Il n’y a qu’un seul écrivain Renaud Camus, dont les prises de position choquent assez les médias convenus pour être régulièrement rappelées chaque fois qu’un tueur ou terroriste autre que musulman, une petite minorité à l’échelle du monde, comparativement aux meurtres de masse en cours, assassine quelqu’un. Un seul écrivain mais en cas de portraits, il semble qu’il y ait plusieurs Camus. Tout est dans la présentation. Illustration avec Le Monde et Valeurs Actuelles.
Le Monde face à Renaud Camus
Le quotidien évoque souvent l’écrivain, pour l’incendier évidemment. Comme une façon de faire oublier l’ancienne adoration. Le Monde a eu le même problème avec Édouard Limonov mais comme ce dernier est parti en Russie pour créer le parti National-Bolchevik, sujet auquel un journaliste du Monde ne comprend goutte, l’écrivain russe ayant longtemps vécu en France, adulé, est aux oubliettes du journal.
Donc, un portrait de Renaud Camus paraît dans Le Monde daté du 9 novembre 2019 sous la signature de Lucie Soullier, commissaire du peuple chargée de la lutte contre l’extrême droite.
Les mots choisis sont intéressants :
- Titre : « Théorie du Grand Remplacement : Renaud Camus, aux origines de la haine ».
- Sous-titre : « Le concept qu’il a popularisé vaut à l’écrivain d’être devenu une figure de l’extrême droite identitaire en France et dans le monde ».
- Arrivée chez Camus : « un paysage presque caricaturalement français »
- « Nous serions venus rendre visite au diable en sa demeure, qu’il fait visiter sans ambages »
- « A 73 ans, c’est un vieux monsieur courtois qui prend le thé en s’amusant de notre venue, laquelle se finira forcément par « des horreurs » imprimées. Pourquoi nous permet-il donc d’entrer ? « Pour les 1 % qui pourraient se dire en vous lisant : “Il n’a pas tout à fait tort.” » Lui est donc là pour convaincre, nous pour tenter de comprendre comment cette figure de la littérature gay des années 1970–1980 au talent justement remarqué à l’époque est devenue, aujourd’hui, l’icône de ceux qui jurent au « grand remplacement », rengaine de l’extrême droite selon laquelle une « population française traditionnelle », « de souche » disparaîtrait à la faveur de son « remplacement » par une autre, extra-européenne. »
Le retour du diable
Renaud Camus refuse d’être considéré comme un homme de haine ? Qu’à cela ne tienne :
- « Certains dans le monde ont pourtant pris son« combat » au mot et retourné leurs armes contre les « occupants » désigné Le terroriste australien responsable du massacre de 51 personnes dans deux mosquées de Christchurch, en Nouvelle-Zélande, le 15 mars 2019, avait ainsi intitulé son « manifeste » : « Le grand remplacement ». »
- « En quelques années, l’expression qu’il a forgée, ou du moins réveillée en l’introduisant en 2010 dans son Abécédaire de l’In-nocence, est passée de l’hyper-underground d’extrême droite à une audience d’autant plus importante qu’elle se trouve aujourd’hui incarnée par des visages allant du maire de Béziers, Robert Ménard, au polémiste Eric Zemmour, en passant par Marion Maréchal ex-Le Pen (si jamais Lucie Soullier est divorcée, nous aimerions connaître son ancien nom afin de pouvoir écrire Lucie Soullier ex-quelque chose, puisque cela semble être l’usage, NdA)… La voilà banalisée au point qu’en décembre 2018 l’enquête sur le complotisme de la Fondation Jean-Jaurès et Conspiracy Watch réalisée avec l’institut IFOP, comptait une personne sur quatre en accord avec l’énoncé suivant :« L’immigration est organisée délibérément par nos élites politiques, intellectuelles et médiatiques pour aboutir à terme au remplacement de la population européenne par une population immigré »
- « Avant de se protéger, pense-t-il, de toute accusation de racisme en brandissant son amour des civilisations et, surtout, de leurs différences « Plus il y aura de discriminations, plus je serai heureux. » De l’ethno-différentialisme typique à l’extrême droite. De la « résistance », objecte-t-il. »
Puis Lucie Soullier retrace le parcours de Renaud Camus que nous évoquions ci-dessus, sous le titre « De l’antisémitisme à l’islamophobie », un bel exemple de cet « amalgame » prétendument sans cesse combattu par Le Monde.
Approximations et contradiction
Selon la journaliste, « L’idée d’un « grand remplacement» avait déjà été théorisée à la fin du XIXe siècle par des nationalistes français, notamment par l’antidreyfusard Maurice Barrès. Renaud Camus l’a revivifiée en y ajoutant une composante anti-islam à la mode depuis les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis et ceux du 13 novembre 2015 en France. De Barrès à Camus, la notion de « grand remplacement » est passée, comme une grande partie de l’extrême droite française, de l’antisémitisme à l’islamophobie. »
Elle est allée un peu vite, comme souvent au Monde quand il s’agit de dénoncer un homme ou une femme qui serait d’extrême droite, et la contradiction est pour une fois venue du Cheknews de Libération (financé par Facebook) : « Contrairement à ce qu’ont pu écrire «Le Monde» et «France Culture», Maurice Barrès n’a jamais utilisé l’expression «grand remplacement», popularisée depuis 2010 par l’écrivain d’extrême droite Renaud Camus. En 1900, Barrès développait cependant la théorie d’un nouveau peuple qui allait se substituer à la France. » La page démontre que l’affirmation de Soullier est fausse mais comme Libération ne peut pas non plus entièrement donner tort au Monde, une pirouette est trouvée : la théorie aurait été chez Barrès, sans les mots. En cherchant un peu, elle était peut-être aussi chez Rostand au sujet des gascons menacés ? Ou bien chez Voltaire dans Micromégas ?
Reste que l’erreur de Soullier est assez grosse pour que même Libération ressente le devoir de la corriger. On peut écrire à peu près n’importe quoi au sein des médias convenus, mais tout de même pas complètement n’importe quoi. Le quotidien a du corriger : Correction du 22 novembre 2019 à 10 h : « correction d’une erreur sur l’origine du terme « grand remplacement ». Contrairement à ce que nous indiquions dans la première version de l’article, l’expression n’a pas été inventée par Maurice Barrès, mais théorisée par lui. »
Lucie Soullier ne pouvait pas le savoir, pour cela il faudrait avoir lu l’immense écrivain que fut Maurice Barrès.
La psychanalyse en renfort
* Le lecteur du Monde fera cependant confiance à Lucie Soullier, d’autant qu’en tant que journaliste d’investigation elle parvient à réaliser une opération quasi chirurgicale : « Si l’on plonge dans la tête de Renaud Camus… ». Fort, le plongeon. Elle voit alors une immigration venue d’Afrique qui remplacerait les blancs, « le tout organisé par des élites mondialisées et remplacistes ». Pour la majorité des Français, il est en effet aisé de comprendre cet aspect des idées de Renaud Camus. Ils marchent dans les rues, prennent le métro, vont en Europe, parfois en Europe de l’est, saisissent des contrastes… Ce que ne veut pas comprendre Le Monde et sa journaliste en réalité, c’est la pensée réelle (et complexe) de Camus. L’écrivain, c’est expliqué clairement à longueur de livres, ne parle pas seulement du remplacement ethnique des populations européennes traditionnelles par des populations venues d’Afrique mais d’un remplacement en un sens bien plus large : celui de toutes les cultures, civilisations et langues du monde par une seule forme idéologique, et donc totalisante, le mondialisme. De ce point de vue, d’aucuns pourraient voir un gauchiste en Renaud Camus puisque l’ennemi désigné est une forme de capitalisme total transformant les hommes en simples consommateurs eux-mêmes consommés.
Puis : « La définition de Renaud Camus du « grand remplacement » repose sur ce qu’il se contente de plaquer comme un « constat évident ». Nul besoin de chiffres pour prouver ce qu’il avance, il n’y aurait qu’à se promener en France et à « observer ». Sous un regard évidemment politique. Et une pensée éminemment ancrée à l’extrême droite. »
Nul ne doutera, suite à ces lignes, que Le Monde et Lucie Soullier sont favorables à ce que des statistiques ethniques soient faites par l’Etat afin que, justement, il soit prouvé par des faits et des chiffres que grand remplacement il n’y a point.
Liste des proscrits
Soullier dresse un liste (pas de délation, juste une liste) des « amis » intellectuels de Renaud Camus : Zemmour, l’extrême droite en général, Marion Maréchal, Finkielkraut, Marine Le Pen, Robert Ménard mais aussi « Les Identitaires » puisqu’il « tient conférence en 2016 au colloque annuel de la fondation Iliade de l’ancien élu frontière Jean-Yves Le Gallou, héritière du Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne (GRECE) de la fin des années 60, cette Nouvelle Droite identitaire et nationaliste (les membres de la Nouvelle Droite ont dû s’étrangler en lisant ce dernier mot, NdA), prêchant la différence entre les peuples ». Prêchant une évidence en somme, à moins que Lucie Soullier ne s’aperçoive pas qu’il y a peut-être quelque différence entre un vietnamien et un polonais ? A moins qu’elle ne prêche elle-même ?
Renaud Camus est d’ailleurs vraiment un grand méchant : il serait d’accord avec le Bloc Identitaire pour renvoyer les immigrés dans leur pays d’origine. C’est le concept de « remigration ». Soullier : « Les renvoyer comment ? En dénonçant la convention de 1951 relative au statut des réfugiés, en supprimant le droit du sol, en légalisant des statistiques ethniques, en proposant une pension à vie ou une remise de peine pour ceux acceptant la« remigration » volontaire, en interdisant de construire de nouvelles mosquées… «Mais sans violence », insiste Renaud Camus, agitant un de ces nombreux néologismes comme preuve de sa bonne foi : « l’in-nocence… qui n’est pas un pacifisme ! » Glissante, la nuance est dangereuse ».
Globalement ? Un portrait à charge, destiné à faire de Renaud Camus une sorte de théoricien de tous les dangers qui pèseraient sur la « démocratie » et les idées du Monde. Un écrivain dangereux, indirectement coupable de meurtres puisqu’il inspirerait des assassins blancs du monde entier. Mais aussi un moment d’anti journalisme. Bien sûr, aucun journaliste n’est neutre et tout journaliste porte en lui des engagements. Mais le journalisme a d’abord un devoir d’honnêteté : dans cette longue enquête, où est la nuance ? Nulle part. Pour en trouver, il faut lire un autre média, Valeurs Actuelles
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