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Débordements en marge de la Coupe du monde : l’indignation sélective de Libération et de Léa Salamé

22 décembre 2022

Temps de lecture : 8 minutes
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Débordements en marge de la Coupe du monde : l’indignation sélective de Libération et de Léa Salamé

Temps de lecture : 8 minutes

La Coupe du monde de football au Qatar s’est achevée avec la défaite de l’équipe de France en finale. L’équipe du Maroc a également fait un beau parcours dans cette compétition. Mais dans plusieurs villes de France, des débordements ont eu lieu après le match de quart de finale impliquant cette équipe.

Mer­cre­di 14 décem­bre, la soirée de demi-finale opposant l’équipe de France à celle du Maroc n’a pas échap­pé à la règle. Fait nou­veau : cet après-match a été mar­qué par l’arrestation essen­tielle­ment préven­tive de mil­i­tants d’ultra-droite. L’occasion sem­blait trop belle pour ne pas appli­quer un verre grossis­sant sur un péril bien min­ime. Quelques morceaux de savon auront été suff­isants pour per­me­t­tre à Libéra­tion et à Léa Salamé de faire mouss­er la baig­noire. Retour sur ces événe­ments et leur présen­ta­tion par le quo­ti­di­en libéral lib­er­taire et la présen­ta­trice de « Quelle époque ».

Le ventre toujours fécond de la bête immonde

Un détour par l’histoire per­met par­fois de replac­er les événe­ments dans leur con­texte. Il peut aus­si con­duire à se four­voy­er. Dans un essai paru en 2018, G.W. Gold­nadel évoque la « névrose occi­den­tale con­tem­po­raine ». L’essayiste y souligne que le monde occi­den­tal a été pro­fondé­ment mar­qué par la 2ème guerre mon­di­ale. Cela a amené à appli­quer une grille de lec­ture binaire sur beau­coup d’événements. Celle-ci, large­ment partagée, aboutit notam­ment à min­imiser cer­tains périls et à en suré­val­uer d’autres.

En 1941, le dra­maturge alle­mand Bertolt Brecht écrivait une pièce de théâtre dont une for­mule a fait florés : « Le ven­tre est encore fécond, d’où a sur­gi la bête immonde ». Les gauchistes des années 60 en ont usé et abusé pour stig­ma­tis­er le pou­voir poli­tique auquel ils s’affrontaient. Il était clair dans leur esprit que le gou­verne­ment s’inspirait de la bête immonde que représen­tent le nazisme et les nos­tal­giques du IIIe Reich. A l’heure où l’URSS se remet­tait des purges stal­in­i­ennes et où en Chine pop­u­laire de Mao, les opposants étaient élim­inés en masse, c’était le péril du nazisme qui han­tait la sym­bol­ique des étu­di­ants contestataires.

Un autre pas­sage de la pièce de théâtre de Bertolt Brecht est beau­coup moins con­nu : « Vous, apprenez à voir, plutôt que de rester les yeux ronds ». Or c’est bien avec des yeux ronds que Libéra­tion et Léa Salamé ont mon­té en épin­gle l’interpellation le 14 décem­bre de quelques mil­i­tants d’ultra droite lors des débor­de­ments après la demi-finale de la coupe du monde.

« Nuit bleue, peste brune »

L’irruption le 14 décem­bre de quelques mil­i­tants d’ultra-droite dans le petit monde des casseurs d’après match n’est pas passé inaperçue. Dans son édi­tion du 15 décem­bre, Le Parisien nous informe qu’à Paris, 47 per­son­nes proches de l’ultra-droite ont été inter­pel­lées dans un café pour port d’armes pro­hibées. « « Ils voulaient claire­ment en découdre sur les Champs », a ajouté une source poli­cière ».

On apprend égale­ment que « selon une source pré­fec­torale, à Lyon, peu après la fin du match, un groupe de jeunes d’extrême droite s’est rap­proché des sup­port­ers rassem­blés sur la place Bel­le­cour. Il y a eu une rixe et la police est rapi­de­ment inter­v­enue pour repouss­er le groupe et le suiv­re ».

Si cer­tains Français n’avaient pas mesuré l’ampleur de la men­ace venant de ce bord, Libéra­tion les y aide. Dans son édi­tion du 16 décem­bre, le quo­ti­di­en titre en cou­ver­ture sur une « Nuit bleue, peste brune ». Rap­pelons que la « peste brune » évoque le surnom don­né au mem­bres de la SturmAbteilung, une mil­ice du par­ti nazi.

Le ton est sen­ten­cieux : « même dans nos pires cauchemars, nous ne pen­sions devoir con­sacr­er un édi­to­r­i­al à des événe­ments qui évo­quent des heures som­bres de l’histoire ». On apprend dans le dossier con­sacré par Libéra­tion à ce sujet quelques infor­ma­tions sup­plé­men­taires à celles divul­guées la veille par le Parisien : des agres­sions de sup­port­ers de l’équipe du Maroc auraient été com­mis­es par des « mil­i­tants d’ultra-droite » à Nice, selon le maire de la Ville, et à Nantes où des coups auraient été échangés. Une petite dizaine de villes serait con­cernée en tout.

L’heure du bilan

S’il faut bien évidem­ment rap­pel­er que toute vio­lence est con­damnable et ne min­imiser aucun fait, que représen­tent les mil­i­tants d’ultra-droite dans le cadre plus glob­al des débor­de­ments qui ont eu lieu le 14 décem­bre au soir ? La lec­ture d’articles ten­tant d’en faire une syn­thèse nous per­met de met­tre les événe­ments en perspectives.

Le jour­nal Le Figaro a con­sacré le 15 décem­bre un arti­cle aux débor­de­ments recen­sés dans tout le pays à l’is­sue du match de demi-finale. « Selon le min­istère de l’In­térieur, 266 inter­pel­la­tions, dont 167 dans l’ag­gloméra­tion parisi­enne, ont eu lieu à l’is­sue du match. Une quar­an­taine de fonc­tion­naires de police ont été blessés ».

Le 19 décem­bre, le site Boule­vard Voltaire nous apprend plus glob­ale­ment au sujet des dif­férents « débor­de­ments » d’après matchs, que selon un syn­di­cal­iste de la Police, Matthieu Valet, « sur les 700 inter­pel­la­tions, une cinquan­taine est issue de l’ultra-droite, dont 40 arrêtés de manière préven­tive à Paris, donc sans avoir causé la moin­dre vio­lence ». Et s’agissant des suites judi­ci­aires de ces inter­pel­la­tions : « seule­ment sept mil­i­tants d’ultra-droite (ont été) présen­tés au juge et (sont) ressor­tis libres ».

D’un strict point de vue de numérique, l’extrême focal­i­sa­tion de plusieurs médias sur quelques pieds nick­elés d’ultra-droite, dont beau­coup ont été arrêtés « préven­tive­ment » car por­teurs d’armes, laisse songeur. Marc Eynaud cri­tique verte­ment ce choix édi­to­r­i­al sur Twit­ter, dans un fil en forme de bilan des évènements :

« En bref, au vu de la réal­ité des événe­ments : la Une de Libé est une blague. La Nupes a men­ti et Dar­manin nous a refait un Stade de France ». Tel ne sem­ble pas être l’avis de Léa Salamé.

Léa Salamé en procureur

La présen­ta­trice Léa Salamé aime endoss­er le rôle du pro­cureur. L’émission « Quelle époque » qu’elle a ani­mée same­di 17 décem­bre en est une nou­velle illus­tra­tion. Jor­dan Bardel­la en était l’un des invités. A voir les signes vis­i­bles de l’énervement de Léa Salamé, l’interview du prési­dent du RN n’allait pas bien se passer.

Léa Salamé lance à J. Bardel­la : « mer­cre­di soir, les vio­lences, elles sont venues de quel côté, qui a foutu le bor­del, le chaos ? ».

Le leader du RN garde son calme : « je con­damne toutes les vio­lences, sans excep­tion, il y a eu des débor­de­ments de grou­pus­cules d’ultra-gauche et d’ultra droite ».

Léa Salamé l’interrompt : « de manière écras­ante, c’était de l’ultra droite »

Bardel­la répond : « il y a eu aus­si de l’ultra gauche, Julien Le bars qui est com­mis­saire de police qui est sur tous vos plateaux télés l’a déclaré également ».

Bien que J. Bardel­la ait été clair, Léa Salamé lui lance 3 fois : « vous arrivez pas à le dire » afin que celui-ci con­vi­enne que les vio­lences venaient le soir du 14 décem­bre de « manière écras­ante (..) de l’ultra droite ». Une nou­velle fois, il s’agissait pour la présen­ta­trice de « Quelle époque » d’obtenir des aveux de son inter­locu­teur, et non de se rap­procher de la vérité par un échange ver­bal respectueux.

Militants d’ultra-droite ou chasse à l’homme communautaire, il faut choisir

Léa Salamé a ain­si établi une hiérar­chi­sa­tion toute sub­jec­tive des respon­s­abil­ités dans les débor­de­ments après le match de demi-finale. Elle aurait tout aus­si bien pu mon­ter en épin­gle les véri­ta­bles affron­te­ments com­mu­nau­taires qui ont eu lieu à Mont­pel­li­er dans les jours qui ont suivi le 14 décem­bre. Elle ne l’a pas fait, c’est ce que l’on appelle un choix édi­to­r­i­al. Il y avait pour­tant de la matière.

Après la demi-finale, dans le cadre des « débor­de­ments » et autres exac­tions de l’après match, un ado­les­cent d’origine maghrébine a été mortelle­ment per­cuté à Mont­pel­li­er par un auto­mo­biliste qui ten­tait de fuir un groupe d’individus l’encerclant. Une véri­ta­ble chas­se à l’homme a été menée con­tre l’auteur pré­sumé des faits, un mem­bre de la com­mu­nauté gitane.

France Bleu nous apprend que « vis­i­ble­ment con­va­in­cus que le con­duc­teur du véhicule, par ailleurs tou­jours en fuite, est un mem­bre de la com­mu­nauté gitane, plusieurs dizaines d’in­di­vidus sont par­tis à sa recherche, à pied, dans la nuit de jeu­di à ven­dre­di. Un apparte­ment soupçon­né d’être en lien avec ce chauf­fard pré­sumé a ain­si été vis­ité et saccagé, en plein cœur de la Pail­lade. Dans le même temps, des hommes ont ten­té de boucler en par­tie le quarti­er en con­fec­tion­nant des bar­ri­cades ».

Des silences éloquents

Le ren­fort de CRS n’étant pas suff­isant, un appel au calme de la mosquée de la Pail­lade et de représen­tants de la com­mu­nauté gitane a été néces­saire pour que la paix revi­enne. Car , comme nous apprend France 3 « plusieurs per­son­nes d’une même famille con­fient avoir quit­té leurs domi­ciles quelques heures après la mort d’Ay­men, alors qu’un de leurs proches a été passé à tabac ce soir-là et griève­ment blessé. Ils ne sont pas ren­trés chez eux depuis, les enfants ne sont pas retournés à l’é­cole. L’an­goisse est grande ».

Cherchez bien, vous ne trou­verez pas de men­tion de « nuit bleue » ou de début de « pogrom » dans Libéra­tion pour cou­vrir ces événe­ments. Tout comme l’on n’entendra jamais Léa Salamé faire son mea cul­pa sur les auteurs, dans leur très grande majorité, du « bor­del » et du « chaos », selon ses pro­pres ter­mes, après la demi-finale de la Coupe du monde dans plusieurs villes de France. Bonnes fêtes quand même.

Voir aus­si : Coupe du monde de foot­ball : les médias de grand chemin jet­tent un voile pudique sur les « incidents »

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