Samedi 19 février 2022, les auditeurs de Radio France ont, au cours de la journée, été accompagnés par une bien étrange musique de fond. À l’approche des élections présidentielles et législatives, France culture et France inter ont rivalisé de messages anxiogènes et d’amalgames sur « l’ultra droite ». Pour les deux radios, toutes les occasions sont bonnes à saisir pour montrer leur allégeance au camp du bien et disqualifier par association certains leaders politiques.
France culture traque l’ultra droite
La journée commence fort sur France culture avec « L’enquête des matins du samedi », à 7h23. La « cellule investigation » de Radio France et Elodie Gueguen nous informent qu’une « dizaine d’attentats liés à l’extrême droite radicale auraient été déjoués depuis 2017. La menace d’un passage à l’acte inquiète de plus en plus les services de renseignement ».
La journaliste s’attarde plus particulièrement sur un certain Rémy Daillet-Wiedemann, dont l’affaire est « à la fois emblématique et tentaculaire ». Ce dernier aurait eu des velléités de renverser le gouvernement. Pour quelle raison la journaliste de France culture nous parle-t-elle de cette affaire aujourd’hui alors qu’elle n’a connu aucun nouveau rebondissement récemment ? La suite de l’émission va nous donner des pistes.
L’évocation du mouvement « accélérationniste », qui viserait provoquer un conflit racial en France est l’occasion de mentionner la candidature d’Éric Zemmour à l’élection présidentielle. Les propos d’un contributeur d’un site « d’ultra-droite» sont diffusés : « Idéalement j’aurais aimé un 2e tour État islamique- Zemmour, mais on fait avec ce que l’on a ». On commence à comprendre.
« L’extrême droite en France et en Europe »
Quelques minutes plus tard, toujours sur France culture, l’heure est toujours à la tambouille et aux mélanges indigestes. Le rendez-vous de la presse étrangère est consacré à « l’extrême droite en France et en Europe ».
L’émission réunissant 3 correspondants étrangers commence par l’évocation du salut « nazi » fait par un eurodéputé bulgare « au cœur du parlement européen », mercredi 16 février. S’ensuit un développement sur la dénonciation de Marine Le Pen concernant « la présence d’anciens nazis dans l’équipe de son adversaire Éric Zemmour, confirmant des révélations parues dans la presse ».
L’occasion était vraiment trop belle pour rappeler ces accusations aucunement argumentées mais pour le moins diffamantes. Puis l’on revient sur le salut nazi de l’eurodéputé bulgare, un geste « qui en dit long sur notre époque troublée » selon Caroline Broué.
La parole est laissée aux correspondants étrangers. Philip Turle, un journaliste britannique, est beaucoup moins affirmatif que Caroline Broué sur le caractère « nazi » du geste de l’eurodéputé. Il déplore néanmoins « l’époque dangereuse » dans laquelle nous vivons.
Caroline Broué s’indigne que l’on puisse se poser la question s’il s’agissait effectivement d’un salut nazi, bien que le principal intéressé nie l’avoir fait. On commence à se dire que France culture arrive à faire mousser la baignoire avec un maigre copeau de savon…
La parole est ensuite donnée à Johanna Fränden, une correspondante du quotidien suédois Aftonbladet. Elle embraye sur la montée de « l’extrême droite », en faisant un enchainement saisissant entre le salut de l’eurodéputé bulgare et plusieurs partis politiques européens de différentes obédiences, amalgamés pour l’occasion dans le terme disqualifiant d’ « extrême droite ».
Puis Philip Turle prend la perche que lui tend Caroline Broué. Il évoque la transgression de la « nouvelle extrême droite » : « on a vu ça avec Éric Zemmour lorsqu’il parle de Vichy et du rôle de Philippe Pétain ». Philip Turle nous met en garde contre le risque de « tâche d’huile ». « Il faut être très vigilant vis-à-vis de ces personnes (…) très intelligentes », conclut-il Tout le reste de la revue de presse est à l’avenant.
Des Secrets d’infos enfin révélés grâce au service public
À 13h20, France inter diffuse lors de l’émission Secrets d’infos le format long de l’enquête sur le risque de « passage à l’acte de l’extrême droite radicale » présentée le matin sur France culture.
L’émission de France culture aurait-elle été un « teaser » sur le sujet afin d’attirer plus d’auditeurs sur France inter l’après-midi ? On peut se poser la question.
Mais l’on n’est effectivement pas déçu. Evoquant le projet de « coup d’Etat » de Rémy Daillet-Wiedemann et la mise en examen d’une dizaine de personnes, on apprend que « ce type de projet est de plus en plus courant ». L’inquiétude monte crescendo lors de l’évocation de projets d’actes violents prêtés au mouvement de Rémy Daillet, en dépit des récriminations de son avocat.
Une information devait être trop importante pour être passée sous silence : Rémy Daillet-Wiedemann aurait tenté d’entrer en contact avec Éric Zemmour. « Rémy Daillet est convaincu qu’Éric Zemmour pourrait adhérer à son mouvement ». Nous ne saurons pas si cette intention a trouvé une concrétisation. Mais l’objectif semble rempli en associant Éric Zemmour à une personne soupçonnée de préparer un acte terroriste.
Puis l’on apprend que plusieurs membres du réseau de Rémy Daillet ont été recrutés pendant les manifestations organisées par le mouvement les Patriotes de Florian Philippot devant le ministère de la santé. « Florian Philippot n’y est absolument pour rien, mais il a créé un terrain favorable au recrutement de ces personnes ».
La parole est donnée à l’inénarrable Tristan Mendes-France qui ne manque pas de donner un coup de griffe aux anti vaccins et au « mouvement complotiste ».
L’émission se clôt sur le risque d’actes terroristes par des individus isolés, en prenant pour exemple l’arrestation d’un jeune en Seine maritime ayant une velléité d’attentat, une information donnée par un représentant des services de renseignement intérieur. « Ce genre de profil nous inquiète vraiment ». Jacques Monin renchérit « C’est vraiment inquiétant ».
Voir aussi : Tristan Mendès France, portrait.
Le terrorisme et le risque terroriste
La dernière information d’actualité concernant Rémy Daillet remonte au mois d’octobre 2021, avec l’arrestation de quatre personnes, « dans l’entourage de Rémy Daillet », ayant évoqué comme nous l’apprend France Info « des attaques contre des centres de vaccination contre le Covid-19 ».
On peut se demander quelle actualité justifiait de faire de « l’affaire Daillet » un sujet à la radio le 19 février 2022. On retient néanmoins de l’émission les noms d’Éric Zemmour et de Florian Philippot, bien malgré eux associés aux militants précédemment mentionnés.
De même, lors de la revue de presse sur France culture, le « salut nazi » que l’eurodéputé bulgare incriminé récuse avoir fait, est l’occasion d’évoquer une nouvelle fois Éric Zemmour.
Les termes de « fachosphère », « ultra droite », « extrême droite radicale » et « extrême droite ayant une appétence pour la violence » sont utilisés tour à tour, sans que l’on puisse en définir précisément les contours.
Quant aux « accélérationnistes » d’ultra ‑droite, on se rend compte avec un peu de recul qu’ils ont surtout réussi à accélérer leurs démêlés avec la justice.
Oserions-nous suggérer aux journalistes de service public de remettre les choses en perspective ? Si d’un côté il y a des velléités, de l’autre, il y a « du lourd ».
La Fondation pour l’Innovation Politique nous aide à y voir plus clair. Dans un rapport publié l’année dernière, on apprend qu’il y a eu 82 attentats terroristes en France entre 1979 et mai 2021, faisant 332 morts. Leur point commun : ils ont tous une motivation islamiste.
Dans un ouvrage publié en 2005, Normand Baillargeon, un universitaire canadien, présentait l’art de la manipulation et détaillait les différentes formes de fourberie mentale. Il aurait pu y ajouter la disqualification par association, comme nous le montrent les travaux pratiques des deux radios de service public.