L’Observatoire publie de temps à autre des extraits de son courrier des lecteurs. La lettre que nous vous transmettons a été écrite à la suite de l’émission du 18 décembre 2018 de Guillaume Erner sur France Culture. L’hostilité des médias français au pouvoir actuel à Budapest va du Figaro à M6 et bien au-delà. Notre lecteur francophone est un ancien journaliste qui vit en Hongrie depuis plusieurs années, nous n’avons rien modifié à ses propos.
France Culture à l’ombre de l’UE et de l’OTAN : les délices du conformisme idéologique ?
En ce mardi 18 décembre, Guillaume Erner et ses collaborateurs des « Matins » se sont probablement surpassés. Nous apprenions ainsi que le Washington Post dénonce une nouvelle fois, avec véhémence, une ingérence russe dans les élections présidentielles US, dont le nouveau vecteur serait Facebook, et parle d’une agression comparable à celle de Pearl Harbor en 1941 (!). Le « journaliste » de notre station publique relaie sans l’ombre d’une hésitation cette accusation lancée par un journal dont on connaît les liens avec l’« état profond » américain qui lance mine de rien un appel à la guerre mondiale contre l’affreux Poutine. Pearl Harbour ! Guerre mondiale contre nous tous. Ces gens sont-ils fous ? L’ information a‑t-elle été vérifiée par l’équipe des Matins ? Est-elle simplement vérifiable ? Mais, que diable, le « Washington Post » ne se discute point, et le « journaliste » de service se garde de tout commentaire raisonnablement dubitatif, ou à minima interrogatif. Peu importe, n’est-ce pas, la carte de presse, surtout française, préserve des radiations atomiques, fussent-elles russes, c’est une évidence ! Ah les braves gens…
Puis, on allait dire bien sûr, ce fut le tour de la Hongrie de Viktor Orbán (Après Poutine, Orbán, c’est logique par les temps qui courent).
Horreur hongroise
Un universitaire lorrain « spécialisé » dans les affaires d’Europe centrale vient alors avec une sérénité remarquable nous proposer la doxa en vigueur dans les milieux atlantistes, bénéficiant de la complicité bienveillante de M. Erner, qui croit apparemment vivre, en France, dans un pays démocratique dénué de dérives totalitaires en matière de presse (aux ordres), de justice (aux ordres), d’autoritarisme galopant à l’ombre d’une chambre des députés nouvellement peuplée de godillots, privé de sa souveraineté dans le cadre de l’UE et de l’OTAN, et définitivement veuf de sa liberté de décision après la forfaiture de M. Sarkozy en 2007 et l’adoption du traité de Lisbonne suite au refus par les Français du TCE en 2005.
… Un pays, la Hongrie, où la presse ne serait pas libre, où le « patron » modifierait la loi à son gré, où la justice seraient muselée, où l’ultralibéralisme fait des ravages, qui craindrait pour son identité et dont les élections, là-bas législatives, (ici présidentielles), seraient manipulées, avec des tentations vénéneuses de réécrire l’histoire, souffrant en outre d’une affreuse corruption généralisée, spécifiquement enracinée, bien entendu, dans cette malheureuse contrée centre européenne, aux marges de l’UE heureuse ! En outre, dans ce triste pays, les élites entendrait vicieusement capter, quelle horreur, les fonds européens au profit des proches du pouvoir !
Ce n’est pas en UE (en zone Euro bien sûr) ou aux États Unis que l’on croiserait pareille chienlit et un tel siphonnage des fonds publics !
Il suffit ainsi d’avoir un brin de lucidité pour se rendre compte que la Hongrie ainsi décrite ressemble à s’y méprendre à certains « grands pays » de l’UE (et d’ailleurs) dont, rappelons-le, elle fait partie.
Voilà en tout cas une Hongrie qui à maints égards paraît ressembler à notre chère France, sauf que cette dernière est contributrice nette à l’UE (9 milliards d’euros par an), quand l’argent y manque pour la santé, les hôpitaux etc.… A croire que l’inconscient de ces gens de presse parfaitement installés dans le Système choisit de flétrir la Hongrie pour dénoncer sans frais les malheurs qui frappent la France.
La tentation de « Sirius » ? Ne rêvons point.
Hongrie exemplaire ?
Aussi, quand on a entendu par monts et par vaux que M. Orbán est un affreux « illibéral » et qu’en fait, on nous l’a dit ce Matin, dans ses récentes réformes à propos du paiement des heures supplémentaires, il suivrait les demandes du patronat allemand qui a de puissants intérêts dans son pays (usines Mercedes, Audi…), nos chers journalistes sont bien embêtés car M. Orbán n’est pas moins ultra libéral que ses collègues européens, (sans doute un peu plus habile?) dont M. Macron, avec par exemple sa réforme du droit du travail et sa brutale politique austéritaire qui rencontre le succès qu’on sait.
En outre, la Hongrie respecte les limites édictées par Bruxelles à propos du déficit de l’État (-3 % maximum), on y connaît le « plein emploi » (3,5 % de chômage maximum), et le prix de l’énergie y a baissé. Qui plus est, les régimes de retraites, après avoir été privatisés par les « socialistes » ont été renationalisés par M. Orbán.
Ces éléments expliquent sans doute en partie sa popularité parmi les électeurs hongrois qui ne sont pas assez sots pour ne pas connaître, par exemple, le chaos français actuel nourri de gilets jaunes légitimement récalcitrants à leur appauvrissement continu.
Sait-on à Paris que la France devient peu à peu pour la Hongrie l’« homme malade » de l’Europe, ce terme pouvant hélas qualifier tant de membres de l’UE corsetés par l’Euro ? Ce qui n’invalide pas la colère des Hongrois manifestant contre les décisions de M. Orbán concernant le paiement des heures supplémentaires, décision peut-être dictées aussi par Bruxelles (Allemagne et Bruxelles sont souvent une seule et même contrainte).
Orbán raciste et traître ?
Enfin, et ça c’est « dégoûtant », M. Orbán a mis en cause le « juif » et « vieillissant » Soros (citation), dont l’Open Society est bien connue pour promouvoir en tout angélisme un remodelage de l’équilibre des états et du monde via le financement de nombreuses associations « droitdelhommistes » faisant preuve d’un activisme étonnant. M. Orbán, qui a étudié à l’« université Soros » (dont l’antenne de Budapest va s’installer à Vienne) serait-il donc, en plus, traître à son « bienfaiteur » et, cerise sur le gâteau, un abominable raciste, lui dont la femme est de confession israélite ? Quelle horreur vraiment !
Intervint dans la deuxième partie de l’émission Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel à l’Université Panthéon Sorbonne qui affirma depuis sa compétence reconnue que les droits fondamentaux construisent le peuple (école, histoire, presse), qu’il ne peut y avoir de démocratie sans respect des droits de l’homme, et qu’il convient de mettre en cause le vote contraire à ces derniers, par exemple en ce qui concerne… le mariage pour tous rejeté en Croatie par référendum. Mariage pour tous qui serait donc un élément clé de la démocratie. Pourquoi pas ?
En la matière, le recours à la démocratie et donc au vote des citoyens mettrait en cause le droit de faire ce que l’on veut. Ce qui serait inacceptable ! La démocratie serait-elle l’ennemie des libertés individuelles élevées au rang de valeurs premières ? On pourrait le penser.
Puis, très en verve, M. Rousseau affirma qu’il faut accepter la pluralité des conceptions de vie dont l’absence signerait le déficit de démocratie et l’avènement d’un régime despotique ou populiste. N’est-ce pas là un mode sophistiqué de défense du multiculturalisme? Et une mise en cause en France du pacte républicain, et de la loi de 1905 imposant la laïcité ? A chacun de juger.
« Tout pouvoir doit être borné » (le pouvoir du peuple doit avoir lui-même des contre pouvoirs), ce qui est une affirmation intéressante et légitime, mais nécessairement discutable en fonction des sujets et des circonstances.
Le vote serait donc sujet à évaluation modératrice selon son résultat, image du choix des électeurs ? Et ces derniers devraient-ils voir leur jugement « tempéré » par des « sachants », formés, formatés, tout puissants ? Voilà qui sent très fort l’idéologie européiste, qui dénie aux peuples le droit de décider pour eux-mêmes. Décidément, 2005–2007 reste d’actualité !
Orbán stalinien, la mondialisation est bienvenue !
Il fallait bien que le loup montre sa patte. M. Orbán a finalement été soupçonné d’être un « marxiste stalinien » par l’universitaire lorrain. On en déduit donc que l’on peut être « ultra libéral stalinien », ce qui est une catégorie neuve dans l’histoire des idées politiques, le mot « stalinien » renvoyant à une période précise de l’histoire et de ses contraintes. Comment oser sérieusement de pareilles hypothèses ? Suffirait-il d’être sur France Culture pour ce faire ?
Enfin, si la « souveraineté nationale est la règle absolue et preuve de liberté », elle entrerait en conflit avec les droits de l’homme quand elle s’oppose aux migrants et aux réfugiés (tiens, le « pacte de Marrakech » ne vient-il pas d’être signé?)
La solidarité, du moins telle qu’elle nous est présentée, prévaudrait donc, avec les traités européens, sur la souveraineté des états et le désir de la majorité des citoyens ? Pourquoi pas, mais pourquoi ne pas simplement l’affirmer ? Pourquoi ne pas dire que la nation n’a plus voix au chapitre ?
Rousseau a certes avancé que l’affaire des migrants et des réfugiés trouve sa source dans la crise de la démocratie et du système économique libéral, ce qui permet une réflexion géostratégique fructueuse. Mais pourquoi évoquer le rêve de gilets jaunes politiquement inertes qui demanderaient à parler, à délibérer, et non à voter ? Ah, oui, peut-être est-là la trace du Brexit ?
Il serait donc bienvenu de protester sans peser sur les décisions ? Décidément, la démocratie et ses voies d’expressions deviennent suspectes, voire non avenues, et sont, à l’évidence, et sous réserve de mauvaise appréciation de notre part, hors de propos pour ces « élites postmodernes» qui semblent penser en rond dans le cadre de leurs cénacles sourds et aveugles à la marche du monde réel.
Misère de la pensée journalistique
Il ne s’agit pas ici de statuer sur le fond, même si cet article avance des appréciations spécifiques et sans doute contestables, chaque citoyen est libre de ses pensées et de ses jugements. Mais enfin, résumons : France Culture enfourche sans broncher la propagande belliciste du Washington Post, nourrit le ressentiment (éventuel) des citoyens contre M. Orbán qui, en gros fait la même politique économique que M. Macron, quoique avec plus de réussite (!), reprend les billevesées d’un Orbán raciste, uniquement parce que ce dernier n’obtempère pas aux ordres racialistes de Bruxelles en ce qui concerne l’immigration et les réfugiés, et in fine, donne de M. Orbán qui a été arrêté par le pouvoir communiste tchèque en 1989 l’image d’un stalinien déguisé en ultra libéral (ou le contraire?). Peut-on raison garder ?
Ces « Matins », parfaitement construits, mais mal pensés, souffrent donc d’incohérence. « Félicitations » à ceux qui ont construit un objet médiatique tellement bancal mais si parfaitement identifiable. Supposons qu’ils « étaient en mission ».
Porter les droits de l’homme dont nous serions, Français, les légitimes dépositaires, ce qui est aujourd’hui risible, en prolongeant un discours guerrier venu d’outre atlantique est scandaleux et irresponsable.
Accabler un pays et son chef de l’état régulièrement élu (bien mieux que M. Macron!) au nom de ces « droits de l’homme » versus Washington, en nourrissant un contexte de guerre froide « vertueux », au nom de grands principes idéalistes que nul pays à la surface de la planète ne respecte est irrecevable.
Bref, nos amis de France Culture ne sortent pas grandis de ce Matin, emmaillotés dans les habits du « politiquement extrêmement correct ».
Comme il n’est pas question de mettre en cause l’intelligence et la culture de ces individus stratégiquement si bien positionnés dans la machine médiatique française, il est légitime de se demander quels sont les ressorts de leurs convictions, du moins dans la mesure où ces dernières structureraient leurs discours. L’explication par le conformisme idéologique serait la moins cruelle.