Rappel : Donald Trump s’était fait élire en 2016 sans pouvoir commercialement exploiter son cheptel. La campagne des primaires présidentielles de 2015–16 avait d’abord transformé sa tribu de partisans (les 4 millions d’adeptes de son show The Apprentice) en 15 millions d’électeurs. Puis, dans la dernière ligne droite le menant à son élection en novembre 2016, il avait pu récolter 62 millions d’ouailles. Un capital considérable de fidélité, convertible en business médiatique potentiel, s’est bel et bien ainsi constitué, qui s’est d’ailleurs renforcé le 3 novembre 2020, avec plus de 74 millions de votes. Ce qui n’a pas empêché Trump de perdre pour — peut-être ? — devenir plus puissant encore.
Les médias dominants règlent leurs comptes
L’on savait déjà que la famille Kushner-Trump avait jeté un œil en 2018 du côté des chaînes de télévision régionales syndicalisées – par exemple le réseau Sinclair – afin de tirer le tapis sous les pieds des médias de grand chemin et d’y substituer une force dix fois plus grande, en termes d’audience. Par-delà les rideaux de fumée des six années de politique-spectacle que nous avons vécues, il est ainsi possible de comprendre les raisons profondes de la haine des médias à l’égard de Trump. Les punaises de sacristie de l’unique parti des prédestinés de l’Histoire voient bel et bien en lui un danger existentiel alors que le secteur des médias est lui-même en crise.
Trump élu en 2016, les dites punaises lui ont depuis infligé un harcèlement systématique tiré des bonnes pratiques de tout changement de régime, usant de l’argent et des bureaucraties. La montagne Trump en conséquence accoucha d’une souris lors de la présidentielle de 2020 : Trump, désormais proscrit des médias, perdit financièrement beaucoup de plumes. Pour faire bonne mesure, une épuration était lancée, visant non seulement Trump mais ses acolytes politiques, ainsi que nous le pressentions il y a un peu plus d’un an. Cela commença avec le 2e impeachment, post électoral (une première aux États-Unis pour un Président) et focalisé cette fois-ci sur « l’insurrection » — sous-entendu par les suprémacistes blancs — du 6 janvier. Mais les républicains, prudents, refusèrent de jouer le jeu de l’inéligibilité à vie pour Trump, à un moment où une majorité des électeurs républicains pensaient que l’élection de Trump lui avait été « volée ». Trump fut donc acquitté grâce à des élus qui ne l’aimaient pas tous. Alors, fini la Trumpophobie? Que nenni! Il fallait se remettre à l’ouvrage.
Les oligarques pour un changement constitutionnel excluant Trump
Conscient des insuffisances de Biden, ou plutôt espérant pouvoir le remplacer en cours de route sans trop de risques, le conglomérat des oligarques a illico haussé les enchères, en instituant vite fait bien fait une commission parlementaire aux contours constitutionnels imprécis afin de scénariser— le mot est juste — une histoire visant à rendre Trump inéligible, et surtout aussi exclure du Congrès une centaine (?) d’élus trumpistes, usant d’antécédents légaux datant de l’après-guerre de sécession qui avait permis de purger le Congrès de Washington des sudistes et pro-sudistes, lesquels avaient effectivement été partie d’une insurrection marquée par 610 000 morts..
S’il advenait que cette opération réussisse, la voie serait donc ouverte à l’oligarchie pour procéder à des changements constitutionnels majeurs permettant de passer du « gouvernement » (État national) à la « gouvernance » (État privatisé), tirant parti de la déconstruction devenue irréversible (?) des États-Unis : point de citoyens mais des « communautés », adieu aux lois mais bonjour aux « normes », non aux principes, oui aux « valeurs », à bas le fédéralisme, vive la démographie, au diable le peuple, que règne à jamais « notre démocratie ».
Élargissement de la Cour Suprême
C’est dans cette esprit qu’il faut comprendre les projets d’élargissement massif du nombre de juges à la Cour Suprême (celle-ci selon ses règles séculaires et sa démographie devant rester « conservatrice » pendant dix à 15 ans, ce qui bloquerait toute réforme majeure), ou ceux de création de deux états nouveaux au sein de la fédération afin de casser le roc républicain très souvent dominant au Sénat (notons que cette institution représente non le peuple mais les 50 Etats, à raison de deux élus par état, indépendamment de leur poids démographique). En outre, serait envisagée la modification du système électoral qui serait désormais sous le contrôle du pouvoir central (l’élection présidentielle de 2020 en a été le laboratoire covidien), ou encore le projet de suppression du collège électoral , l’actuel système d’élection indirecte inscrit dans la constitution : les délégués sont élus par les électeurs de chaque état pour former le collège, lequel en final nomme le Président avant que la Chambre des représentants avalise sa décision. Ce qu’elle fit sans difficulté le 6 janvier 2021 malgré ou peut-être à cause de la désormais célèbre « insurrection »
Épuration électorale ?
Les États-Unis sont donc le laboratoire d’un État en voie de dépérissement, aux libertés publiques archaïques, et dont la pratique démocratique sera un jour avalée par le trou noir numérique, nouveau nombril du monde. Tel est l’enjeu perçu par Trump : la pandémie et « l’insurrection » dominent l’avant-scène, et tout se passe comme si une nouvelle version des films « Wag the dog » (des hommes d’influence ) ou « Canadian bacon » était projetée en boucle sur les parois de la caverne des idée reçues, afin de préparer l’opinion à une épuration, celle de 74 millions d’irréductibles opposants à l’oligarchie, dépeints à la fois en terroristes insurrectionnels racisto-fascistes et agents poutinistes.
Joe sleeping Biden à la dérive
Car cette stratégie est la seule qui puisse permettre à l’oligarchie de gagner les élections de 2022 (Congrès) et 2024 (Maison Blanche) si l’on en juge par le surprenant chaos de l’administration Biden : ni lui, ni Kamala Harris ne semblent aujourd’hui faire le poids. Face à la menace de la « dictature » trumpiste, se projette désormais l’idée d’une stratégie de salut public : on commencerait par « remplacer » Kamala Harris par la néoconservatrice Liz Cheney afin de donner une image « bipartisane » à la chancelante présidence Biden. Pendant ce temps, Hillary Clinton serait propulsée comme la candidate Démocrate anti racisto-fasciste, quitte à ce que cette dernière propose de nommer Liz Cheney au poste de vice-présidente. A moins que Michelle Obama sorte de son bois .
« Domestic terrorism »
Quant aux républicains, ils risquent la castration du fait des enquêtes à répétition du ministère de la justice contre le terrorisme dit national : une unité spéciale vient en effet d’être créée au Ministère de la justice contre le « domestic terrorism », autrement dit contre ceux qui haïssent « notre démocratie », celle des oligarques invisibles si bien décrits par Bernays (le neveu de Freud). Prisonniers des donateurs, les républicains ne seraient en aucune façon capables de se présenter comme ceux qui vont rendre leur pays à ses citoyens. Des citoyens qui, après une crise sanitaire languissante, se sont déjà soumis à l’idée de sacrifier leurs libertés à leur sécurité.
Réponse de Trump
Tel est le schéma des chaos à venir. Un champion du tout numérique mondialisé est donc attendu dans le camp des réfractaires. Alors, si la montagne ne va pas à Mahomet, Mahomet ira à la montagne. C’est ce que fait Trump. Et, une fois encore, il surprend. Avant même d’avoir commencé, son groupe de médias et technologies valait déjà 10 milliard de $ en novembre dernier.
L’idée générale (explications ici et ici) a été pour Trump et ses alliés de créer un véhicule vide chargé d’acquérir son nouveau groupe techno-médiatique en cours de constitution, le Trump Media and Technology Group. Le véhicule d’acquisition, le Digital World Acquisition, appartient à la catégorie des SPAC (special purpose acquisition company). Il fait appel dans un premier temps aux investisseurs qui reçoivent actions et autres outils d’investissements (par exemple des options d’achat). Ces investisseurs sont institutionnels, mais également des individus ou lobbies qui furent ulcérés par les résultats de l’élection, ainsi que par l’actuelle campagne visant à purger toute velléité d’opposition au complexe oligarchique qui dirige le pays. Ces investisseurs ont d’ailleurs été chauffés à blanc par les différentes initiatives de Trump visant à discréditer les résultats de l’élection de novembre 2020 (les fonds électoraux ou de lutte contre la fraude liés à Trump ont déjà levé beaucoup d’argent).
L’objectif est de fusionner dans un second temps la Digital World Acquisition, cotée en bourse, avec le Trump Media & Technology Group, non coté, qui sera dirigé par un parlementaire californien, Devin Nunes, qui fut un solide défenseur de Trump durant la « révolution de couleur » (Russiagate, Ukrainegate, Insurrectiongate) orchestrées par les oligarques du Congrès contre le président orange.
Concurrencer les Gafam
Oui, Trump veut concurrencer Facebook, Twitter, YouTube. Il espère pénétrer le cloud en certains domaines, et a un œil sur les monnaies virtuelles numériques, et les activités d’édition/distribution, voire aussi la téléphonie. Bref, en ces périodes de purge politique orwellienne, cela peut avoir un effet d’entraînement considérable. Il va de soi cette initiative est déjà harcelée. Ainsi, parmi d’autres, la sénatrice Elizabeth Warren a demandé à la SEC (l’équivalent de la commission des opérations de bourse), d’enquêter sur le projet afin de vérifier si Trump a bien respecté la loi. Afin de faire durer le doute pendant suffisamment longtemps pour le rendre obsolète : une sorte de Nordstream2, en somme.
Le projet gigantesque de l’ex-Président sera-t-il saboté ? Est-ce (comme c’est parfois présenté) une sorte d’escroquerie à l’encontre de ses propres électeurs ? Ou tout simplement un moyen pour Trump d’utiliser les règles et les codes de l’establishment afin de le détruire de l’intérieur? Affaire à suivre…