Depuis l’arrivée de David Pressman au poste d’ambassadeur des États-Unis en Hongrie en septembre 2022, le climat est passablement tendu entre Budapest et Washington. Les provocations de l’allié américain à l’encontre de la Hongrie de Viktor Orbán se multiplient. Dernière trouvaille en date : une campagne d’affichage sur tout le territoire hongrois financée par Washington dans le but « d’éduquer » les magyars réfractaires.
« Budapest 1956 — Ukraine 2023 »
Alors que le gouvernement américain était sur le point de sanctionner des personnalités publiques hongroises pour leurs prétendus liens avec la Russie, on apprenait à Budapest, le 11 avril, le lancement d’une campagne d’affichage nationale financée par des fonds publics américains.
L’oncle Sam en a manifestement assez du mauvais élève hongrois qui tient une position atypique sur le conflit russo-ukrainien. Il entend le mettre en face de ses réalités et n’hésite pas à toucher à la mémoire des Hongrois en faisant figurer sur ces affiches le slogan « Ruszkik haza! » (Russes, rentrez chez vous ! ») des insurgés de 1956.
Les Hongrois apprécieront…
Ces affiches mettent donc sur le même plan l’écrasement de la révolution hongroise de 1956 par les chars de l’Armée rouge et la situation actuelle en Ukraine. Cette comparaison pour le moins douteuse, surtout lorsqu’on sait que ce sont les services américains qui avaient chauffé à blanc les Hongrois avant de les abandonner à l’automne 56 (et que dans les chars de l’Armée rouge se trouvaient aussi des Ukrainiens), s’accompagne d’un texte : « La paix peut se faire en Ukraine si l’armée d’occupation russe se retire ».
C’est précisément cette désillusion au sujet des grandes puissances — aussi nourrie par le traumatisme du traité de Trianon de 1920 — qui est à l’origine de la position hongroise dans le conflit actuel en Ukraine. Le gouvernement plaide en faveur de la paix, et ne veut aucun cas alimenter les tensions par des envois d’armes et un soutien sans conditions à Kiev. La campagne d’affichage est donc en parfait décalage avec ce que pensent profondément une majorité de Hongrois.
Mais plus encore : les Hongrois ne pourraient en rien s’opposer à l’envoi de jeunes GI américains sur le front russo-ukrainien. Une pure fiction, bien sûr. Pas plus que les Hongrois, les Américains ne veulent donner leur vie pour Bakhmout… Cette énième provocation US en Hongrie sonne comme une preuve éclatante de l’hypocrisie des positions US, et ne fait en réalité que renforcer les Hongrois dans leurs positions.
L’opposition financée depuis Washington apprécie pour de bon
Les franges les plus radicales de l’opposition hongroise ont en revanche applaudi. Telex, média financé en partie par des fonds publics américains, a été le premier à relayer des images de ces affiches en grande pompe. Le média 444, aux liens avec la galaxie Soros, était quant à lui au courant des mesures de sanctions qui allaient être prises contre la Hongrie par Washington avant l’annonce de ces sanctions.
L’opposition hongroise, qui ne parvient toujours à comprendre que sa religion pro-Kiev est synonyme d’échec politique en Hongrie, a pu faire campagne en 2022 grâce à de l’argent en provenance d’une ONG US, chose que les médias de grand chemin français se sont bien gardés de traiter.
Il existe désormais une telle connivence entre la gauche hongroise et les Démocrates américains que c’est à se demander si cette opposition a une existence propre et autonome. Ses positions sur la guerre sont des copier-coller des déclarations de l’administration Biden. À ce stade, ce n’est plus de l’ingérence mais bien une véritable colonisation d’une partie de l’échiquier politique hongrois. Cette nouvelle donne est tellement actée qu’on ne se pose mais plus la question de la légalité de cette immiscion étrangère, y compris financière, dans les affaires intérieures de la Hongrie.
Money ain’t a problem
Les États-Unis ne tentent du reste plus de dissimuler le versant financier de leurs ingérences en Hongrie. Pour ce qui est de cette campagne de propagande, l’argent US transité a par la société de droit hongrois FLOW PR, Splendidea Communications Kft., et rien que 138 millions de forints (environ 370 000 euros) ont été dépensés en publicité Facebook, notamment par le biais de la page « Nyugati Pályán » (« Sur la voie de l’Ouest »), qui compte 35 000 abonnés.
De concert, toute la presse dite « libre et indépendante » hongroise a relayé cette campagne. Une affaire rondement menée, qui montre à quel point Washington se sent chez soi en Hongrie et participe directement au jeu politique hongrois.
Nouvelles provocations de David Pressman
Le 26 avril, l’ambassadeur US s’est à nouveau plaint de la position hongroise en faveur d’un cessez-le-feu et de la paix. Selon lui, la Hongrie est le seul pays à bloquer les négociations d’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN.
Pour Pressman, la position de Budapest se fonde sur des fausses informations que le Kremlin a pour habitude de relayer. Il s’est en revanche dit prêt à se pencher sur la question de la minorité hongroise de Subcarpatie (oblast ukrainien à la frontière hongroise) si cela « représentait un vrai problème ».
Cette expression a mis le feu aux poudres dans la presse conservatrice hongroise, dont certains journalistes n’ont pas supporté que l’on se moque ainsi de la situation hautement problématique des Hongrois d’Ukraine.
Le lendemain, le 27 avril, Pressman s’est rendu à la rencontre de Péter Polt, procureur général de Hongrie réputé proche du Fidesz. Depuis sa prise de fonction, il multiplie les rencontres avec des membres de la magistrature pour officiellement tenter de comprendre le système judiciaire hongrois et savoir s’il existe vraiment un problème d’indépendance de la justice comme le prétend Bruxelles. D’aucuns y voient bien plutôt des ingérences.
Ces rencontres participent en tout cas d’une diplomatie d’un genre nouveau : la diplomatie woke, qui met l’idéologie et la politique partisane au centre des relations entre deux pays (en l’occurrence deux pays prétendument amis). L’Ojim est un des rares médias français à couvrir cette évolution inquiétante. La presse de grand de chemin est une fois de plus étrangement silencieuse.
Voir aussi : À Budapest, les censeurs sont américains et non hongrois