Le ton était donné à quelques jours des élections, alors que la présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen prévenait que la Commission aurait, le cas échéant, des instruments financiers pour ramener l’Italie endettée à la raison et qu’il s’agit des mêmes instruments que ceux utilisés en ce moment contre la Pologne et la Hongrie. C’est en Allemagne, où le leader de la gauche italienne Enrico Letta s’était rendu pour convaincre ses amis du SPD du danger que représenterait pour l’Europe une victoire de la droite avec Giorgia Meloni comme tête de proue, que l’hystérie a éclaté avec la plus grande force, sous la forme d’une couverture de l’hebdomadaire Stern sorti le 22 septembre (trois jours avant les élections italiennes) qui décrivait Giorgia Meloni comme « la femme la plus dangereuse d’Europe ». Le sous-titre de couverture : « La post-fasciste Giorgia Meloni peut gagner les élections avec l’aide des amis de Poutine. Cela aurait des conséquences extrêmes pour nous. »
Plus fort que les Français, les Allemands ?
Le quotidien italien de droite, Il Giornale, aura sans doute remarqué comment le terme de « fasciste » et « post-fasciste » est utilisé à tort et à travers par les médias français pour parler de Giorgia Meloni, et il a consacré un article entier aux propos tenus par la première ministre française Élisabeth Borne qui avait assuré au lendemain des élections italiennes sur BFMTV que la France et l’Union européenne seraient attentives au respect des droits humains et en particulier du droit à l’avortement en Italie.
Pour Il Giornale, et alors que la régulation de l’avortement ne relève pas des compétences de l’UE et qu’il est autorisé en Italie, Meloni assurant ne pas vouloir l’interdire tout en promettant de mieux garantir le droit des femmes à ne pas se faire avorter quand elles ne le veulent pas, y compris par des aides économiques, « la France relance déjà les fake news ».
Mais pour ce qui est de la presse allemande, Il Giornale parle carrément de « délire » dans un article du 26 septembre intitulé : « « Pauvre Italie », « Le fascisme n’a jamais pris fin ». Le délire de la presse allemande ». Stern en prend pour son grade pour sa couverture hebdomadaire, mais aussi Die Zeit, qui a justement expliqué à ses lecteurs dans son éditorial du 26 septembre que le fascisme avait toujours été là en Italie et qu’il n’est donc pas en train de revenir avec Giorgia Meloni.
Il Giornale relève encore le cas du Süddeutsche Zeitung qui a évoqué en titre le « triomphe des post-fascites », assurant que « Jamais dans l’histoire de l’UE un pays fondateur n’avait eu un gouvernement formé par l’extrême droite ».
On pourrait en citer bien d’autres encore, en plus de ceux-là et des autres évoqués par la journaliste scandalisée d’Il Giornale, mais pour des raisons de place on se contentera du journal Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ) qui a eu le mérite dans son article de Une du 26 septembre de ne pas utiliser le mot « fasciste », mais qui s’est tout de même inquiété, à l’unisson de la grande presse allemande généralement aussi monocorde sur les sujets importants que sa contrepartie française, des liens entre Fratelli d’Italia, le parti de Meloni, et d’autres partis comme le RN français et surtout l’AfD allemande. Et FAZ de citer Katharina Barley du SPD, qui est vice-présidente allemande du Parlement européen : « Giorgia Meloni sera une première ministre dont les modèles politiques sont Viktor Orbán et Donald Trump. La victoire électorale de l’alliance des partis de centre-droit en Italie est donc inquiétante, (…) La “campagne de l’Europe du bout des lèvres” de Meloni ne peut cacher le fait qu’elle représente une menace pour la coexistence constructive en Europe. »
La presse britannique plus nuancée
Face à l’hebdomadaire de gauche Stern, il est intéressant de voir le titre et l’article beaucoup plus nuancés publiés par l’hebdomadaire britannique également de gauche (au sens sociétal, c’est-à-dire libéral-libertaire, et accessoirement anti-Brexit) The Economist qui, plutôt que d’affirmer péremptoirement qu’on avait là affaire à « la femme la plus dangereuse d’Europe », demandait le même jour (le 22 septembre) : « À quel point l’Europe doit-elle avoir peur de Giorgia Meloni ? » Après avoir expliqué les craintes des libéraux et les raisons de ces craintes, The Economist rassure : les membres de Fratelli d’Italia (FdI) sont pour beaucoup des catholiques, mais Meloni n’a pas l’intention d’interdire l’avortement, et c’est la même chose pour les unions civiles ouvertes aux couples homosexuels. Sur le plan économique, cela fait longtemps qu’elle a renoncé à quitter l’euro et elle a l’intention de respecter les engagements du gouvernement Draghi pour obtenir les fonds européens du plan de relance, et en outre, « contrairement à M. Salvini et M. Berlusconi, ou même à Mme Le Pen et M. Orbán, Mme Meloni n’est pas une fan de Vladimir Poutine », etc. etc.
Bien entendu, la grande presse britannique étant plurielle, on trouve des tons plus alarmistes, par exemple dans le journal de gauche The Guardian, qui évoque dans un article publié le soir des élections les origines supposément « post-fascistes » du parti de Meloni (qui sont nettement moins évidentes que voudraient nous le faire croire les grands médias français), et qui énumère toutes les raisons de s’inquiéter de l’arrivée de Giorgia Meloni et de ses amis au pouvoir à Rome. Comme par exemple le fait que « ce mois-ci, les députés européens de Meloni ont voté contre une résolution qui condamnait la Hongrie comme étant « un régime hybride d’autocratie électorale » ».
Dans le journal « de droite » The Telegraph (pro-Brexit, libéral en économie, pro-Tories, mais très progressiste sur le plan sociétal, même s’il critique régulièrement le totalitarisme Woke et du lobby trans, notamment), un éditorial publié le lundi matin, juste après les élections en Italie, était intitulé : « L’UE paye le prix de sa subversion de la démocratie italienne ». « Meloni est détestée par les eurocrates comme Ursula von der Leyen », explique l’éditorialiste à ses lecteurs britanniques, « parce que – malgré le passé quelque peu douteux de son parti – un grand nombre d’Italiens la considèrent comme le visage acceptable de la droite. Son appel à la foi, au drapeau et à la famille résume tout ce que l’UE considère comme réactionnaire, arriéré et plébéien. »
Puis l’auteur du Telegraph enfonce le clou : « Il n’est guère surprenant que des personnalités comme Emmanuel Macron et Olaf Scholz préfèrent faire des affaires avec des élitistes comme le Premier ministre italien sortant, Mario Draghi, ancien directeur de la Banque centrale européenne, qui n’a jamais été élu. Cette élection est la première depuis 2008 où les électeurs ont réellement choisi qui allait diriger leur gouvernement. Les six derniers Premiers ministres italiens étaient tous issus d’accords en coulisse. »
La presse conservatrice se réjouit en Pologne et en Hongrie
Si les médias de gauche de Pologne et de Hongrie sonnent l’alarme comme tous les grands médias de France et d’Allemagne, les médias conservateurs – présents dans ces pays jouissant, contrairement aux idées reçues, d’un vrai pluralisme des médias – se réjouissent de la victoire de la démocratie évoquée par l’éditorialiste du Telegraph mais passée inaperçue des deux côtés du Rhin (mais pas sur les bords du Tibre, où il y a aussi un plus grand pluralisme de la presse qu’en France ou en Allemagne).
C’est ainsi que le quotidien conservateur hongrois Magyar Nemzet se félicite d’« une leçon italienne pour Bruxelles » tandis que l’hebdomadaire Mandiner remarquait au lendemain des élections italiennes que « la révolte des électeurs italiens pourraient amener un vrai changement de cap dans toute l’Europe ».
Côté polonais, on pourrait citer par exemple deux longs titres évocateurs du site conservateur wPolityce.pl car ils reflètent bien l’état d’esprit des médias conservateurs en Europe centrale, après tant d’années d’attaques bruxelloises contre les gouvernements démocratiquement élus de Pologne et de Hongrie : « La victoire du centre-droit n’est pas une victoire pour Poutine, mais plutôt une défaite pour Bruxelles. Les Italiens ont perdu confiance dans l’UE il y a déjà plus d’une décennie » et « Ce sont les défenseurs de la démocratie qui ont le plus de mal à accepter les résultats des élections italiennes. Les élites de gauche exploitent l’héritage de Staline. »
Même le président polonais, Andrzej Duda, a exprimé sa frustration dans un tweet rageur, à l’opposé des préoccupations de la première ministre française Élisabeth Borne : « Combien il faut avoir de sentiment de supériorité, d’orgueil, d’arrogance et de mépris des règles démocratiques pour dire, à propos d’élections dans un autre pays, organisées par une autre nation : “C’est la mauvaise personne qui a gagné ! Ils ont mal choisi ! Il faut attraper cet État et ce pouvoir à la gorge !”? »
Voir aussi : Élections législatives en Italie : l’AFP et la victoire du « post-fascisme »