Le contraste est frappant : une recherche Google sur les mots Espagne + “fake news” + Sanchez ne fait apparaître qu’un seul article critique du gouvernement de gauche (et d’extrême gauche) espagnol, celui de RSF qui s’inquiète de « la liberté de la presse menacée par la procédure du gouvernement contre la désinformation ». En revanche, une recherche sur les mots Hongrie + “fake news” + Orban permet d’obtenir dans les premiers résultats uniquement des titres laissant entendre que la Hongrie serait désormais une dictature.
Pedro Sanchez crée une structure extra-judiciaire
Les articles en question datent du printemps 2020 quand, dans le cadre de « l’état de danger » décrété pour faire face à la pandémie, un délit de désinformation avait été instauré en Hongrie pour tout acte de désinformation volontaire et malveillant en rapport avec la pandémie de Covid-19. L’état de danger n’exonérait toutefois pas le gouvernement d’avoir à traduire les contrevenants devant les tribunaux. L’article de RSF porte au contraire sur une structure extra-judiciaire permanente, mise en place par le gouvernement de Pedro Sánchez pour lutter contre la désinformation dans les médias et sur les réseaux sociaux. Publiée le 5 novembre dans l’équivalent espagnol du Journal officiel, la décision approuvée par le Conseil de sécurité nationale crée une commission interministérielle chargée de lutter contre ce qui sera considéré comme étant des campagnes de désinformation, notamment, mais pas seulement, lorsqu’elles sont menées depuis l’étranger.
Ce seront donc les membres du gouvernement de Pedro Sánchez, composés de militants du parti socialiste (PSOE) et de l’alliance du parti d’extrême gauche Podemos avec les communistes (Unidas Podemos) qui décideront de ce qui est vrai et ce qui relève de la fausse information aussi bien dans les médias traditionnels que sur les réseaux sociaux.
« Nous déplorons qu’une mesure aux termes aussi imprécis constitue le fondement d’une lutte contre la désinformation. Partout dans le monde, nous dénonçons les lois censées lutter contre les fake news qui, en réalité, visent à éroder la liberté de la presse à travers une ambiguïté délibérée », déclare le président de RSF Espagne, Alfonso Armada. « C’est pourquoi nous demandons au gouvernement espagnol de réviser, dans un esprit de précision, toutes les mesures de cette procédure, et de revenir sur son pouvoir de déterminer ce qui est et n’est pas de la désinformation. »
L’ère de la « post-vérité » a bon dos
Le chef du parti d’extrême gauche Podemos, vice-président du Conseil des ministres présidé par Pedro Sánchez, ne disait-il pas le 8 novembre, dans une interview pour le journal argentin Página 12, que les médias « ont une ligne éditoriale déterminée par la structure de propriété qu’il y a derrière » et que « de nos jours, les pouvoirs médiatiques qui travaillent avec l’extrême droite estiment qu’il est légitime de mentir. Nous l’avons vu en Espagne, en Argentine, en Bolivie, et nous le voyons aux États-Unis : Donald Trump en est un produit. (…) La plus grande menace pour nos systèmes démocratiques, c’est l’extrême droite et le comportement de certains pouvoirs médiatiques déterminés qui méprisent la vérité. Nous, les démocrates, nous devons nous regrouper, être unis et nous défendre contre cette menace. (…) Avec sa défaite [aux États-Unis] l’extrême droite mondiale perd son actif politique le plus puissant, mais elle reste un énorme danger en Amérique et en Europe ».
S’exprimant à propos de ce que les médias espagnols appellent désormais « Comité de la Vérité » ou « Ministère de la Vérité », la ministre de la Défense Margarita Robles, du PSOE, estime que le rôle de cette commission gouvernementale « a peut-être été mal expliqué » et que son rôle n’est pas tant de repérer les fausses nouvelles que les campagnes qui « de manière organisée et malveillante prétendent remettre en cause les institutions démocratiques ».
Dans une interview publiée le 21 novembre sur le site El Confidencial Digital, le président de l’Association de la presse de Madrid, Juan Caño, jugeait malgré tout que « ce gouvernement met beaucoup de bâtons dans les roues du travail journalistique. Raconter la vérité et cultiver la liberté d’expression ressemble à une course d’obstacles ».
Nouvelle Inquisition ?
Un éditorial du 30 novembre du quotidien El Mundo (un journal à la ligne assez hétérogène, mais généralement plutôt de droite) comparait ce « Comité de la Vérité » à l’Inquisition et à la censure franquiste. Un article du même journal publié le 5 novembre voyait dans ce comité un outil de surveillance sous contrôle du premier ministre, puisque dirigé et coordonné par son chef de cabinet et par le secrétaire d’État à la Communication. Le 6 novembre, le journal ABC, de centre-droit, affirmait que la Commission européenne était inquiète « du plan de Sánchez pour surveiller les médias » et remarquait que le gouvernement espagnol avait approuvé la création de sa stratégie de lutte contre la désinformation sans consulter les médias et en prétendant s’appuyer sur un Plan d’action pour la démocratie européenne de la Commission européenne alors que ce plan n’avait pas encore été lui-même approuvé au niveau européen. « Le gouvernement surveillera les médias pour poursuivre ce qu’il considérera être de la ‘désinformation ‘ », titrait encore ABC le 5 novembre.
Le quotidien de gauche El País rassurait toutefois ses lecteurs dès le 9 novembre, sous le titre : « La Commission européenne approuve le décret du gouvernement contre la désinformation ». Il est expliqué dans l’article d’El País – l’équivalent espagnol du journal Le Monde – que « en 2018, la Commission a demandé à tous les États membres de mettre en place des plans et des structures nationales pour détecter et contrer les campagnes de désinformation ».
Elle est quand même bien gentille cette Union Européenne, mais si peu pour les Européens.