Mediapart, dans un article écrit par Lénaïg Bredoux, responsable éditoriale sur les « sujets de genre et de violences sexistes et sexuelles », voit dans la victoire de Trump une victoire de la « masculinité toxique. » Dans la théologie wokiste, pourvue de ses péchés et de sa démonologie, la masculinité toxique tient une place de premier rang, qui vaut un détour.
Mad Men, le retour
La série Mad Men, consacrée à l’épopée capitaliste des publicitaires américains des années 50, offre un véritable concentré de « masculinité toxique ». Raison pour laquelle nous sommes allés y chercher la substantifique moelle qui condenserait en une formule cette vision du monde. Le personnage principal nous la dévoile, au détour d’une conversation : « Je parie que pour vous le monde n’est qu’un immense soutien-gorge qui ne demande qu’à être dégraphé. » Ainsi, Mediapart nous rappelle ce propos de Trump, dont l’inélégance ne fait aucun doute, qui date de 2016, où il se vante de « choper les femmes par la chatte. » Les nombreuses maîtresses de Mitterrand – dont le chauffeur racontait qu’il accompagnait une femme différente chaque jour à l’Élysée -, de Giscard et de Chirac, témoignent en faveur d’une longue tradition de masculinité toxique, des deux côtés de l’Atlantique…
American Psycho
Qui se souvient, pour aggraver le cas de Trump, que Bret Easton Ellis avait fait de Patrick Bateman un fanatique du magnat de l’immobilier ? Patrick Bateman, le fameux American Psycho… Dans un essai intitulé White, ultérieur au roman American Psycho, il revient sur le cas Trump et les passions qu’il déchaîne, dont l’article de Mediapart est un échantillon assez typique :
« J’avais fait de Donald Trump le héros de Patrick Bateman dans American Psycho et mené des recherches sur plus d’une de ses odieuses pratiques commerciales […] J’avais lu Trump par Trump et suivi sa trajectoire, et travaillé suffisamment sur le sujet pour faire de Trump un personnage qui allait flotter à travers le roman et être la personne à laquelle Bateman fait constamment référence, qu’il cite et qu’il rêve d’être. […] Peut-être est-ce pour ça que je me suis senti préparé quand le pays a élu Trump. […] On pouvait certainement ne pas aimer le fait qu’il avait été élu et pourtant le comprendre et en saisir la raison, sans pour autant subir un effondrement mental et émotionnel absolu. Chaque fois que j’entendais certaines personnes péter les plombs au sujet de Trump, ma première réaction était toujours : vous avez besoin d’être sous sédatif, vous avez besoin de voir un psy, vous avez besoin d’en finir avec le « grand méchant homme » qui vous aide à concevoir toute votre vie comme un processus de victimisation. »
La réalité contre les fantasmes woke
Si Trump a remporté les élections, ce serait, selon Mediapart, parce qu’il a mené « une campagne viriliste, hostile aux droits des femmes et des personnes LGBTQ+ et d’une misogynie crasse. » Comment ne pas voir, au contraire que, si Trump a gagné, c’est avant tout pour avoir parlé de l’Amérique, du peuple américain, pendant que d’autres le découpaient en tranches, selon les catégories qui les obsèdent, raciale et sexuelle notamment. Catégories abstraites – au sens étymologique du terme, qui font « abstraction » de la totalité, en l’occurrence la nation américaine – auxquelles s’ajoutent une campagne éthérée autour de valeurs également abstraites. Alain de Benoist, dans un entretien accordé au journal Breizh Info, le note très justement :
« C’est aussi la victoire de la référence concrète contre l’abstraction. Trump parlait de l’Amérique, c’est-à-dire d’une réalité bien précise, tandis que son adversaire parlait des grandes notions universelles, la « démocratie », la lutte pour la « liberté », la « civilisation », qui, comme tous les termes qui ne renvoient pas à un contenu particulier, singulier, ne sont que des mantras vides de sens. »
Le virilisme est aussi du côté démocrate
« Trois fois Donald Trump s’est présenté à l’élection présidentielle. Il a toujours gagné quand il a affronté une femme. » Certes, « toujours » ici, veut dire deux fois, Hillary Clinton en 2016, Kamala Harris en 2024… Pas de quoi en tirer des conséquences générales ? Induire de deux événements une loi, c’est un peu court vous ne trouvez pas ? Et pourtant la conclusion est sans appel : « Pour une femme, cela ne suffit jamais. Le plafond de verre est incassable. Pire encore : le virilisme violent est un argument de campagne payant. » Un mot à propos du « virilisme violent » du côté démocrate, lorsque Robert de Niro propose d’en finir avec Trump sur un ring, à coups de poing, et de l’insulter copieusement ? Et que dire de la masculinité toxique d’un Mark Cuban, entrepreneur anti-Trump et pro-Kamala Harris qui a dit qu’on ne trouvait « aucune femme intelligente dans l’entourage de Trump » ? Est-ce que cette masculinité toxique, parce que mise au service du camp démocrate, devient licite, sinon louable ? Est-ce que, rétrospectivement, tout le battage puritain autour des gâteries reçues par Clinton sous le bureau ovale, mériteraient d’être adoubées à cette aune ?
Un morceau de haut comique s’ensuit : « Ses électeurs – et électrices – sont obsédé.es par les transitions de genre, pétri.es d’une transphobie encouragée par les principaux chefs de file du Parti Républicain. » De la part d’une frange politique qui a porté au pinacle la figure du trans, créant une véritable obsession autour d’une minorité infime de la population, pour en faire le porte-étendard de son idéologie, cette accusation ne manque pas d’ironie !
Voir aussi : Médiapart, infographie
Sortir du bunker
Pierre-Yves Pétillon, auteur d’une Histoire de la littérature américaine, résume le roman White Noise, écrit par Don Delillo, écrivain italo-américain, comme suit : « Jack Gladney est un universitaire qui entend dans le « bruit blanc » qui l’entoure le cheminement de la mort. Jusqu’au jour où il devient spécialiste de Hitler et directeur d’un « département d’études hitlériennes » dans son université. Il fait des cours sur la fascination hypnotique exercée par les discours du Führer, par les chants, par les hymnes, les arias du IIIe Reich. Ici, le langage atteint la limite de sa fonction liturgique : Jack Gladney se niche à l’intérieur du nazisme, un système clos qui, par sa cohérence interne, le met à l’abri de la dislocation. […] L’abri de Jack s’écroule le jour où un nuage de gaz toxique échappé d’un wagon accidenté met en alerte le campus : Jack Gladney est brusquement expulsé de son bunker, « exposé » à une destruction qui fait table rase de ses remparts. » Et si ce gaz toxique – cette masculinité toxique selon Mediapart – à savoir la victoire de Trump, tant redoutée, était enfin l’occasion pour cette caste médiatique de sortir de leurs obsessions, de leur bunker, où ils entretiennent la figure fantasmée du croque-mitaine : Hitler ou bien Trump.
Pérorer sur le Titanic
Alain Benoist, pessimiste sur ce point, a déjà répondu dans l’entretien déjà cité plus haut : « Ils ne comprennent pas comme il est seulement possible que Trump l’ait emporté. Plus précisément, ils ne comprennent pas que Trump l’ait emporté, non en dépit, mais bien à cause de tout ce qu’ils trouvent abominable chez lui. Vous avez raison, ces gens-là sont aveugles. Ils sont aveugles parce qu’ils vivent dans l’entre-soi et qu’ils ne parviennent pas à se rendre compte que le monde réel est de moins en moins conforme à leur wishful thinking. Ils sont incorrigibles. Ils dansent et pérorent sur le pont du Titanic, sans voir que le monde est en train de s’effondrer, et que celui qui va lui succéder sera plus dur encore. Ils font sortir des moulins à prière des formules rituelles — « populisme », « discours de haine », « racisme systémique », « masculinité toxique » -, mais tout le monde s’en fout. Laissons-les babiller, laissons-les dormir. L’histoire s’écrit sans eux – ailleurs.
Jean Montalte