Libération accusé de racisme et de sexisme ? L’épisode est assez inhabituel pour être souligné, d’autant qu’il révèle à nouveau les tensions qui existent au sein de la rédaction de ce journal en désuétude.
Dans une chronique se voulant poétique intitulée « La femme voilée du métro », Luc Le Vaillant, rédacteur en chef du service Portrait de Libé, décrit son malaise après avoir croisé une femme portant une abaya (voile recouvrant entièrement le corps à l’exception du visage). « Elle porte une abaya couleur corbeau. La tenue traîne jusqu’au sol et balaie la poussière des anxiétés alentour. Les mains sont gantées et on ne saura jamais si les paumes sont moites. Cette autre soutane monothéiste lui fait la cuisse évasive, la fesse envasée, les seins restreints. Les cheveux sont distraits à la concupiscence des abominables pervers de l’Occident décadent », raconte le journaliste, pour qui cette femme est « la sœur désolée et désolante des beurettes sonores et tapageuses qui égaient les soirées RATP ».
Et celui-ci d’ajouter que « si l’œil du voisin de strapontin se fait inquisiteur, ce n’est pas pour pincer le bourrelet charmeur mais pour palper la possibilité d’une ceinture de chasteté explosive ». Confiant avoir quitté prématurément la rame de métro, Luc Vaillant conclut : « Tant qu’elle ne rafale pas les terrasses à la kalach, elle peut penser ce qu’elle veut, croire aux bobards qui la réjouissent et s’habiller à sa guise mais j’aimerais juste qu’elle évite de me prendre pour une buse. »
La réaction des réseaux sociaux ne s’est pas faite attendre. Rapidement, le mot-dièse #LibéRacisme a fait partie des sujets les plus abordés sur Twitter. Outre les internautes, des journalistes de Libé ont également réagi via la plate-forme. Willy Le Devin confie ainsi avoir eu « mal et honte » à la lecture de cet article.
Non, Libé n’est pas raciste et ne le sera jamais. Mais, oui, en lisant ce texte j’ai mal et honte #Liberation
— Willy Le Devin (@Will_ld) 8 Décembre 2015
Devant cette polémique naissante, la société des journalistes du quotidien s’est fendue d’un communiqué pour rapporter qu’« au sein de l’équipe, de très nombreux journalistes ont également fait part ce mardi de leur désapprobation sur un contenu qui ne reflète pas, à leurs yeux, les valeurs du journal et leurs convictions personnelles ». Et les journalistes de rappeler « qu’il s’agit d’une chronique qui, de par ce statut, engage l’opinion de son auteur et non celles d’autres journalistes ».
D’après Les Inrocks, l’ambiance est actuellement très tendue au sein de la rédaction. Pour un journaliste anonyme, cette chronique donne l’impression de « faire 50 pas en arrière, surtout après avoir fait des doubles pages sur l’islamophobie, encore pas plus tard que la semaine dernière ».
Si l’auteur de l’article, Luc Le Vaillant, n’a pas encore réagi, c’est Laurent Joffrin, directeur de la publication du journal, qui a volé à son secours. Dans un édito, ce dernier juge que « l’accusation de racisme ou de sexisme qui court ici et là est évidemment ridicule quand on connaît un tant soit peu notre chroniqueur et notre journal ». Pour lui, cette chronique n’est que « la restitution littéraire et ironique de préjugés et d’angoisses que l’auteur se reproche lui-même, comme il l’écrit, d’avoir ressentis ».
Pour conclure cette polémique, Laurent Joffrin adresse des excuses à ceux que l’article aurait pu blesser, et souligne que « toutes nos prises de position, toute notre histoire, tout notre travail montre que ‘Libération’ s’attache en permanence à lutter contre les discriminations, de quelque nature qu’elles soient ».
Nul doute que cette expérience restera dans les mémoires. Lorsqu’on sait que d’habitude, Libération se situe plutôt dans le camp de ceux qui participent au tribunal inquisitorial du politiquement correct, l’inversion soudaine des rôles a un petit côté pour le moins ironique…