ça, et peut-être aussi désireux d’affronter un concours que d’être confronté à la guerre aux côtés des appelés de sa classe d’âge, Duhamel préfère de son côté rejoindre le journal Le Monde, dès 1963, avec en poche un diplôme qui n’a guère plus de valeur qu’une attestation de suivi de cours, sans avoir franchi aucune sélection, encore moins avoir été lauréat d’un concours.
Voilà pour « sa compétence » et « sa culture ». Pour « son acquis », la filière « service public » a sans doute conforté le jeune Duhamel dans l’idée que, dans le domaine public, il est plus utile de se servir que de servir. Ce mode singulier de mise en œuvre des sciences morales restera le fil conducteur de toute sa vie. Et, après tout, puisque ce qui fonctionne pour les études ou la carrière professionnelle peut bien s’appliquer pour les honneurs, autant ne pas se priver, ni faire les choses à moitié. Son statut de planqué du service national pendant la guerre d’Algérie ne facilitant pas le port de décorations, et la déontologie journalistique réclamant dans la profession, normalement, une certaine distance vis-à-vis des honneurs octroyés par le pouvoir, Duhamel identifie un artifice lui permettant de contourner ces obstacles administratifs et moraux afin d’entrer dans l’ordre de la Légion d’Honneur, la plus haute distinction française, réservée aux citoyens ayant fait preuve de mérites éminents au service de la nation. Il fallait juste trouver les fameux « services éminents ». Or, l’ancien cancre de la rue Saint-Guillaume ayant réussi, dans des circonstances sur lesquelles il se montre d’ailleurs fort peu disert, à obtenir un diplôme de 3ème cycle après de la Fondation nationale des Sciences Politiques qui, bien que dénué de toute reconnaissance académique, lui permet de donner quelques cours dans son ancienne école, le malin Alain profite de ce prétexte pour se faire inscrire par son entregent sur le contingent de la Légion d’Honneur du ministère de l’Éducation Nationale. Et pas qu’une fois ! Duhamel grimpe en effet à une vitesse vertigineuse tous les échelons de cet ordre qui se présentent à lui : Chevalier, Officier, Commandeur, puis Grand Officier en 2016… À cette vitesse, il faut se demander si l’ordre du ruban rouge ne va pas devoir inventer de nouveaux grades pour permettre à Duhamel de poursuivre cette fulgurante progression. Interrogé en 2010 par un journaliste de La Croix qui s’étonne de cette facilité, pour un journaliste, à accepter ce type d’honneur, il trouve vite la réponse : ce n’est pas en tant que journaliste, mais pour ses activités dans l’enseignement, donc ça ne compte pas ! Et de laisser comprendre que, 13 de ses ancêtres ayant été décorés dans cet ordre, il fallait bien qu’il ait aussi droit à son ruban rouge… Là encore, une application bien singulière des sciences morales, surtout quand Duhamel ajoute un dernier motif : le journaliste Jean Lacouture, son idole et son modèle sur lequel on reviendra, a aussi eu droit à la sienne. À titre de comparaison, quand, en 2013, Alain Duhamel est élevé au rang de Commandeur, un jeune officier de l’armée de Terre, le capitaine Patrice Rebout, reçoit à titre posthume le ruban de chevalier de la Légion d’Honneur. Il venait de tomber à Buulo Mareer, dans la nuit somalienne, à la tête de ses hommes, dans un assaut désespéré visant à délivrer un de ses frère d’armes, otage des milices islamistes depuis trois ans et demi.
Patrice Rebout, lui, mesurait pleinement, par son engagement, le sens et le prix du mot « servir ». Mais le grade de commandeur, auquel Duhamel ne s’est pas arrêté, était après tout celui de son modèle Jean Lacouture, journaliste ayant chanté l’entrée du Viet-Cong à Saïgon, puis celle des Khmers rouges à Pnomh Penh. Comme il fallait bien poursuivre sa carrière, Lacouture s’était finalement fendu de quelques excuses, à ce sujet, quand le génocide des Khmers fut révélé, ou quand on finit par se rendre compte que le système concentrationnaire vietnamien, baptisé « la clémence d’Ho Chi Minh » avait sans doute été le plus sanglant de tout l’espace communiste mondial. Mais ça ne l’a pas empêché de récidiver dans les années 90, en apportant son soutien au communiste Georges Boudarel, tortionnaire et assassin de ses propres compatriotes quand il officiait comme commissaire politique dans les camps de la mort vietminh. Commandeur, c’est aussi le grade qui a été finalement accordé au lieutenant-colonel Huynh Ba Xuan, décédé en décembre 2018 : ancien aide de camp du maréchal de Lattre de Tassigny, il avait été capturé au combat en 1953 puis avait passé 23 années de sa vie dans les goulags vietminh, la plus longue détention connue dans cet univers concentrationnaire, pendant que Lacouture chantait des éloges à Ho Chi Minh. Décidément, à la Légion d’Honneur, les zéros de l’histoire trouvent en plus la chance d’y côtoyer ses héros. Peut-être, finalement, que le seul service rendu à la nation par Duhamel aura été, par ses pitreries sur les ondes de RTL, de nous donner l’occasion de rendre hommage au capitaine Patrice Rebout et au Lieutenant-Colonel Huynh Ba Xuan, en citant ici leurs noms.
En attendant, on peut laisser Duhamel continuer à suivre l’exemple de son modèle Jean Lacouture, suffisamment de temps lui a été ici consacré pour se faire une idée précise des apports en sciences morales et en sciences politique que l’académie compétente peut attendre de son membre admis en 2012. Comme il le dit lui-même, « dans tous ces domaines, c’est zéro ! »
Voir aussi : Alain Duhamel, portrait