Alors que Donald Trump est classé définitivement du côté satanique pour les médias français de grand chemin, qu’en est-il outre-Atlantique? De notre correspondant sur place.
Jeffrey Goldberg, pétard mouillé
Commençons par l’écume des vagues, cet inutile qui nourrit la dernière ligne droite de toute course présidentielle : la bombe médiatique, gardée en réserve le plus tard possible pour faire le maximum de dégâts lorsque l’adversaire monte dans les sondages. Ainsi de l’article de Jeffrey Goldberg paru dans The Atlantic le 3 septembre 2020, repris et amplifié le lendemain par Politico. Bref, Goldberg, apparemment admirateur de feu le sénateur McCain qui haïssait Trump, accuse Trump d’avoir annulé la visite d’un cimetière en France parce que peu lui importait, selon « la source », de se déplacer pour une bande de « loosers » et de « suckers » (poires, gogos, cocus) à savoir les soldats américains morts en 1918. Et Trump aurait ajouté, en colère, que les États-Unis n’auraient jamais dû intervenir dans la première guerre mondiale, s’interrogeant publiquement : « qui étaient les bons, qui étaient les mauvais? ».
La « nouvelle » a ensuite été reprise telle quelle par Le Monde le 6 septembre, accolée à une autre présentant Trump comme convaincu qu’il y avait désormais un ennemi de l’intérieur aux États-Unis. Il parlait de la chienlit urbaine. Le journal titrait « Président Trump, an IV : l’ennemi intérieur ». Passons sur le fait que ce même 6 septembre, le parrain de la guerre d’Irak John Bolton, pourtant adversaire résolu de Trump, infirmait cette « nouvelle » dans l’émission de Martha McCallum sur Fox News (« j’étais là. Le voyage au cimetière d’Aisne-Marne a été annulé à cause du mauvais temps. L’hélicoptère ne pouvait pas voler de façon sécuritaire. Jamais Trump n’a insulté nos soldats »). Passons encore sur le fait qu’à ce jour dix-neuf fonctionnaires ont repris la position de Bolton. Bref, Goldberg a dû s’expliquer.
Qui est l’ennemi?
Ne passons pas sur le fait que Trump, l’ancien populiste devenu conservateur, se trompe d’ennemi intérieur en piochant dans les repoussoirs éculés du socialisme ou du marxisme oubliant que son adversaire objectif est l’ultra-libéralisme capitaliste : cela ne lui donnera pas une victoire suffisante pour absorber la manipulation possible de millions de votes à distance promue par ses adversaires, une grande partie des Etats ayant converti la procédure exceptionnelle du vote par correspondance en procédure ordinaire, automatique, merci COVID!
Et reconnaissons que le Monde, dépositaire des Écritures Saintes, a eu raison sans le savoir : il y a bien un ennemi de l’intérieur aux États-Unis. Ce n’est pas Trump qui voit des ennemis intérieurs partout, c’est le pouvoir de l’Etat profond qui voit en Trump l’ennemi intérieur. Un pouvoir qui avait immédiatement compris que Trump n’était pas une simple anomalie, et qu’il avait ouvert une boite de Pandore qui risquait de lui survivre : le phénix populiste.
Quant aux médias, ils ne comprennent que trop bien pourquoi (ils ont fait Trump!) l’olibrius avait réussi à s’insérer dans la chorégraphie bien orchestrée et respectable d’un show lucratif qui intervient tous les quatre ans, l’élection présidentielle. En bons exécutants, ils ne font que leur travail. On leur dit hier de promouvoir (directement et plus souvent indirectement) Trump, ils le font. On leur dit aujourd’hui de démolir Trump. Ils le font. Mais, pressentent-ils seulement que le pouvoir change, que de nouveaux patrons apparaissent, et que ces derniers finissent toujours par changer de serviteurs? Les médias de grand chemin réalisent-ils qu’il pourraient être un jour obsolètes?
Le patron du patron ?
La question n’est donc pas de savoir qui sera le nouveau patron de la Maison Blanche, mais qui sera le patron du patron, l’État profond ou un composé différent.
Les médias, eux-mêmes en cours de concentration financière, avaient dormi dans le même lit que l’armée pendant les guerres en Irak (on disait que les médias étaient officiellement « embedded ») leur enchâssement, depuis Trump, s’est fixé sur l’État permanent, dit « profond », lui-même enchâssé dans la caste des titans de l’après-guerre : le complexe militaro-industriel.
Pendant quatre ans les médias, troupes auxiliaires, ont soutenu les divisions blindées. Autrement dit les agences de renseignement qui espéraient mettre un terme à l’expérience Trump selon un modèle bien rodé depuis l’époque Juan Perón : sortie d’un document « officiel » venu de nulle part (un rapport, un livre etc.), explosion médiatique, outrage généralisé, supporters ébranlés, commissions d’enquête, limogeage. Bref une orchestration donnant l’apparence de la légalité. Durant cette phase « légale », Trump a eu droit à Muller, qui a fait durer l’affaire suffisamment pour que Trump perde la Chambre des représentants en 2018, et donc se trouve empêtré dans une vraie-fausse procédure d’impeachment, jusqu’à son acquittement par le Sénat le 5 février… après Wuhan.
Pas encore anéanti par la peur de mourir, le peuple américain n’avait pas suivi, voyant dans ces affaires de basses manœuvres du « Swamp » (le marécage de Washington).
Crainte du désordre
Les arguments du complexe militaro-industriel épuisés, il a fallu passer à la coalition antifas-BLM-grandes entreprises de produits de grande consommation, matérielle ou culturelle, tous favorables aux frontières ouvertes (ce qui explique que le Ministre de la Justice, William Barr, parle maintenant de remonter les pistes du financement des désordres afin de déterminer si actes criminels il y a eu). L’objectif de cette phase « pseudo-légale » (le droit de manifester masquant des infractions violentes au code pénal) est de projeter à l’égard de Trump une impression de fin de règne, d’incompétence gestionnaire. Mais aussi de subtilement « faire peur au bourgeois » en exerçant un chantage sur l’électeur : si tu votes Trump, ça va empirer. Kamala Harris (candidate à la vice-présidence de Biden, très proche d’Obama) allant jusqu’à dire qu’il s’agit d’un mouvement qui doit continuer
Donc médiatiquement, on vend à la population l’image d’un président qui n’est pas clair dans sa relation avec les Russes (on commence à dire que ces derniers manipulent Black Lives Matter, et les agences de renseignement recommencent à dire que les Russes veulent Trump cependant que les chinois « préfèreraient » Biden). Un Président qui ne contrôle pas le chaos de la rue, et qui par son comportement clivant provoquera une vague révolutionnaire s’il est réélu.
Ce genre d’attaques a tendance à ne pas fonctionner. Car la base trumpienne (classes moyennes et portions croissantes du prolétariat, blanc, noir et hispanique), a tendance à rester combattive… en temps normal.
L’ordre sanitaire et son exploitation
Aussi, pour faire tomber Trump, le trait de génie a été de passer dans « l’anormal », de l’ordre constitutionnel à l’ordre sanitaire, le bébé de l’übercapitalisme technétronique. Donc donner à Trump l’occasion de se rendre ridicule, utiliser la pandémie pour paniquer la population, et « détruire » l’électorat trumpiste en fermant l’économie, donc ruinant les classes moyennes, ne serait-ce que le temps suffisant pour éliminer Trump à la présidentielle. Cette stratégie visant à fabriquer des électeurs malheureux par le fouet de la pandémie a été d’entrée détectée par https://www.ojim.fr/etats-unis-tucker-carlson-le-journaliste-de-fox-news-a-suivre-ou-a-abattre-seconde-partie/ Tucker Carlson. Si l’on y ajoute l’impossibilité sanitaire de faire des rallyes (force de Trump), ou la précitée distorsion des lois sur le vote par correspondance (qui seront gérés par les partis) tout en supprimant un nombre considérable de bureaux de votes (à cause du COVID, bien sûr), la tâche de Trump se complique.
Trump, homme de télé-réalité qui commençait seulement à comprendre comment naviguer dans le système washingtonien, a été giflé par la pandémie qui l’a transposé sans préavis en terra incognita : interagir avec les 50 Etats du pays, et avec la bureaucratie sanitaire.
Pour ce qui est des Etats, la sagesse politique eût voulu qu’il prenne ses distances avec ces derniers, se contentant d’être un apporteur de services. Et surtout il lui fallait vendre aux électeurs un message simple : c’est dans les Etats démocrates qu’il y a le plus ou de crise économique, ou de mortalité du COVID, ou de violences urbaines. Électeurs de ces états, votez donc pour le changement, « drain the Swamp »! Son narcissisme naturel l’a poussé au contraire à se mettre en avant, de facto subissant le feu pour des erreurs ou fautes qu’il n’avait pas commises. Il a servi de paratonnerre aux Etats, et a passé son temps à réagir plutôt qu’à attaquer.
Sur la bureaucratie sanitaire, il est tombé dans la fondrière. il n’a jamais maitrisé le message. La sagesse eût été de créer un groupe international de réflexion indépendant, avec de vrais médecins de terrain plutôt que les habituelles stars d’état-major contaminées par les grands groupes pharmaceutiques ou les fondations « technétroniques » qui, indépendamment de leurs biais politiques, n’avaient de cesse que de protéger leur vivier de patients pour leurs multiples essais cliniques. D’où la méfiance de l’establishment à l’égard des produits à usage précoce vieux et pas chers qui auraient pu directement réduire le flux de cas graves, vivier des essais cliniques.
Promesses imprudentes
Plus grave encore, Trump a accrédité et propagé la thèse selon laquelle le virus est terriblement dangereux et qu’il l’éradiquerait. Il a poussé sur un dépistage massif alors que l’on sait qu’il faut plutôt simplement se concentrer sur les populations à risque et les protéger par la distanciation sociale ou le confinement micro-géré, tout en laissant travailler les autres. Trump a donc contribué lui-même à propager la peur et à l’inconfort psychologique de ses propres électeurs. En outre, il fait des promesses quasi-intenables : des traitements et vaccins avant son élection! Il n’est pas surprenant que Kamala Harris dénigre déjà le « vaccin Trump ».
Gagnant sur le vote direct, perdant par correspondance ?
En dépit des insuffisances du personnage, il n’est plus exclu que Trump soit « élu » le 3 novembre au soir. Mais il n’est pas exclu non plus que Trump perde, quelques jours, voire quelques semaines après, avec le dépouillement tardif de plusieurs dizaines de millions de bulletins (vote par correspondance). Les deux campagnes ont d’ailleurs nommé plusieurs centaines d’avocats dans cette perspective. Avec du recul, et en conclusion, on constate que le COVID-19 n’a pas détruit Trump, qui se rétablit comme il le fit avec le « Russiagate », mais pendant un temps a désorienté ses électeurs, qui semblent peu à peu se ressaisir.
Dernière observation : en quelques mois tout a fonctionné comme si le pays avait été remis à un syndic de faillite en charge de sa restructuration selon un nouveau modèle économique et social. Le COVID-19 a ainsi fait mieux que Greta, et mieux qu’aucune explosion de bulle financière ne l’aurait fait. Devenue sanitaire, la grande crise économique est devenue acceptable, voire souhaitée par la population. Par le jeu des migrations, on avait déjà procédé à un transfert de prolétariat. Depuis, les géants de la technétronique ont mis le turbo : ils ont continué de s’enrichir pendant la crise, les secteurs des PME et du petit commerce sont vitrifiès. C’est une nouvelle redistribution des cartes, l’avènement d’une nouvelle élite, ainsi que l’a publié l’Institut Illiade dans une interview qui laisse à suggérer que, planétairement, de nouveaux patrons sont en train de remplacer les anciens.
En refusant de contrer le nouvel übercapitalisme technétronique qui pourtant le censure vicieusement, Trump prend le risque de passer pour un vulgaire conservateur et de perdre. Mais qui sommes-nous pour tout prédire? Rien n’est joué, à suivre…
Voir ici notre chronique du mois de juillet 2020 sur l’élection présidentielle américaine.