En mai 2022 au Forum économique mondial, elle appelait à un « recalibrage » des droits de l’homme et en particulier de la liberté d’expression dans notre monde connecté. Un an plus tard, le 21 juin dernier, la commissaire pour la « e‑Sécurité » (eSafety) du gouvernement australien, Julie Inman Grant, donnait à Twitter 28 jours pour mettre fin à la propagation des propos « haineux » sur sa plateforme. Faute de quoi, le média social d’Elon Musk se verra infliger une amende journalière de 700 000 dollars australiens, soit environ 425 000 €.
L’oiseau bleu en ligne de mire
Selon Mme Inman Grant, ce sont les changements engagés avec l’arrivée d’Elon Musk à la tête du média social à l’oiseau bleu qui seraient à l’origine du fait que son administration, eSafety, aurait reçu depuis plus de plaintes concernant des cas de « haine en ligne » sur ce réseau social que sur n’importe quel autre réseau social.
« Au cours des 12 derniers mois, eSafety a reçu plus de plaintes concernant la haine en ligne sur Twitter que sur toute autre plateforme. En fait, près d’un tiers de toutes les plaintes déposées auprès d’eSafety au sujet de la haine en ligne l’ont été sur Twitter », écrivait Mme Inman Grant le 21 juin.
« Je crains que cela ne soit lié à l’“amnistie générale” de Twitter, offerte en novembre dernier à environ 62 000 titulaires de comptes qui avaient été interdits de façon permanente. Pour être banni définitivement de Twitter, il faut avoir commis des violations répétées et flagrantes des règles de Twitter. Soixante-quinze de ces titulaires de comptes abusifs réintégrés auraient plus d’un million de suiveurs, ce qui signifie qu’un petit nombre d’entre eux pourrait potentiellement contribuer à un impact considérable sur la toxicité de la plateforme. Comme si cela ne suffisait pas, Twitter a considérablement réduit ses effectifs au niveau mondial. Cela inclut des coupes sombres dans son personnel chargé de la confiance et de la sécurité (à quel point, nous cherchons à le savoir) et l’arrêt de toute représentation de sa politique publique locale ici en Australie. »
La question reste bien sûr de savoir ce que l’on définit comme étant des contenus « toxiques », de la « haine en ligne », des propos « haineux » ou un « discours de haine »…
À Davos l’année dernière, cette ancienne cadre de Twitter (en charge du développement en Australie des politiques, de la sécurité et des programmes de philanthropie) mais aussi, auparavant, de Microsoft (en tant que « Directrice mondial de la politique de sécurité et de protection de la vie privée et de la sensibilisation »), avait déclaré :
« Nous nous trouvons dans une situation où la polarisation augmente partout et où tout semble binaire alors que ce n’est pas nécessaire. Je pense donc que nous allons devoir réfléchir à un recalibrage de toute une série de droits de l’homme qui s’exercent en ligne, de la liberté d’expression à la protection contre la violence en ligne. »
Voir aussi : Le « chemin clair mais difficile » d’Elon Musk pour transformer Twitter
L’Australie en pointe dans les restrictions des libertés
C’était à la sortie d’une période de pandémie de Covid-19 où l’Australie s’était distinguée par des restrictions des droits et libertés civiques dépassant largement ce qui s’était fait dans la plupart des autres pays occidentaux.
On ne s’étonnera donc pas qu’une telle action concrète de « recalibrage » de la liberté d’expression parte d’Australie même si, il faut le dire, elle ressemble beaucoup à l’action entreprise en Europe après l’arrivée d’Elon Musk et le rétablissement, dans une certaine mesure, de la liberté d’expression sur Twitter. Rappelons en effet que, en vertu du Digital Services Act devant entrer en vigueur en septembre, Elon Musk a jusqu’au 25 août pour se mettre en conformité avec les exigences de l’UE concernant le contrôle de ce qui est dit sur sa plateforme.
L’Union européenne n’est pas en reste
« Il fait ce qu’il veut jusqu’au 1er septembre. Après, il fera ce qu’on lui demandera de faire s’il veut continuer à opérer sur le territoire européen », a prévenu en avril sur France Info le Français Thierry Breton, commissaire européen au Marché intérieur.
Des menaces étaient également venues de sa très sorosienne collègue tchèque, la commissaire en charge de la transparence (sic !) Věra Jourová, qui déclarait par exemple en janvier dernier à propos des nouvelles règles européennes sur le numérique :
« Elles s’appliquent à Twitter, quel que soit son propriétaire. M. Musk ne doit pas sous-estimer nos efforts visant à responsabiliser les grandes plateformes ».
Potentiellement, les sanctions infligées par l’UE à Twitter pourront atteindre 6 % de son chiffre d’affaires mondial et la firme à l’oiseau bleu a été placée sous surveillance rapprochée depuis que le milliardaire américain a commencé à mettre fin à une censure perçue par beaucoup comme étant de sensibilité gaucho-libérale au moins autant que dirigée contre les contenus et propos véritablement illicites. « Les régulateurs surveillent déjà de près le respect des règles applicables en matière de protection des données, et nous serons également en mesure d’appliquer la loi sur les services numériques [Digital Services Act, DSA] plus tard dans l’année », a ainsi déclaré Mme Jourová en janvier.
« La liberté d’expression n’est ni un droit à la désinformation, ni un droit à la provocation à la haine raciale ou religieuse. L’Europe a mis Twitter et les grandes plateformes face à leur responsabilité : il était temps », se défendait encore le ministre délégué chargé, au sein du gouvernement français, de la Transition numérique et des Télécommunications, Jean-Noël Barrot .C’était en réaction à un tweet d’Éric Zemmour où celui-ci reprochait aux « censeurs Thierry Breton et Jean-Noël Barrot » de chercher à « faire taire toute parole libre » « en voulant bannir Twitter ».
Les groupes LGBTQ+ à la manœuvre
L’Australienne Julie Inman Grant et le gouvernement du travailliste Anthony Albanese semblent donc agir de manière similaire à ce qui se fait à Bruxelles ou à Paris. Mme Inman Grant soulignait d’ailleurs dans sa publication du 21 juin que « eSafety est loin d’être seul à s’inquiéter des niveaux croissants de toxicité et de haine sur Twitter, en particulier à l’encontre des communautés marginalisées. Le mois dernier, le groupe de défense américain GLAAD a désigné Twitter, dans le cadre de son troisième index annuel des médias sociaux, comme étant la plateforme la plus haineuse à l’égard de la communauté LGBTQ+. Une étude menée par le Center for Countering Digital Hate (CCDH), basé au Royaume-Uni, a montré que les insultes à l’encontre des Noirs américains apparaissaient en moyenne 1 282 fois par jour sur Twitter avant que Musk ne prenne le contrôle de la plateforme. Par la suite, elles sont passées en moyenne à 3 876 fois par jour. Le CCDH a également constaté que les personnes qui payaient pour un badge bleu Twitter semblaient bénéficier d’une certaine impunité vis-à-vis des règles de Twitter régissant la haine en ligne, par rapport aux utilisateurs qui ne payaient pas, et que leurs tweets étaient même renforcés par l’algorithme de la plateforme. L’Anti-Defamation League (ADL) a constaté que les messages antisémites avaient augmenté de plus de 61 % deux semaines seulement après l’acquisition de la plateforme par Musk. »
Chose intéressante, mais surtout inquiétante pour la liberté d’expression dans les démocraties libérales, toutes ces organisations citées par la responsable de la censure des réseaux sociaux en Australie sont des organisations d’extrême gauche qui voudraient interdire toutes sortes d’opinions sur Internet. GLAAD, par exemple, voudrait que les médias sociaux censurent tout message critiquant le recours aux procédures médicales de changement de sexe ou de « genre » à l’intention des mineurs, de telles critiques étant considérées comme un « discours de haine » à l’égard des personnes trans. Le CCDH aimerait de son côté que les médias sociaux censurent les médias considérés comme niant les changements climatiques, ce qui serait par exemple le cas, de l’avis du CCDH, du site Breitbart News. Quant à l’Anti-Defamation League, Elon Musk lui-même proposait le 16 mai dernier qu’elle remplace son sigle ADL signifiant ligue anti-diffamation par DL pour ligue de diffamation. C’était après que l’ADL eut accusé le nouveau propriétaire de Twitter d’antisémitisme pour avoir critiqué George Soros, le spéculateur philanthrope américain d’origine juive hongroise. Précisons ici que la critique de Musk à l’encontre de Soros était sans rapport aucun avec les origines juives de ce dernier.
Le problème pour nous, Français, c’est qu’en Europe aussi, les censeurs bruxellois et parisiens s’appuient exclusivement sur des médias libéraux libertaires et des organisations de gauche, voire d’extrême gauche, pour lutter contre la « désinformation » et les « discours de haine ».
Voir aussi : Et maintenant un Observatoire de la haine