Y a‑t-il plus inquiétant que le coronavirus ? L’Union européenne, cette herbivore dans un monde de carnivores, semble bien impuissante et est en position de spectatrice face à la crise sanitaire. Pas tout-à-fait pourtant car Ursula von der Leyden s’est découvert un ennemi encore plus dangereux pour les Européens, la Hongrie de Viktor Orbán. Revue de la presse européenne sur le sujet.
À en croire Libération, « C’est dans les crises que les caractères se révèlent, dans l’épreuve que l’on juge les gouvernants. Cela vaut pour les dirigeants démocratiques qui font en permanence l’objet de débats serrés et sévères. Cela vaut, a fortiori, pour les dirigeants populistes qu’une forte houle a portés récemment au pouvoir. Pour eux, il s’agit du premier grand test de leur aptitude, du premier grand examen concret de leur performance. Le résultat est accablant. On se doutait bien que la démagogie et le nationalisme qui leur ont valu la victoire ne les préparaient pas à l’exercice des responsabilités. On n’imaginait pas que leur faillite serait aussi immédiate et spectaculaire. » Suit une liste des dirigeants populistes dont la faillite face à la pandémie actuelle serait, selon Libération, « spectaculaire » (au contraire de celle des anti-populistes au pouvoir en France, en Italie et en Espagne ?) : Trump et Bolsonaro, qui ont trop longtemps refusé de voir venir la catastrophe (au contraire de Conte, de Sánchez et du tandem Macron-Philippe?), et aussi bien entendu les dirigeants polonais et hongrois. « À force de tricher perpétuellement avec les faits, les gouvernants populistes finissent apparemment par croire à leurs propres mensonges. La tentation de l’autoritarisme voire de l’autocratie les saisit de nouveau dans la crise et leur nationalisme les aveugle. Les deux gouvernements de l’Union européenne dirigés par les populistes l’illustrent une fois de plus. En Hongrie, Viktor Orbán se saisit de l’épidémie pour imposer le recours aux ordonnances sans limitation de temps, ce qui en somme équivaut à un article 16 permanent et presque à un consulat, le tout en contradiction flagrante avec les règles européennes. Quant à la Pologne, elle a préféré se claquemurer et s’opposer le plus possible aux mesures de solidarités européennes en débat. Égoïsme national d’abord. »
Pourtant, quoi qu’en dise Libération, en ce qui concerne la lutte contre la pandémie, la Hongrie et la Pologne, comme les autres pays du Groupe de Visegrád, s’en sortent pour le moment beaucoup mieux que la France, l’Italie et l’Espagne, et ce avec des mesures moins strictes de confinement et donc des restrictions moins pesantes des libertés individuelles.
En revanche, l’autre accusation de Libération mérite que l’on se penche dessus car elle était présente dans bien d’autres médias européens, y compris dans ceux de ces trois pays qui sont en Europe les plus gravement affectés par la propagation du coronavirus : « En Hongrie, Viktor Orbán se saisit de l’épidémie pour imposer le recours aux ordonnances sans limitation de temps, ce qui en somme équivaut à un article 16 permanent et presque à un consulat, le tout en contradiction flagrante avec les règles européennes ».
Dans un autre article intitulé « En plein coronavirus, Viktor Orbán s’attribue les pleins pouvoirs en Hongrie » et publié le 30 mars, Libération, sous la plume de sa correspondante Florence La Bruyère, écrit par ailleurs :
« En plein coronavirus, Viktor Orbán s’attribue les pleins pouvoirs en Hongrie. Un mystérieux virus ravage la planète. Sous prétexte de protéger son pays, le dirigeant d’une petite nation fait parader des blindés dans la capitale, nomme des militaires à la direction logistique des hôpitaux et s’octroie les pleins pouvoirs pour une durée illimitée. Le tournage d’une nouvelle fiction ? Non, ça se passe en ce moment même, en plein cœur de l’Europe, en Hongrie. Lundi, le Premier ministre souverainiste Viktor Orbán a fait voter par sa majorité de droite nationaliste une loi prolongeant l’état d’urgence sanitaire instauré le 11 mars. Le gouvernement pourra légiférer sur tous les sujets par décret, suspendre les élections et déroger à n’importe quelle loi… pour une période indéfinie. »
Le Figaro, s’il n’adopte pas ce ton apocalyptique, parlait quant à lui le 1er avril d’un « nouvel avertissement pour le premier ministre hongrois, Viktor Orbán, qui a fait voter lundi une loi lui donnant les pleins pouvoirs sans limitation de durée. »
« Dans une déclaration commune, treize pays de l’UE, mettent en garde la Hongrie tout en se gardant bien d’écrire son nom noir sur blanc. ‘Dans cette situation sans précédent, il est légitime que les États membres adoptent des mesures extraordinaires pour protéger leurs citoyens et surmonter la crise. Nous sommes toutefois profondément préoccupés par le risque de violations des principes de l’État de droit, de la démocratie et des droits fondamentaux résultant de l’adoption de certaines mesures d’urgence’, écrivent les signataires, parmi lesquels la France, l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Italie, l’Espagne, la Grèce, la Finlande et la Belgique.»
Le journal espagnol ABC, de centre-droit, évoquait lui aussi le 2 avril ce communiqué des « gouvernements d’Allemagne, de Belgique, du Danemark, de Finlande, de France, de Grèce, d’Irlande, d’Italie, du Luxembourg, de Hollande, d’Espagne, du Portugal et de Suède », dans lequel ils se disent « profondément préoccupés ». Mais, fait remarquer ABC, « s’ils affirment qu’il est ‘légitime’ de faire front avec des mesures exceptionnelles face à cette ‘situation sans précédent’ et s’ils ne mentionnent pas directement Viktor Orbán, on comprend qu’ils se réfèrent à ce qui vient d’être approuvé par le parlement de Budapest et ils parlent ‘du risque de violation des principes de l’État de droit, de la démocratie et des droits fondamentaux’ ». Dans un autre article publié le 31 mars, ABC explique le problème à ses lecteurs : la loi d’exception hongroise «va beaucoup plus loin que les mesures sanitaires ou de confinement. Elle permettra au premier ministre hongrois de gouverner par décrets, sans contrôle parlementaire, de faire taire les médias et de prolonger l’état d’urgence pendant cinq ans. Ce sont des mesures qui instaurent dans la pratique un régime à caractère dictatorial.»
Le journal italien de gauche La Repubblica a choisi d’interroger l’ancien premier ministre socialiste hongrois (de 2004 à 2009) Ferenc Gyurcsány, ex-cadre des jeunesses communistes devenu oligarque après le passage à l’économie de marché, qui s’était distingué par la violence des répressions contre les grosses manifestations populaires de 2006 (des répressions dont les médias européens n’avaient que très peu parlé), en reprenant en titre la citation suivante tirée de l’entretien avec Gyurcsány : « Orbán veut gouverner comme un militaire. Nous sommes dans un état de guerre ».
Le journal italien de droite Il Giornale, dans un éditorial publié le 1er avril, est quant à lui très méfiant face aux accusations de dictature portées à l’encontre du dirigeant hongrois :
« Les mêmes journaux et les mêmes politiciens qui accusent Orbán aujourd’hui sont, dans bien des cas, ceux qui qualifiaient de dictateur un grand ami du premier ministre hongrois, Silvio Berlusconi, qui a été comparé dans le passé non seulement à Mussolini mais aussi à Kadhafi, à Hitler et même aux despotes communistes ».
Il Giornale énumère ensuite les trois conditions qui permettent de parler de dictature – l’absence d’élections libres, la concentration des pouvoirs entre les mains d’une seule personne ou d’un seul organe de pouvoir, et la violence politique contre les opposants – pour constater qu’aucune de ces conditions n’est remplie aujourd’hui en Hongrie. Et le journal italien d’évoquer l’éditorial du quotidien hongrois Nepszava, « le plus proche des sociaux-démocrates dans l’opposition, qui faisait l’éloge de Conte. Ce même Conte qui a recouru aux pleins pouvoirs avant de convoquer le parlement et non pas après, comme l’a fait Orbán ».
Marta Pardavi, coprésidente du Comité Helsinki en Hongrie, une ONG spécialisée sur les droits de l’homme (et cofinancée par l’Open Society Foundations de George Soros), explique le vrai problème aux lecteurs français du Figaro : « Ce que cette loi dit, c’est que toute action gouvernementale doit avoir un rapport avec la crise ou ses conséquences. Pour rester constitutionnelle, celle-ci doit être nécessaire et proportionnelle. Mais pour s’assurer qu’elle le reste bien, il faudrait un contrôle, du Parlement par exemple, ce qui ne se produira sans doute pas, étant donné la répartition des forces politiques. »
En Hongrie, la coalition gouvernementale formée par le Fidesz avec ses alliés chrétiens-démocrates (KDNP) détient une majorité des deux tiers qui lui permet de voter n’importe quelle loi et même de changer la constitution, si elle le désirait. « Par conséquent », explique le média spécialisé dans l’actualité d’Europe centrale Visegrád Post dans un article intitulé « Non, Viktor Orbán n’a pas instauré la dictature en Hongrie », le gouvernement hongrois « ne disposait déjà d’aucune entrave parlementaire à tout projet législatif qu’il aurait voulu voir entrer en vigueur. Cela se passe ainsi car les électeurs hongrois l’ont voulu (en 2018, le parti d’Orbán a obtenu 49% des suffrages, tandis que le premier parti d’opposition culminait à 19%). » Le Visegrád Post précise encore que, en donnant au gouvernement le pouvoir de gouverner par décrets pour toute la durée de l’épidémie (mais uniquement dans le domaine concerné par la lutte contre l’épidémie), « les dirigeants hongrois ont activé l’article 53 de la Constitution » et que « en comparaison, l’article 16 de la Constitution française instaurant les pouvoirs exceptionnels est beaucoup plus étendu que l’article 53 de la Constitution hongroise relatif à l’état de danger. »
La pseudo menace de dictature en Hongrie semble être en toutes circonstances une excuse bien utile des grands médias d’Europe occidentale pour ne pas s’intéresser de trop près aux manquements dont se rendent coupables les dirigeants dans leur propre pays. Laissons donc le mot de la fin au Visegrád Post : « Les centaines de Français Gilets Jaunes éborgnés et mutilés par la police aux ordres de Macron ? Le maintien criminel (déjà plusieurs morts parmi ceux qui ont tenu les bureaux de vote !) des élections municipales françaises en pleine pandémie ? Le tri tragique des patients à l’hôpital en fonction de leur âge en raison de l’insuffisance de lits ou de respirateurs ? Tout cela est sans importance, ce qui menace l’Europe c’est Viktor Orbán ! »
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