Tardive lueur de lucidité. Avec trois mois de retard, certains médias de grand chemin commencent à reconnaître l’ampleur des erreurs commises par les Occidentaux face à la Russie et à la crise ukrainienne. Nous ne résistons pas au plaisir, en dernière minute, de publier la traduction (avec l’aide d’Antipresse) d’un large extrait de l’éditorial du rédacteur en chef économie du britannique Guardian, Larry Elliott, paru dans l’édition du 2 juin 2022.
Catastrophe humanitaire mondiale
Les effets pervers des sanctions se traduisent par une hausse des coûts du carburant et des denrées alimentaires pour le reste du monde — et l’on craint de plus en plus une catastrophe humanitaire. Tôt ou tard, un accord doit être conclu. Le Kremlin pense que le seuil de tolérance de la Russie à la douleur économique est plus élevé que celui de l’Occident, et il a probablement raison sur ce point. Cela fait maintenant trois mois que l’Occident a lancé sa guerre économique contre la Russie, et cela ne se passe pas comme prévu. Au contraire, les choses vont même très mal.
Les sanctions par défaut
Les sanctions ont été imposées à Vladimir Poutine non pas parce qu’elles étaient considérées comme la meilleure option, mais parce qu’elles étaient meilleures que les deux autres plans d’action disponibles : ne rien faire ou s’impliquer militairement. (…) Il n’y a cependant aucun signe immédiat de retrait de la Russie de l’Ukraine et ce n’est guère surprenant, car les sanctions ont eu l’effet pervers de faire grimper le coût des exportations de pétrole et de gaz de la Russie, augmentant massivement sa balance commerciale et finançant son effort de guerre. Au cours des quatre premiers mois de 2022, Poutine pourrait se targuer d’un excédent de la balance courante de 96 milliards de dollars (76 milliards de livres sterling), soit plus du triple du chiffre de la même période en 2021.
Le gaz sans doute mis de côté
Le Premier ministre estonien, Kaja Kallas, a déclaré que la prochaine série de sanctions sera “politiquement difficile à adopter”. Les dirigeants de l’UE affirment que le gaz ne fera probablement pas partie de la nouvelle série de sanctions contre la Russie. Lorsque l’UE a annoncé son interdiction partielle des exportations de pétrole russe en début de semaine, le coût du pétrole brut sur les marchés mondiaux a augmenté, offrant au Kremlin une nouvelle manne financière.
La Russie n’éprouve aucune difficulté à trouver des marchés alternatifs pour son énergie, les exportations de pétrole et de gaz vers la Chine en avril ayant augmenté de plus de 50 % par rapport à l’année précédente.
L’activisme moral comme impératif idéologique
Il faut relever dans cet article un argument insolite : on y affirme en effet que ces sanctions absurdes et suicidaires n’étaient pas «la meilleure option », mais qu’elles valaient quand même mieux que les deux autres « plans d’action disponibles » : A) ne rien faire, B) s’impliquer militairement. Evidemment, il n’existe aucune option plus mauvaise, dans l’absolu, que de déclencher l’extinction de l’humanité avec le plan B. Mais il est intéressant que dans la mentalité actuelle des Occidentaux, l’option A (ne rien faire) est considérée « pire » qu’un acte autodestructeur. En d’autres termes, la stupidité désormais systémique des comportements occidentaux apparaît comme la conséquence d’un activisme moral devenu un impératif idéologique absolu. Le suicide est au bout du chemin, avec ou sans l’aide des russes.
Source : L’Antipresse du 5 juin 2022. Les intertitres sont de notre rédaction.