« S’intéresser à tout ce qui se passe ailleurs, c’est l’ambition de la nouvelle émission de Nicolas Demorand qui, tous les soirs, analyse l’actualité étrangère » sur France Inter. Diffusée à une heure de grande écoute, « Un jour dans le monde » se veut l’émission géopolitique de référence : des correspondants un peu partout sur la planète, des sujets divers et variés, des invités prestigieux. Du 8 au 15 septembre, l’OJIM a suivi pour vous Nicolas Demorand et ses invités. Si la promesse d’ouverture sur le monde est bel et bien tenue, l’ouverture… idéologique, elle, n’est pas vraiment au rendez-vous !
Bruxelles mon amour
L’Union européenne et les Etats-Unis sont hissés au rang d’icônes. On peut ainsi entendre Jean Pisani-Ferry tresser des lauriers à la politique de la BCE (08/09), sans qu’aucun contre-argument ne soit avancé. Le traité transatlantique ? « Nous l’appelons tous de nos vœux », assène Arnaud Leparmentier, par ailleurs journaliste au Monde. Cette confusion du rôle du journaliste et d’homme politique n’est pas sans rappeler la campagne en faveur du Oui qu’avait menée en 2005 la matinale de France Culture, où officiait déjà M. Demorand. Toute idée qui s’éloigne un tant soit peu de l’orthodoxie bruxelloise fait par conséquent l’objet d’un feu nourri : stigmatisation de la France et de sa « tentation protectionniste », reductio ad lepenum de toute personne évoquant la renégociation des accords de Schengen, etc.
« Un jour dans le monde » montre peu d’ouverture aux opinions non conventionnelles, soit. Mais l’auditeur a également de quoi être surpris par la façon dont Nicolas Demorand présente ses invités, en « omettant » de faire référence à leurs éventuelles activités militantes – par exemple l’engagement à l’UDI de Quentin Dickinson, décrit comme un simple consultant. Le mécanisme, subtil mais efficace, permet de maquiller un avis politique subjectif en une expertise journalistique objective.
Bernard-Henri Lévy chez Casimir
Le soutien total apporté à la politique américaine — et à l’intervention occidentale contre l’État islamique — empêche toute critique de celle-ci, ou déclenche le cas échéant un réflexe pavlovien. En témoigne la virulente réaction d’Omar Ouahane aux propos tenus par le journal libanais Al-Diyar, qui ose écrire que « la politique étrangère de Washington est guidée par ses seuls intérêts et que ses alliés d’aujourd’hui seront peut-être ses ennemis de demain ». Sacrilège !
Bien sûr, le format court de l’émission n’est pas propice à des réflexions approfondies. Toutefois, l’auditeur peut être surpris par la légèreté avec laquelle sont traités des sujets pourtant très sérieux. Les rapports internationaux semblent réduits à l’affrontement des bons et des méchants, des intelligents et des sots. Ainsi, le mouvement indépendantiste écossais est sévèrement méprisé : celui-ci n’aurait qu’un rêve, « une Ecosse libre, bucolique, vivant de whisky, d’éoliennes et du festival d’Edinbourg ». Cette légèreté semble également prisée par Eric Valmir, lequel explique, au cours de sa recension du film L’Institutrice, que le conflit israélo-palestinien est dû « au manque de poésie des Israéliens » (sic).
Voyage au bout de l’antifascisme
A entendre les différents intervenants, il n’y qu’un seul péril aujourd’hui menaçant : le péril fasciste et ses déclinaisons. L’Écosse indépendante ? Une percée dangereuse du « nationalisme ». Des élections – pourtant démocratiques – où le parti des Démocrates suédois récoltent 13 % des suffrages ? Forcément « préoccupantes », car ce parti « traite les étrangers comme des sous êtres humains » déclare sans rire Éric Valmir (15/09). Foin de la réalité ou de l’enquête ; l’idéologie suffit.
La menace ne peut ainsi venir que d’un seul extrême, celui placé à droite de l’échiquier. « Un jour dans le monde » assume du reste parfaitement ce parti-pris. Ainsi, Arnaud Leparmentier de déclarer, à propos des 28 % obtenu par Die Linke (ex parti communiste) aux élections régionales allemandes en Thüringe le 14 septembre : « franchement nous on ne nous la fait pas, nous avons du mal à crier au retour des bolcheviks ». La menace terroriste, elle non plus, n’inquiète pas outre mesure. Dominique Moisi (IFRI) déclare ainsi à propos de l’attitude à adopter face aux djihadistes : « il s’agit de dire aux jeunes qui sont tentés de partir qu’il n’y a aucun avenir [dans le terrorisme] ». La solution ? « Comprendre et accepter la différence », et arrêter d’« humilier » ces jeunes. Avec la haine de soi, la boucle est bouclée.
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