Cet été 2020 est un peu particulier. Les restrictions de circulation dues à l’épidémie de coronavirus et la crise économique ont contraint de nombreux jeunes et de moins jeunes à rester chez eux. La période estivale n’en a pas pour autant été de tout repos. La délinquance, souvent gratuite, n’a pas pris de vacances. Ces dernières semaines ont en effet été émaillées par des agressions parfois particulièrement violentes. La couverture médiatique de ces événements a oscillé entre récits ponctuels et neutralité bienveillante vis-à-vis de certains politiques qui ont tout fait pour les minimiser.
Des agressions qui mettent la question de la sécurité au premier plan
Les agressions sauvages contre un chauffeur de bus à Bayonne, une gendarme à Port-Saint-Marie et un jeune à Sarcelles ont mis début juillet la question de la sécurité au premier plan. Comme le soulignent notamment L’Express et Le Huffpost, le nouveau ministre de l’intérieur Gérald Darmanin a multiplié les déplacements et les déclarations de fermeté. Les nombreux faits-divers relatés dans les médias ces dernières semaines nous montrent pourtant que les coups de menton et les annonces de renforts ponctuels de policiers ne suffisent pas à endiguer la montée de la violence.
La fête nationale : des mortiers à la place des feux d’artifice
Afin d’éviter des rassemblements propices à la propagation du coronavirus, les traditionnels feux d’artifice du 14 juillet ont été annulés cette année. À défaut de spectacles pyrotechniques, de nombreux jeunes ont fêté le 14 juillet à leur manière. Selon Actu.fr, les policiers ont été plus nombreux qu’en 2019 à avoir été blessés à Paris à l’occasion de la fête nationale. Les effectifs de la préfecture de police ont connu « deux nuits compliquées », apprend-on à la lecture de l’article. En fait de « complications », on constate qu’il s’agissait d’éviter les traquenards des voyous, notamment des « tirs tendus de mortiers d’artifice », selon le Préfet de police.
Mais il n’y a pas que dans la bien nommée « ville lumière » que de nombreux voyous ont eu à cœur de « compliquer » la vie des riverains et de la police. Le Figaro nous informe que « des violences urbaines (ont eu lieu ) dans toute la France ». L’article du quotidien est une longue litanie de toutes les violences, agressions et dégradations recensées dans la nuit précédant le 14 juillet. Le récit de ces événements dans les médias de grand chemin est purement factuel : les journalistes ne s’indignent plus pour ce qui semble désormais être un folklore qu’il serait mal venu de qualifier de « franco-français »…
Les bases de « loisir » : amusements en tous genres
La région Ile de France est clairsemée de bases de loisirs, qui permettent à ceux qui ne partent pas en vacances de se divertir. La notion de divertissement doit avoir pour certains individus une signification différente de celle communément admise. C’est ainsi que selon Le Parisien le 2 août, à la base de loisir de Boissy-le-Roi, des individus armés de barres de fer ont causé un traumatisme crânien à un jeune de 14 ans, après « une violente rixe ».
À Vaires Torcy, c’est selon CNews un agent de sécurité qui a été agressé au couteau par des jeunes qui n’ont pas apprécié qu’il leur demande de quitter les lieux. « La direction de la base de loisirs a déjà été confrontées à des incivilités », nous informe de façon pudique la chaine d’informations.
À Étampes, c’est selon Le Midi libre « une bagarre générale entre plus de 200 jeunes (qui a éclaté) dans une base de loisirs ». La gendarmerie et la police arrivées sur les lieux ainsi que des agents de sécurité auraient été rapidement « surpassés » en raison du nombre de jeunes, au point de se faire encercler. On n’en saura pas plus sur cette situation qui aurait pu être mise en avant comme symbole de forces de l’ordre totalement dépassées par l’ampleur des événements. Tout juste apprend-on que « tout est rentré dans l’ordre ».
Des matchs de football assez virils
Vous ne le saviez peut-être pas : le championnat de football n’a pas connu de trêve cet été. En fait de championnat de foot, il s’agit de compétitions entre cités de la région parisienne. Actu.fr nous apprend que « le match de foot dégénère en bagarre générale à Versailles » le 9 juillet. Le score du match opposant des jeunes d’un quartier de Versailles à ceux d’une ville voisine : 5 jeunes blessés. La compétition n’allait pas s’arrêter en si bon train : Le Parisien nous informe le 5 août que deux jeunes ont été poignardés lors d’une rixe le 3 août. Dans la nuit du 4 au 5 août, c’est la BAC qui surprend des jeunes en train de mettre des engins incendiaires dans une voiture, « un nouvel épisode de la guerre des bandes ». On ne saura pas s’il s’agit de la finale…
À Vierzon, Le Berry Républicain nous informe le 18 juillet d’une « bagarre générale en marge d’un match de football ». Comme dans les Yvelines, ce sont plus de deux cents jeunes qui sont impliqués dans la bagarre. Dans l’Oise, à Noyon, on déplore « deux blessés dans un affrontement entre jeunes après un tournoi de foot », nous informe Oise hebdo. C’était à l’occasion de « la coupe d’Afrique des nations de football des quartiers ». On pourrait multiplier les exemples de matchs plus ou moins « officiels » qui ont dégénéré en cet été particulièrement chaud.
La motocyclette, un loisir de « jeunes »
Un autre façon de se distraire en été est de faire de la motocyclette. Mais ce qui paraît plus distrayant qu’une simple promenade à certains est de faire du « Wheeling » (rouler sur une roue) et d’innombrables et bruyants aller et venues dans le quartier. Comme on dit, « sinon cela ne serait pas marrant »…
L’été a bien mal commencé : CNews nous informe le 25 juin qu’un enfant a été gravement blessé après avoir été renversé par un deux roues qui faisait un rodéo à Vaulx-en-Velin. Cela est loin d’avoir freiné les ardeurs de nombreux jeunes de cité : la presse régionale consacre plusieurs articles à ce sujet : à Reims, Albert, Hérouville-Saint-Clair, Grasse, Saint-Germain-en-Laye, Bruay-sur‑l’Escaut, Quimper, etc. À Montbrison, ce sont carrément une cinquantaine de jeunes qui bloquent la circulation. On apprend à la lecture des articles que les interpellations sont houleuses, quand par chance elles sont organisées…
Des nuits de violence gratuite
Quand des bandes s’affrontent ou déclenchent incendies et autres tirs de mortier et guet-apens de policiers, ce qui est très fréquent en cet été, la presse locale parle souvent de « nuit agitée ». C’est le cas à Audierne le 11 juillet, à Béthune le 13 juillet où le maire menace d’instaurer un couvre-feu, à Fort-de-France le 16 juillet, à Villeurbanne le 23 juillet, le 31 juillet à Chatillon « après plusieurs incendies volontaires », le 2 août aux Mureaux et à Chanteloup-les-Vignes où une vingtaine d’individus attaque des policiers, etc. On comprend que ce n’est pas le sommeil des voyous qui est « agité »…
Les pompiers se manifestent
La blessure par balle d’un pompier le 14 juillet alors qu’il éteignait un incendie de voiture à Etampes, relatée notamment par Jean-Marc Morandini, a été l’occasion de relancer la question de l’augmentation des violences non seulement contre la police, mais également contre tout ceux qui représentent « les autorités ». Valeurs actuelles reprend à ce sujet une éloquente intervention du criminologue Alain Bauer lors d’un débat sur Paris Première avec un contradicteur qu’il laisse pantois.
Les chauffeurs de bus particulièrement exposés
Le respect du port du masque dans les transports en commun passe mal auprès de certains jeunes. L’assassinat d’un chauffeur de bus à Bayonne a été suivi par de nombreuses autres agressions, certes moins graves mais tout aussi révélatrices de l’ensauvagement de la société française.
Le Parisien recense le 14 août dans un article les « insultes, menaces et agressions » quasi quotidiennes dont ont été victimes les conducteurs de bus en Ile de France entre le 17 et 30 juillet.
Mais il n’y a pas qu’en région parisienne que des conducteurs de bus sont agressés, en particulier quand ils essaient de faire respecter l’obligation du port du masque. La presse quotidienne régionale et les chaines d’information nous informent d’agressions commises cet été à Marcq-en-Baroeul, Lyon, Saint-Étienne, Dijon, etc.
La lâcheté des voyous a également trouvé à s’illustrer à Neuilly-sur-Marne, en Seine Saint Denis : une infirmière demandant à deux jeunes de mettre leur masque a été sauvagement agressée par deux adolescents, nous informe notamment Le Point.
Adama Traoré agresseur sexuel
Ces dernières semaines, les médias de grand chemin ont également continué à évoquer l’affaire Adama Traoré, notamment à l’occasion de la relance de l’enquête judiciaire au sujet de son décès, à l’image du Monde et du Parisien. Ils ont par contre été particulièrement discrets concernant l’indemnisation de son codétenu en 2016 car, comme l’indique Le Point, « les faits d’agression sexuelle qui ont été portés à (la) connaissance (de la commission d’indemnisation NDPR) ont été établis ».
Le lien entre violence gratuite et immigration
Les tentatives d’explication des violences pendant cet été sont parfois radicalement différentes. Le vice-Président du conseil régional d’Ile de France explique au micro de BFMTV à sa façon les violences commises dans le parc d’attraction d’Étampes : « Ceux qui ne sont pas rentrés dans leur pays d’origine ont accumulé beaucoup de frustration ».
Le Parisien tente dans son édition du 6 août d’expliquer pourquoi de nombreux jeunes restent chez eux :
« Les voyages en Algérie et au Maroc sont en effet déconseillés ». Le maire de Carrières-sous-Poissy a des craintes à ce sujet : « D’habitude, ces jeunes partent dans le pays d’origine de leurs grands-parents (…) l’ennui peut conduire à faire des bêtises ». Les « bêtises », il suffit de se tenir informé pour constater qu’elles sont nombreuses.
La culture de l’excuse toujours avec le sociologue préféré des médias, Laurent Muchielli, celui qui affirme à Var Matin que « la délinquance n’existe pas », celui pour qui « il n’y a pas plus de violences interpersonnelles dans la société d’aujourd’hui par rapport à celle d’il y a 20 ou 30 ans ». Cela alors que, comme le souligne notamment Damien Rieu sur son compte Telegram, les statistiques du ministère de l’intérieur le démentent formellement.
Le journaliste Clément Weill-Rainal met les pieds dans le plat sur Twitter en relayant un article de L’Express : « Le pédopsychiatre Maurice Berger, qui enseigne à l’École Nationale de la Magistrature, établit un lien entre violence gratuite des jeunes et immigration ».
BFMTV consacre le 30 juillet un reportage à la délinquance à Bordeaux et donne la parole à un syndicaliste policier : « la majorité des agressions au couteau sont le fait de mineurs étrangers ».
Une contextualisation assez rare
Les articles cherchant à donner des éléments de contexte aux nombreux faits de délinquance sont assez rares dans la période. En janvier 2020, le site d’informations Sputniknews évoquait « l’explosion de la délinquance en 2019 » pour commenter les statistiques de l’année précédente, tandis que Le Point évoquait « un triste bilan ».
Plus récemment, Le Figaro a publié le 6 août des extraits d’un état des lieux dressé par les services de police et de gendarmerie intitulé « chronique de 72 heures de violence ordinaire en France : le document choc ».
Voir et dire ce que l’on voit
Il ressort des différents articles mentionnés consacrés aux faits de violence à la fois une résignation et une volonté d’euphémisation. Résignation notamment à l’occasion des violences lors de la fête nationale, presque présentées comme une phénomène naturel qui ne suscite plus l’indignation. Euphémisation dans le choix des mots : les nuits de violence sont des « nuits agitées », les jeunes qui attaquent, vandalisent et se battent « font des bêtises ». La culpabilité des jeunes délinquants est parfois même atténuée : ils ont « accumulé beaucoup de frustrations » selon le vice-Président du conseil régional d’Ile de France interviewé par Le Parisien.
Comme pour faire oublier le choix par le Président de la République du mot « incivilités » pour qualifier les violences, le nouveau ministre de l’intérieur parle de l’« ensauvagement » de la société. Plusieurs titres de presse, dont le Huffpost, nous informent que cela provoque des protestations outrées d’une partie de la gauche. Un choix des mots qui n’est pas anodin, car comme le souligne Hugues Lagrange au Figaro le 6 août : « on supporte mal la violence, on s’accommode des incivilités ».
Déni encore et toujours sur France culture (culture avec une minuscule) pour qui, à l’occasion d’une émission diffusée le 31 juillet, le phénomène de la violence des jeunes serait une « rengaine ».
C’est en creux un novlangue qui est employée par de nombreux médias, qui manient des termes atténuants et des formulations indirectes, comme pour émousser la violence des actes de plus en plus fréquents qui sont commis.
Un début de sursaut
Les médias nous informent qu’ici ou là, des sursauts citoyens voient le jour. C’est le mouvement sur les réseaux sociaux « on veut les noms », qu’évoque notamment Georges Kuzmanovic pour Front populaire.
C’est le 1er aout une marche suivie par Sputniknews pour « une justice exemplaire pour l’assassin multi récidiviste de Thomas », poignardé mortellement à Sarcelles. Ce sont 300 personnes qui ont manifesté pour dénoncer la délinquance le 7 août à Palavas-Les-Flots selon France Bleu. Avant tous ces événements, évoquant l’affaire Adama Traoré, Guillaume Bigot soulignait dans un éditorial sur CNews du 6 juin ce que serait le véritable courage : condamner ce qui doit véritablement l’être. On ne saurait mieux dire.