Première diffusion le 03/09/2020
Le 2 août 2020, Le Monde publiait un article en forme de témoignages intitulé « héberger des migrants, cela a changé ma vie ». Un moment édifiant de propagande médiatique. Lecture.
Quelques illustrations
L’article, signé Julia Pascual, est très long et est accompagné de photographies montrant :
- Deux migrants, un pakistanais et un guinéen, dans une piscine, avec deux jeunes femmes hilares, les parents assis sur le rebord. C’est dans la maison familiale.
- Un migrant afghan âgé de 15 ans, prenant sa tasse dans la cuisine d’un appartement, en compagnie d’un couple. C’est chez eux.
- Un migrant sénégalais assis sur le canapé d’un appartement, entouré de deux adultes et de leurs deux jeunes filles. Au premier plan, un chien à la mode.
- Un migrant à la fenêtre d’un appartement, en compagnie de son hôte âgé de 72 ans.
- Une migrante guinéenne, panier posé sur la tête, en compagnie de la femme qui l’accueille chez elle.
- Mohamed Ali (pas le grand boxeur), en compagnie des deux jeunes femmes l’ayant pris en charge.
Des exemples de situation familiale divers, dans des régions elles-mêmes diverses, un peu partout en France. L’ensemble est construit comme une publicité ou une opération de communication.
Il commence par une accroche : « Touchés par le sort de jeunes réfugiés contraints de dormir dans la rue, des citoyens ordinaires leur ouvrent la porte de leur domicile. Ils racontent au « Monde » cette expérience. »
Ce que raconte l’article, départ larmoyant
« C’est l’été et celui-ci, comme les précédents depuis cinq ans, n’offre pas de répit aux personnes migrantes qui vivent à la rue. Avant une opération de mise à l’abri de la préfecture d’Ile-de-France, mercredi 29 juillet, ils étaient plus de 2 000 à camper le long du canal, à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) ; des demandeurs d’asile, afghans et soudanais en majorité. Parmi eux, des familles avec des enfants en bas âge et des femmes enceintes. En France, un demandeur d’asile sur deux n’est pas hébergé, faute de capacité dans le dispositif national d’accueil. Le 115 est, lui aussi, saturé. En plein centre de Paris, dans un petit square, autour de 70 jeunes se réclamant mineurs, vivent aussi sous tente depuis un mois. Ils viennent en majorité d’Afrique de l’Ouest (Guinée, Mali, Côte d’Ivoire) et ont migré seuls en Europe. Lorsque les départements dont relève l’Aide sociale à l’enfance (ASE) ne les reconnaissent pas mineurs – à l’issue d’un entretien souvent sommaire –, ils ne font l’objet d’aucune prise en charge, malgré leurs recours devant le juge des enfants. »
Devant cette situation, que Le Monde ne cherche pas à décrypter (pourquoi sont-ils là ?), l’article veut présenter des réponses se voulant exemplaires, celles de « citoyens ordinaires », comme Cédric Herrou sans doute.
Le Monde met donc en avant « des élans de solidarité de simples citoyens, épaulés parfois par des associations ». Une façon soft de dire sans le dire que ce qui est décrit par cet article, l’accueil de migrants chez eux par des Français, est en fait une action probablement menée en sous-main par ces associations.
Bécassines et bécassons
Suivent donc six exemples censés être émouvants :
À Paris, Pascale et Bertrand ont accueilli un migrant et « ça a changé » leur vie. Il faut dire que Pascale est fille de déporté (elle a 58 ans) et « elle a toujours entendu son père lui raconter des histoires d’enfants juifs dont les parents avaient été envoyés dans les camps de concentration. Cette histoire familiale l’a marquée. » Bertrand est quant à lui de « ces juifs qui ont massivement dû quitter la Tunisie ». Ils sont militants « pour la paix en Israël ». Ils accueillent un Afghan musulman. Un tel symbole, s’il n’existait pas, il faudrait l’inventer.
À Paris, Marie et Stéphane, la quarantaine : « Un soir de novembre 2018, sous une pluie battante, un Sénégalais entre dans le lieu de coworking. Il est fatigué, il a froid et nulle part où aller. « Je n’ai pas compris tout de suite ce qui se passait », explique Marie Roussel. Elle finit par contacter une association qui lui conseille de l’amener porte d’Aubervilliers. Le jeune homme se verra remettre une couverture pour passer la nuit, lui dit-on. « Avec Stéphane, on s’est dit que ce n’était pas possible », relate-t-elle. Ismaïla est aussitôt hébergé par le couple, qui habite un duplex dans le 10e arrondissement, avec leurs deux enfants de 11 et 15 ans. « La troisième ou la quatrième nuit, Ismaïla a ramené son ami Samba », rapporte Marie Roussel. Les deux jeunes sont installés dans un coin aménagé de l’appartement. « C’est un peu bizarre au début, on ne sait pas comment communiquer, se souvient Marie. Mais les enfants ont permis d’établir un lien facilement. » L’expression « hébergeurs citoyens » naît donc dans l’article pour désigner ceux qui accueillent. Gageons qu’elle aura une postérité sous peu.
À Paris, Georges Lafon : « Le vaste appartement qu’il occupe, au pied de Montmartre, dans le 18e arrondissement de la capitale, est « trop grand » pour que Georges Lafon, 72 ans, y vive seul. Sa femme habite en Belgique, et il a pris l’habitude, depuis des années, d’héberger des amis ou de louer une chambre à des étudiants. Quand il est allé chercher Abdul Saboor à la gare d’Austerlitz, en novembre 2017, c’était pour « faire plaisir à [sa] belle-sœur ». Un groupe de Bruxellois investi dans le milieu associatif cherchait un pied à terre en urgence pour un Afghan qui débarquait en France. Ce devait être l’affaire de quelques jours. « Ce n’était pas un acte raisonné », assure-t-il. Près de trois ans se sont écoulés et Abdul, âgé d’une trentaine d’années, vit toujours chez lui. »
L’homme accueilli a quitté l’Afghanistan en 2016. Il indique : « Un ami m’a dit de venir en France pour les papiers ». Au moins, les choses sont claires : pour ceux qui se demandent encore pourquoi une telle masse de migrants vient en France, c’est parce qu’en France on obtient des papiers.
Valérie et Laurent, Montauban : « « Je veux rendre l’ISF [impôt sur la fortune]. » C’est animée par cette envie de réinjecter son argent dans la solidarité que Valérie Jorigné, 53 ans, a adressé un mail, fin 2018, à Utopia 56, une association d’aide aux migrants qu’elle a découverte au hasard de recherches sur Internet. Avec son mari Laurent, 55 ans, ils étaient prêts à « accueillir des gamins vivant à la rue », dans leur maison de 400 m² située sur une route de campagne près de Montauban. » Il n’est pas certain que l’exemple demande de plus amples développements, certains lecteurs pouvant déjà être choqués par cette indécence. Disons simplement qu’ils ont accueilli un serbe du Kosovo doué en athlétisme, puis un guinéen et un pakistanais. Ce dernier est très bien, en à peine un an il parle français « avec facilité ».
À Toulouse, Béatrice : après avoir hébergé une guinéenne, elle a « trouvé l’expérience intéressante dans le partage, j’ai appris plein de choses ». Il semble que ce soient bien les mots de la dame. Elle est petite-fille d’immigrés italiens installés en Algérie. « En décembre 2019, Mifta Keita arrive chez Béatrice. La jeune femme, danseuse professionnelle en Guinée et mère d’un enfant de 11 ans resté au pays, est en France depuis février 2019. Malgré sa demande d’asile, aucun hébergement ne lui a été proposé par l’État. » Il est tout de même incroyable que la France ne propose pas de logement à toutes les personnes qui décident de venir illégalement sur son territoire…
À Banyuls sur Mer, Olivia et Kelly partagent depuis deux ans leur appartement avec Mohamed Ali, soudanais au physique de boxeur, nommé ainsi peut-être comme l’illustre champion. Éloge de l’illégalité par Le Monde : « Leur rencontre est liée au hasard. Celui de l’itinéraire d’un chauffeur routier dans le camion duquel Mohamed et une poignée d’autres Soudanais et Erythréens s’étaient cachés en Italie, pour passer la frontière et entrer en France. Mais lorsque le petit groupe de migrants est extrait du poids lourd, plusieurs heures plus tard, ils découvrent avec surprise qu’ils sont en Espagne, à Figueras. Ils rebroussent chemin, en train, mais la police française les interpelle à la frontière et veut les refouler en Espagne. Mohamed et trois autres Soudanais parviennent à s’enfuir en courant vers les chemins de montagne. Deux heures après, ils arrivent sur les hauteurs de Banyuls-sur-Mer, par une petite route bordée de vignes, en pleine chaleur, à l’été 2018. ».
Conclusion de l’article : « Les deux femmes refusent de voir dans leur démarche un geste politique. « C’est juste humain, fait valoir Emilie Kelly. On ne devrait pas avoir à porter une bannière pour ce genre de droits fondamentaux. »
Tout cela est fort joli, digne d’un reportage d’une époque éculée, celle de l’URSS. Sauf si Le Monde décidait de consacrer autant de pages aux drames provoqués en France par des migrants et, pourquoi pas, par des migrants accueillis sympathiquement dans des maisons ? Ou même dans les rues, comme à Cologne en 2015 ? Chiche ?