Si aux États-Unis, le clivage gauche/droite structure les médias et leurs représentations, en France la césure se situe entre médias officiels et médias périphériques. Tel est un des enseignements d’une étude menée par le MIT américain et le Médialab de Sciences-Po pour l’Institut Montaigne.
États-Unis, un espace coupé en deux
L’étude reprend la distinction chère aux libéraux libertaires entre médias centraux (CNN, Washington Post, New-York Times), tous respectables, tous anti-Trump, tous conformes à la doxa et un espace opposé de « médias d’extrême-droite » dominés par FOX News et Breitbart. Les derniers colportent des informations « douteuses, fausses, conspirationnistes, extrêmes ».
Pour simplifier : une information contraire aux intérêts de la caste libérale libertaire est par essence « extrême et conspirationniste ». Le devoir du « bon journaliste qui veut sauver la démocratie » est de ranger toute information contraire à son univers idéologique libéral dans la rubrique « fake news ». Ce terme devient un identifiant qui vise à disqualifier toute tentative de pluralisme idéologique. Pour maintenir le monopole, il faut diaboliser tout émetteur concurrent. L’étude ne l’énonce pas ainsi mais la conclusion (involontaire) vient d’elle-même.
En France, les garde-frontières veillent
L’espace est structuré différemment en France. Il existe une solidarité de fait entre les médias dits centraux (Le Monde, Le Figaro, Libération, RTL, BFM etc) pour traiter certains sujets plus ou moins de la même façon et surtout en éviter d’autres. Comme le dit naïvement un des auteurs dans un entretien « En France, les grands médias ont davantage joué le rôle de garde-frontières, disant que certaines discussions ne méritaient pas d’être tenues. C’est très élitiste, mais également très sain. ». Chacun appréciera le rôle de « garde-frontières » prisé par l’auteur qui y voit un signe de santé.
Un autre auteur de l’étude constate l’homogénéité de la profession (contrairement aux États-Unis) :
« Cela tient à l’histoire de la professionnalisation journalistique, à l’homogénéisation des trajectoires professionnelles et des systèmes de formation, à la centralité parisienne des rédactions, à un système de surveillance mutuelle et de critique fondée sur les règles de la déontologie journalistique. Évidemment, cette situation présente des avantages ». Chacun comprend les avantages d’un système de « surveillance mutuelle ».
Comme le Panoptique de Jérémy Bentham, un système carcéral où le prisonnier avait le sentiment d’être surveillé à tout moment.
Un système français en vase clos
Un petit inconvénient ? L’oubli du peuple par les élites tout simplement. «Bloc élitaire» contre «bloc populaire» ce sont les termes du politologue Jérôme Sainte-Marie, auteur du récent ouvrage Nouvel Ordre démocratique. Un des intérêts de l’étude est de quantifier à quel point les médias centraux se citent, se renvoient la balle, sont dans une espèce de connivence. Les médias dits périphériques (de Causeur à Éléments, des Jours au Média ou à QG, de ER à Politis, etc) citent eux-mêmes les médias périphériques même s’ils les critiquent.
Les journalistes du cœur médiatique ont érigé une triple frontière invisible. Frontière entre médias « respectables » et les autres. Frontière entre les thèmes recommandés (la mode LGBT++) et les thèmes à bannir (l’immigration). Frontière sémantique, on est passé de clandestin à migrant, puis de migrant à réfugié. C’est aussi comme cela que les médias officiels passent à côté du mouvement des gilets jaunes, un mouvement capté par les médias en dehors du système français comme la chaîne russe RT.
L’étude est passionnante : aussi bien par ses biais idéologiques parfois exprimés ou la reconnaissance naïve d’un système de garde chiourmes (la fameuse surveillance mutuelle) que par sa méthodologie. À lire de toutes façons.
Voir l’étude : Media polarization “à la française” ? Comparing the French and American ecosystems