Un an après la prise de fonction du nouveau président de l’Argentine Javier Milei, le moment est venu d’un premier inventaire de son action. C’est aussi l’occasion de s’interroger sur la manière dont le candidat, puis le président, ont été vus dans les télévisions et les médias.
Milei candidat : une hostilité maximale
Durant la campagne électorale qui se déroule à l’automne 2023, le candidat Milei est présenté comme « un OVNI politique », un candidat surprise, un personnage hors-système.
Sur quasiment toutes les télévisions Françaises, il est au choix qualifié de populiste, violent, ultra-libéral, ultraréactionnaire, ultra-conservateur, mais aussi comme un polémiste de plateau de télévision, un novice en politique, et parfois comme un homme à la limite de l’inculture.
En complément de cette présentation simpliste et inquiétante du candidat, certains aspects sont insuffisamment montrés par lesdites télévisions, ce qui ne permet pas de bien apprécier la situation du pays. Citons notamment la situation économique générale, l’inflation galopante (25% par mois) qui impose de vivre au jour le jour et rend impossible toute projection dans l’avenir, et l’usure du pouvoir de centre-gauche en place.
Il est exact que l’homme ne fait pas dans la dentelle et qu’il sait manier la provocation. Par exemple lorsqu’il se présente à ses meetings en brandissant une tronçonneuse, comme un symbole de la méthode qu’il entend appliquer aux dépenses inutiles de l’état.
Dans son programme figurent également la volonté de réorienter les moyens vers les fondamentaux de l’économie productive, la suppression pure et simple de plusieurs ministères, ainsi qu’un large programme de privatisations.
Face à Milei, le pouvoir sortant est semble‑t’il quelque peu corrompu, et en tout cas incapable de se réformer et de sortir le pays de la spirale déficit – inflation.
Finalement, les électeurs Argentins n’écouteront pas les télévisions françaises … et J. Milei sera élu confortablement le 19 Novembre 2023, avec 55,6% des suffrages.
Il prendra officiellement ses fonctions le 10 Décembre suivant.
Milei président : la défiance continue
Durant les premiers temps de la présidence Milei, les explications sur l’esprit des réformes économiques sont toujours inexistantes, mais la défiance reste omniprésente.
En voici deux exemples, choisis dans des émissions de divertissement, mais qui montrent que les journalistes n’ont rien appris de l’élection Argentine.
La chronique « dans le box d’Angèle » de l’émission Culturebox du 18 Mars 2024 est consacrée à une Pop star Argentine, dont le principal titre de gloire semble être son hostilité à Milei.
Extrait de l’introduction :
« On va parler de Lali ESPOSITO, une artiste déjà très politisée et notamment contre le nouveau président Argentin J. Milei … fraîchement élu, un président misogyne, homophobe, climatosceptique, tout le contraire de Lali ESPOSITO, 32 ans, star de la POP en Argentine, progressiste, féministe, icône de la communauté LGBT, autant de sujets qu’elle défend sur les réseaux sociaux comme dans sa musique… »
La suite de la chronique montre davantage d’agressivité ouverte contre Milei que d’intérêt pour la musique de L. Esposito, si bien qu’il est permis de se demander si la chanteuse a été convoquée dans cette chronique pour sa musique, ou comme une occasion pour se défouler sur le président Argentin.
Une chronique de l’émission Quotidien où J. Milei est abondamment moqué pour sa liaison avec une animatrice de la TV Argentine.
En bref, J. Milei est toujours brocardé avec beaucoup de suffisance, et cela ne va pas sans laisser un sentiment de malaise vis à vis de celui qui est maintenant le président régulièrement élu d’un grand pays étranger.
Milei un an après : premiers bilans
Pour le premier anniversaire de sa prise de fonction, l’heure est venue d’un premier inventaire, certes provisoire, mais déjà instructif.
Au niveau des grandes chaînes de télévision, il est stupéfiant de constater que rien n’a été fait à cette occasion.
Pour s’informer, il faut donc se tourner vers d’autres chaînes TV, des radios, la presse, et les constats effectués dans ces différents articles et podcasts se recoupent peu ou prou.
L’action rapide et déterminée sur la suppression des déficits, comme il avait été annoncé durant la campagne, est portée à l’actif du nouveau président. Le déficit budgétaire est totalement résorbé, avec même un excédent équivalent à 0,5% du PIB. Cette action a rapidement conduit à un ralentissement rapide de l’inflation, qui passe de 25,5% à 2,7% par mois.
Au passif, la récession économique est réelle, ‑3,5% en 2024 (voir plus loin), et elle s’accompagne d’une baisse de l’emploi public et d’une augmentation du chômage (+24%). Le montant des retraites a diminué tandis que certaines prestations largement subventionnées, notamment dans les transports, ont sensiblement augmenté. Il ressort de tout cela une augmentation du taux de pauvreté, qui est passé de 41,7% à la fin du 2nd semestre 2023, à 52,9% à la fin du 1er semestre 2024.
Le ton a quelque peu changé, dans la mesure où certains aspects sont maintenant portés à l’actif du président, même s’il est évidemment regrettable qu’il ait fallu attendre un an pour que son action commence à être prise au sérieux ! Malgré cette évolution positive, les constats demeurent, dans la plupart des cas, nettement partisans.
Mais bien peu d’information sur les TV Françaises
Malheureusement, les médias mainstream, et notamment les télévisions, ont fort peu et fort mal rendu compte de ces premiers succès. En témoigne le reportage « Milei, les méthodes du Trump Argentin » diffusé sur Envoyé spécial du 23 Janvier 2025.
Au premier abord, ce reportage montre un début de changement de ton, dans la mesure où le nouveau président est davantage pris au sérieux sur le plan économique.
Mais tandis que ses réussites sont mentionnées trop brièvement, comme du bout des lèvres, le reportage s’efforce de présenter le régime sous le jour le plus antipathique. Toutes les images vont dans ce sens ; c’est ainsi que sont successivement montré un Milei grossier et accro aux réseaux sociaux, une maquilleuse élue députée et présentée comme anti-féministe et anti-IVG, un cercle d’influenceurs séduits par la virilité du président, et une agence immobilière qui se réjouit de l’amnistie fiscale.
Plus orienté encore, le reportage montre un climat où les gens s’invectivent dans la rue, « un pays fracturé entre les pros et les anti Milei ». «En Argentine, les invectives ont remplacé le débat, un peu à l’image du président qui insulte ses opposants à chaque discours». Il est aujourd’hui difficile de reprocher à Milei de ne pas avoir tenu ses promesses et de lui contester certaines réussites économiques, qui arrivent même plus tôt que prévu.
Un bilan plus prometteur qu’il n’est décrit
Tout d’abord, pour informer complètement leurs publics, France24, France-info, Arte et consorts auraient dû préciser que l’économie Argentine était déjà en récession (-1,6% en 2023), et cela malgré les déficits.
Ensuite et surtout, il eut fallu préciser qu’une récession temporaire, pour douloureuse qu’elle soit, était parfaitement normale dans le contexte d’une réduction colossale de 30% des dépenses publiques. C’est le contraire qui eut été étonnant, et le candidat Milei n’a jamais prétendu qu’il n’y aurait pas une période difficile. La résorption des déficits a un effet récessif mécanique immédiat, de la même manière que les déficits créent un effet de relance, au moins à court terme. Il s’agit tout simplement de la base des théories économiques Keynésiennes.
Toute la question est de savoir comment l’économie repartira sur des bases assainies ; or, plusieurs indicateurs de l’économie Argentine pour le retour d’une croissance solide sont déjà repassés au vert. La preuve en est que le Fonds Monétaire International table sur une croissance de 5% en 2025.
Sur ce point, nous pouvons observer que la contraction du PIB (-3,5% au global en 2024) était forte au début de l’année, puis s’est ralentie, pour devenir nulle à la fin de l’année.
On le voit, l’occasion était belle d’informer tout en faisant un petit travail pédagogique en économie. Malheureusement, nous n’avons rien vu de tel dans les médias mainstream.
Enfin, plusieurs points importants sont passés sous silence et méritent d’être soulignés :
- la libéralisation du marché du logement, qui souffrait d’une pénurie d’offres notamment à Buenos-aires, et qui est emblématique de la méthode Milei. La suppression du contrôle des loyers et de certaines contraintes portant sur les propriétaires a conduit à une augmentation de 170% de l’offre locative, par remise sur le marché de biens qui en avaient été retirés. Les mécanismes universels d’offre et de demande ont fait le reste et ont permis une baisse des loyers en termes réels
- l’excédent commercial est de 15 milliards de dollars sur les 9 premiers mois de 2024, et les exportations sont en hausse
- le Peso Argentin s’est apprécié de 40%
- il existe de nombreux projets d’investissements dans le pays, notamment dans le domaine minier
- dernier aspect passé sous silence, et non des moindres : comment la population vit elle cette période et ce traitement de choc ? Positivement, puisque la popularité du nouveau président dans son pays est aujourd’hui supérieure à 50%.
Aucun des précédents présidents n’avait atteint un tel niveau après une année de pouvoir.
Ce chiffre remarquablement élevé est difficile à interpréter sans être immergé dans la société Argentine. Mais il montre en tout cas une certaine confiance, facteur toujours important en économie, et plutôt de bon augure pour l’avenir.
Le regard des autres pays
Sur un tel sujet, il est aussi instructif d’observer les réactions de la presse internationale.
Dans un article du 10 Décembre 2024 intitulé « La brutale réussite de la tronçonneuse », Courrier international se fait l’écho des principales réactions des grands journaux étrangers, dont la tonalité est globalement positive.
Extraits :
La Nation (Argentine) ; « en seulement un mois, il a réussi à en finir avec le déficit budgétaire. L’Argentine a retrouvé un excédent budgétaire de 0,5% du PIB, ce qui contraste avec le déficit total de 6 ‚1% sur lequel l’année 2023 s’était achevée.»
The Washington Time (Etats-unis) ; « un an plus tard, les prophéties annonçant une inévitable disparition du premier chef d’état libertarien du monde se sont avérées totalement fausses »
The Economist (Grande-Bretagne) : « Lorsque Milei a pris ses fonctions, l’inflation atteignait 13% par mois. Elle a grimpé à 25% après qu’il a dévalué le pesos Argentin. L’inflation est désormais inférieure à 3% par mois. »
La France n’est pas l’Argentine, cela est entendu. Mais le bilan initial de l’homme à la tronçonneuse semble déjà encourageant, et il sera intéressant d’observer la suite de l’expérience. Ainsi que les réactions des médias de grand chemin, pour cela, il faudra probablement passer par quelques recherches en dehors des médias mainstream, tant ceux-ci ont jusqu’à maintenant toujours eu un train de retard sur la réalité.