Le récit intitulé « Obono l’Africaine » paru dans Valeurs Actuelles n°4370, daté du 27 août au 2 septembre 2020, continue de faire des siennes. L’affaire interroge la liberté d’expression et de la presse en France mais questionne aussi sur le lieu où se détermine la réalité des délits : réseaux sociaux ? Médias ? Opinions personnelles ? Tribunaux ? Les récents développements médiatiques de l’affaire ne permettent plus d’apporter de réponse claire à cette question.
Les faits ayant entraîné ce qu’il est maintenant convenu d’appeler « l’affaire VA/Obono » et leurs premières répercussions médiatiques ont été analysés par un article de l’OJIM paru ici.
Le cadre de l’affaire
Rappelons le principe de la série des romans l’été de Valeurs Actuelles, telle que présenté par l’hebdomadaire :
« Valeurs Actuelles vous entraîne cette année, pour sa traditionnelle politique-fiction de l’été, dans une réalité parallèle. Ici, des figures historiques ou des personnages issus du monde politique, artistique ou médiatique voyagent dans les couloirs du temps et découvrent une réalité qu’ils ne pouvaient soupçonner.
Sous les nom d’Harpalus, un brigand qui bravait la puissance des dieux parce que rien n’arrêtait le cours de ses prophéties, se cachent les plumes de votre hebdomadaire.
Fins connaisseurs des arcanes des univers qu’ils décrivent , nos journalistes ressuscitent des morts pour mieux questionner notre temps et dévoiler l’absurdité de notre époque. Et, la fiction étant le meilleur reflet de la réalité, vous verrez que tout ce qui se produit dans les pages qui suivent ne manque pas d’éclairer les situations actuelles ».
Valeurs Actuelles choisit des individus publics, appuie sur un trait de leur personnalité évident et connu de tous : le souci de la reconnaissance de l’esclavage et d’une oppression vécue par les noirs en France actuellement dans le cas d’Obono.
À la relecture du récit, rien de raciste : il s’agit d’un texte de fiction à caractère humoristique. Un humour noir (sic) qui appuie sur les horreurs de l’esclavage et n’oublie pas de montrer en quoi il ne fut pas seulement européen mais préalablement africain, arabe et musulman. Outre cet aspect, sérieux, réaliste et fondé sur le plan historique, le récit au sujet de « Obono l’Africaine, où la députée insoumise expérimente la responsabilité des Africains dans les horreurs de l’esclavage » caricature évidemment son personnage devenu personnage de roman. À la lecture, personne de sensé ne devrait en douter.
Il en va de même des dessins accompagnant le texte. Certains sont très sérieux, reproduisant des tableaux célèbres présents dans tous les manuels de 4e (car l’esclavage est fortement enseigné par l’Éducation Nationale contrairement à ce que disent les rumeurs), un autre est à son tour une caricature, représentant Obono enchaînée. Cette dame affirme son afro-descendance ainsi que le fait d’avoir des ancêtres esclaves, pour elle comme pour tous les noirs. Le dessin ne fait que rendre compte de cette affirmation.
La deuxième vague de l’affaire dans les médias
Il est évident que personne n’a jamais entendu Danièle Obono s’offusquer quand des membres du Rassemblement National, issus de la Nouvelle Droite ou de mouvements identitaires sont caricaturés, y compris au sein de La France Insoumise, en nazis (ils n’ont pourtant pas d’ancêtres de cette sorte) ni quand le dessinateur du Monde Plantu représente Jean-Marie Le Pen avec brassard nazi et croix gammée, parti politique auquel il n’a jamais appartenu.
La caricature, oui, donc, une liberté essentielle pour madame Obono et ses amis. Mais pas sur tous les sujets.
Les conséquences de l’inégalité de caricaturer, devenue une réalité en France, sont graves dans ce cas précis.
Ainsi, Geoffroy Lejeune, directeur de la publication de Valeurs Actuelles, intervenait sur LCI, dans l’une des nombreuses émissions de commentaires politiques, à vocation de « débats », qui émaillent aujourd’hui le Paysage Audiovisuel Français. Il a été mis à la porte sur décision du directeur d’une chaîne ne souhaitant pas s’associer aux positions « racistes » de Valeurs Actuelles.
Cela devrait étonner : ni le magazine, ni son directeur de la publication n’ont été condamnés en justice, selon le droit donc, comme il se doit dans un État de droit. La question du « racisme » de la fiction d’été ayant pour personnage principal Obono tient donc de l’opinion de chacun, pour le moment. Or, le délit d’opinion n’existe pas en France : ce sont les tribunaux qui décident du délit s’il y a lieu d’être. Lejeune est donc mis à la porte en vertu d’une accusation qui n’est étayée par aucun fait prouvé en justice. En l’état actuel des choses, il s’agit d’un abus de pouvoir ou d’un licenciement abusif au sujet duquel le directeur de la publication de Valeurs Actuelles pourrait demander des comptes devant un tribunal. Ou encore d’une diffamation.
Cet aspect des choses n’est pas passé inaperçu puisque Pascal Praud, principal animateur de l’émission de débats sur Cnews, L’Heure des pros, a « poussé une gueulante » en direct. À ses yeux, « LCI l’a écarté sans jugement, sans procès sinon la curée médiatique (…) C’est peut-être ça la vraie soumission, céder aux sirènes des minorités qui réclament des têtes et déboulonnent des statues », a‑t-il commencé avant d’ironiser, « Félicitations à ceux qui ont pris cette décision, ils ont montré leur courage et leur colonne vertébrale. Je ne doute pas que la presse française se mobilise, que les sociétés de journalistes hurlent à la censure, qu’Alain Finkielkraut, David Pujadas, Daniel Cohn-Bendit, Gérard Miller, quelques grandes voix que j’entends sur LCI prennent position pour défendre un confrère injustement sorti de l’antenne. » Pascal Praud a insisté : « C’est toujours deux poids deux mesures en France. Il a un tort Geoffroy Lejeune : il est de droite, c’est un journaliste de droite. Ah ça c’est absolument terrible ! Donc effectivement j’attends les réactions des sociétés de journalistes… »
Dans le même ordre d’idées, un échange tendu a eu lieu le 2 septembre 2020 sur BFM entre Bourdin et son invitée Obono. Bourdin est revenu sur certaines positions tenues par la porte-parole de la France Insoumise. Cette dernière a notamment pu défendre en 2017 Houria Bouteldja, la porte-parole du Parti des indigènes de la République, accusée d’être antisémite. Des propos qui avaient choqué et valu une mise au point de l’élue à l’époque. Obono avait aussi écrit des propos fort peu compatissants à l’égard des journalistes massacrés de Charlie hebdo, sur son blog personnel, au moment des attentats de 2015.
Ce dernier aspect a aussi été évoqué par l’avocat du journal satirique, sur France Inter, ce même 2 septembre. Pour Richard Malka, il y a « un appétit de censure de certains représentants de la gauche », ce en quoi il visait explicitement Obono. Plus largement : « Il y a une régression massive de la liberté d’expression et en particulier à gauche parce qu’il y a cette philosophie des minorités, cette espèce d’idéologie victimaire. On a beaucoup parlé de Madame Obono ces derniers temps, Madame Obono avait les yeux secs devant les morts de Charlie Hebdo. C’est ce qu’elle a dit : « Je ne pleurerai pas, pas une seule larme ». Et l’avocat de viser ensuite le patron de la France insoumise : « Il y a un problème à gauche. Monsieur Mélenchon, qui n’avait pas assez de trémolos dans la voix aux obsèques de Charb (le directeur de la rédaction de Charlie Hebdo, mort lors de l’attentat, ndlr), est en même temps « Obono ». Je ne sais pas comment on fait ».
Le Monde et Libération, frères jumeaux pour la censure
Mais la violence contre Valeurs Actuelles et par ricochets en faveur de Danièle Obono provient aussi d’autres médias. Le 31 août 2020, Libération publiait par exemple un « billet » signé Jérôme Lefilliâtre. Pour lui, c’est « une vieille coutume de l’extrême droite que de minorer la responsabilité des occidentaux dans l’esclavage en mettant en avant celle de certains noirs ». Il y a ici plusieurs « fake news » : la prétendue coutume est celle des travaux historiques les plus récents, les plus reconnus et les plus sérieux ; il ne s’agit pas de « certains » noirs esclavagistes, autrement dit d’individus spécifiques et identifiables, mais d’ethnies entières, autrement dit de peuples noirs dont nombre d’afro-descendants… descendent par définition. Etre noir ne fait de personne un descendant d’esclave. Pas plus qu’être blanc, du reste, ne fait de personne un descendant d’esclaves athéniens ou d’hilotes spartiates, ou encore d’esclavagistes musulmans (Vincent de Paul, entre autres, fut esclavagisé par des musulmans au 17e siècle – cela doit-il conduire la France à demander réparation à tous les musulmans ?).
Pour l’éditorialiste, la fiction de Valeurs Actuelles serait « infâme », « répugnante », donnerait la « nausée », Geoffroy Lejeune serait « plus péteux que jamais » (signification ?). Citant des extraits pour dire que la fiction est raciste, il tombe à plat car ses citations ne relatent que des réalités : en effet, à l’époque moderne, les ethnies africaines se prévenaient de la survenue d’événements au son de « tam tam ». Un son tout à fait utilisé aujourd’hui dans toutes les musiques africaines et dont il va être difficile de soutenir qu’elles sont racistes. L’éditorialiste accuse aussi en filigrane Macron et les médias accueillant les journalistes de Valeurs Actuelles d’avoir légitimé le magazine, ce qui revient à un appel ouvert à la censure. Délateur sans gêne, il indique même les noms des journalistes qu’il veut voir être exclus des médias, concluant par « On arrête quand ce délire ? ».
Dans Le Monde, l’éditorial du 1er septembre 2020 s’intitule « Refuser la banalisation du racisme » et reprend les mêmes idées que Libération. L’accroche : « Depuis plusieurs années, l’hebdomadaire d’extrême droite Valeurs actuelles a vu sa légitimité rehaussée par les invitations régulières de ses journalistes sur des chaînes d’information en continu ainsi que par un entretien accordé par Emmanuel Macron. » La fiction, « révoltante », donne ici aussi « la nausée ». Il n’est pas interdit de penser que les articles s’écrivent en commun dans les mêmes bistrots. Notons que l’éditorialiste anonyme du Monde reproche à l’auteur du texte de fiction de Valeurs Actuelles d’être… anonyme. Ce passage aussi reprend exactement les mêmes idées que le billet de Libération, à se demander si l’auteur des deux textes n’est pas une seule et même personne : « Qu’un journal d’extrême droite étale son racisme en affichant son mépris pour une élue d’origine gabonaise, figure controversée du militantisme décolonial, n’a rien de nouveau. Valeurs actuelles, journal dont le nombre de lecteurs a baissé depuis cinq ans, a besoin de scandale et de « coups » pour faire parler de lui. Même les « excuses » hypocritement présentées a posteriori par sa direction et réfutant tout racisme semblent destinées à relancer la polémique. »
De même, il appelle à la censure : « L’ennui est que le chef de l’État, qui s’insurge aujourd’hui, a lui-même rehaussé la légitimité de l’hebdomadaire en lui accordant un entretien l’an passé et en le qualifiant de « très bon journal ». L’ennui est aussi que les jeunes journalistes plus à droite que Marine Le Pen qui animent Valeurs actuelles ont micro ouvert en permanence sur plusieurs chaînes d’information télévisée en continu, dont ils alimentent le moulin à polémiques. » (…) « L’affaire Obono invite aussi à condamner la banalisation dans des émissions généralistes d’une parole extrémiste qui, si elle peut faire le « buzz », contribue surtout au délitement du pays en nourrissant la haine. »
Et va ensuite plus loin en prétendant dicter aux juges ce qu’ils doivent décider : « Face à l’inadmissible humiliation publique d’une personne en raison de ses origines, la loi qui fait du racisme un délit et non une opinion, doit s’appliquer. »
Libertés et cécité
La gauche dite de gouvernement alias libérale-libertaire, du moins ses médias, appelle ainsi à la censure, trahissant les idéaux de liberté qu’elle prétend défendre. Son niveau de finesse intellectuelle ne semble pas assez élevé pour comprendre ceci : son intolérance, sous couvert de lutte contre l’intolérance, est justement ce qui ouvre un boulevard au radicalisme d’Obono et des indigénistes, ou encore de la Ligue de Défense Noire, raciste, antisémite, qui parle de la France comme de « votre pays » – et par effet de boomerang à des réactions combattives d’organes de presse tels que Valeurs Actuelles. Il est toujours plus facile d’accuser et de trouver des boucs émissaires que de se regarder dans le miroir. La gauche dite intellectuelle et journalistique est devenue championne en ce domaine, celui de ne plus voir ce qu’elle est devenue. Dans 50 ans elle s’excusera au sujet de sa bienveillance envers les minorités actives, comme elle l’a récemment fait à propos de la pédophilie. À l’évidence, les libertés d’opinion et d’expression sont en train de mourir en France et la faute n’incombe pas à Valeurs Actuelles ou aux médias dits de droite ou considérés comme tels. Elle incombe à ceux qui veulent que tout un chacun pense exactement la même chose et demande la permission avant de répondre à un entretien dans la presse. Ou pire, fasse contrôler ses propos avant qu’ils ne soient édités.