Depuis longtemps modèle économique, voici l’Allemagne érigée en modèle humanitaire pour sa gestion jugée exemplaire et généreuse de la crise des migrants. Mais pour ce qui est du démocratique, il faudra repasser. Une affaire récente révèle de façon inquiétante les carences de ce pays en la matière.
Un site d’information indépendant, Netzpolitik, et deux de ses journalistes, sont en effet dans le collimateur du renseignement et de la justice pour des faits… de haute trahison. Un chef d’accusation que l’on ne s’attend pas à rencontrer dans un pays démocratique en 2015. L’affaire fait un tollé outre-Rhin, d’autant plus que ce chef d’accusation n’a pas été utilisé depuis 1962 en RFA et que le procureur, Harald Range, qui avait tenté de désamorcer la bombe judiciaire en ordonnant une expertise pour savoir si les journalistes avaient bien publié des données secrètes, a été mis d’office à la retraite par le ministre de la Justice, et remplacé. L’affaire pose la question du droit à un procès équitable garanti par la Convention Européenne des Droits de l’Homme.
Netzpolitik est un petit média qui fête ses 11 ans ces jours-ci. Bénéficiant d’une audience assez modeste – 40 000 visiteurs par jour tout de même –, le site est en pointe sur la défense des libertés numériques et la transparence de la vie politique. Un de ses journalistes, Andre Meister, a publié, le 25 février et le 15 avril, deux articles qui ont fortement déplu au Bundesamt für Verfassungsschutz (BfV, Office fédéral pour la protection de la Constitution) qui fait office de renseignement intérieur allemand.
Dans le premier article, le site donnait le budget détaillé de la structure, budget qui comme la plupart de ceux des services similaires est secret. Cela lui permettait de constater que le BfV allait bénéficier d’une enveloppe de 2,75 millions d’€ pour « analyser massivement des données Internet », en clair, fliquer tout ce qui se passe sur le web allemand. Le second article du 15 avril apportait de l’eau au moulin de cette thèse en précisant, à l’aide de nouveaux documents internes – et eux aussi secrets – que le BfV était en train d’être doté d’une structure de 75 agents, le Erweiterte Fachunterstützung Internet (EFI, support internet étendu spécialisé), afin d’analyser le contenu des tchats et les données de Facebook.
Pour avoir prévenu les Allemands que leur État s’apprêtait à mettre en place une surveillance massive que n’aurait pas reniée la Stasi – et qui est de surcroît illégale, puisque la législation allemande n’autorise le BfV qu’à des investigations ciblées – Andre Meister a été mis en cause suite à une plainte de Hans-Georg Maassen, président du renseignement intérieur allemand. Le responsable du site, Markus Beckedahl, est lui aussi poursuivi.
Alors qu’en France la nouvelle loi sur le renseignement rend très illusoire la protection des sources des journalistes, avocats et autres parlementaires, en Allemagne, c’est carrément la liberté d’information qui est attaquée. Comme si, sans totalitarisme, sans guerre, sans dictateurs, sans canons braqués, les deux gouvernements français et allemand, pour une fois sur la même longueur d’onde, s’affairaient pacifiquement à remettre en place des rideaux de fer tout en assurant, la main sur le cœur, vouloir défendre les idéaux démocratiques européens…