Le 12 mars 2018, le lycée Utrillo de Stains, dans « le 9–3 », a connu une journée encore plus violente que d’habitude : Qu’en disent les médias français ? Et que taisent-ils ?
La majeure partie des médias, avec plus ou moins de retard, de quelques jours à trois semaines (l’action ne se déroule pas sur un campus américain ou à Moscou), raconte les événements. Ainsi, Franceinfo, le 9 avril (trois semaines pour réagir) : « Le 12 mars, trois jeunes cagoulés se présentent à l’heure de la récrée et agressent un lycéen ». Suis un témoignage indiquant que le lycéen agressé a été « frappé à coups de marteau ». Puis : « À l’origine de cette violence, des règlements de comptes entre bandes rivales. Les parents d’élèves, très inquiets, redoutent le pire. “C’est très très grave ce qu’il se passe, et j’aimerais que les pouvoirs publics fassent le nécessaire”, explique ce parent d’élève. Épuisés, les assistants d’éducation sont tous en arrêt maladie depuis vendredi. Pour cette prof’ d’histoire-géographie, le lycée n’est plus un lieu où les élèves peuvent venir étudier en toute sécurité : “On dit toujours que le dernier sanctuaire, pour ces territoires abandonnés (sic) comme la Seine-Saint-Denis, c’est l’école, et que là on était le dernier bastion et on est en train de s’effondrer, c’est en train de s’aggraver sur tout le département”. »
Bandes rivales
Il y a donc des « bandes rivales » qui s’affrontent à Stains, Seine Saint Denis, aux portes de Paris, capitale de la France, première destination touristique du monde. C’est pour situer. Ce même jour, un reportage de France 2 montre des agents envoyés par le rectorat « assurant la sécurité des lycéens » (toujours aux portes de Paris) « suite aux incidents graves survenus sur le parvis du lycée depuis un mois ». La temporalité médiatique est parfois étrange, concernant le 9cube alias 93 et sa violence dans les lycées, ainsi que le montre un article pris au hasard d’un moteur de recherche : violences au Lycée Suger.
Les images de France 2 sont frappantes : outre le surveillant de l’entrée du lycée, toutes les personnes visibles sur les images, bien que floutées, sont à l’évidence d’origine plus ou moins lointaine, non européenne. Sauf une, dont le papa est le seul témoin interrogé par le journaliste. France 2 donne ainsi la parole aux minorités. Les journalistes pouvaient aussi interroger l’une ou l’autre des jeunes lycéennes, visibles à 1’39, à l’entrée du lycée, jeunes femmes qui portent toutes un voile plus ou moins proche du voile intégral. Aucun des deux médias n’évoque cela, pas plus que n’est évoquée l’évidente origine extra européenne de 99 % des personnes visibles (sauf le témoin choisi, donc). Les personnes impliquées sont des « jeunes », des « lycéens ». Du reste, pour LCI ce sont des « rivalités de cités », la chaîne précise qu’il y a eu une autre agression, cette fois « au hachoir ».
Petite revue de la presse papier
Le Monde qui évoque Gaza, madame Mandela et la ZAD de NDDL, la SNCF, la Ligue des Champions, les méchants Poutine, Trump etc, fin mars et début avril semble avoir ses bureaux situés trop loin de Stains pour enquêter, ou simplement informer. Sans doute cela évolue-t-il les jours suivants ? Pas vraiment. Stains n’intéresse pas Le Monde. Enfin, pas vraiment, sauf dans sa rubrique… « éducation », le 6 avril, trois semaines après les faits, et parce que le 3 avril ont eu lieu d’autres agressions. Le quotidien reprend les mêmes informations que ses confrères, ajoutant cependant qu’il y a aussi eu une agression « à l’arme à feu ». Un passage évocateur de l’article : au sujet d’un conseil convoqué par le recteur, « Une manière de montrer que l’Éducation nationale prend la mesure du problème, tout en rappelant les limites de sa compétence : les agressions survenues sur le parvis relèvent de la sécurité sur la voie publique, et sortent donc de ses prérogatives ». Le Monde indique donc que ce qu’il propose dans ses pages « éducation » relève non pas de l’éducation mais de la sécurité sur la voie publique. Toujours pas un mot sur l’ambiance « ethnique » qui doit pourtant bien régner devant le lycée de Stains puisque le téléspectateur de TF1 a des yeux pour voir. Le Figaro raconte les mêmes violences, évoque le fait que les enseignants exercent leur droit de retrait et donne la parole à la Conseillère d’Éducation, de même que France Inter.
Le profil des élèves ? Pas de profil. Des élèves. Tous les élèves sont les mêmes élèves et tous les « jeunes » sont les mêmes jeunes. C’est la République. Par ailleurs, sur son site, Le Figaro nous apprend que le lycée Utrillo de Stains obtient 85 % de réussite au baccalauréat, avec une pointe à 92 % en STMG et 87 % en L. Un lycée brillant, dans un département brillant, avec des « jeunes » à la pointe concernant la littérature française classique (« L », c’est la série littéraire). Le lycée n’est pourtant classé que 1596e en France. Il y a donc sur le territoire des lycées qui obtiennent de meilleurs résultats que celui de Stains.
Armes de poing et affrontements
Libération consacre plus de place aux informations concernant le lycée Utrillo de Stains : « Il est 7h50, mardi. Les élèves se pressent sur le parvis du lycée Maurice-Utrillo à Stains (Seine-Saint-Denis). Des individus cagoulés passent en voiture et braquent ce qui semble être une arme de poing vers un des élèves, qui se réfugie dans le lycée. Cette scène ahurissante n’est pas inhabituelle devant l’établissement. Le même jour, à 13h30, un élève est agressé par un membre d’un groupe, armé d’un hachoir. Ces affrontements de bandes rivales, venues de cités alentour, rappellent un épisode encore plus grave. Le 12 mars, toujours sur ce parvis, un élève de première a fini à l’hôpital après avoir été frappé à coups de marteau sur le crâne ». La parole est donnée aux enseignants qui expliquent le stress, la peur, la « difficulté de faire cours » (pourtant, les résultats montrent que ce lycée est une « chance » pour le département, pour le pays c’est à voir). Une surveillante : « l’autre jour un petit se faisait taper avec une barre de fer. On n’est pas à l’abri de prendre un coup de machette ». La machette, cet outil traditionnel (ailleurs) parfois utilisé comme arme, dont l’usage est attesté en France, pour l’une ou l’autre occupation, tuer ou travailler, depuis… depuis quand ? Les Mérovingiens ? Clovis ? L’époque romaine ?
Les identités de Francetv éducation
Sans doute un reportage de Francetv éducation donnera-t-il prochainement la réponse. Le journal parle cependant d’identité, le mot est même écrit en toutes lettres : « identité ». L’information va donc s’éclairer ? Que nenni ! C’est une « identité territoriale », une identité de « cités ». Un mois après les événements, le quotidien chrétien La Croix évoque le drame, sans utiliser ce mot, car bien qu’aucun quotidien n’emploie un vocabulaire de ce registre, l’usage d’un marteau, d’un hachoir ou d’armes à feu à la sortie ou dans un lycée est un drame, en tout cas c’en est un chaque fois que cela se produit dans un autre pays que la Seine Saint Denis, pardon que la France, Aux Etats-Unis par exemple. Outre Atlantique, la presse papier n’hésite jamais à en parler, il y a de nombreux « drames » et de nombreuses « tragédies » liés à l’usage d’armes de diverses natures, et très souvent, signale cette même presse, les victimes sont noires et les coupables blancs. La Croix signale qu’un lycée de Toulouse a lui aussi connu « de graves violences » (pas de drame) et que le « phénomène » (qui n’est pas une tragédie) est « difficile à endiguer », sans néanmoins aller jusqu’à promouvoir l’interdiction des machettes dans les cités. Le quotidien chrétien donne la parole à un proviseur qui explique avoir pris conscience de ces violences après les attentats de New York de 2001, quand des élèves n’ont pas fait de minute de silence, « indiquant qu’ils préféraient penser à d’autres victimes, en particulier les palestiniens ». ! Pas un mot de plus.
La solution par la BD en résidence
Ainsi vont les médias officiels français, la tonalité est partout identique. Pourtant, les solutions existent et La Croix en propose, en donnant la parole à un chercheur du CNRS spécialisé dans la délinquance (il y a donc des chercheurs payés pour étudier la délinquance en France) : « Il serait pertinent de modifier la répartition socio-économique des élèves, en faisant évoluer la carte scolaire ». Il y a cependant d’autres pistes, dont certaines sont déjà en cours. Ainsi, le lycée Utrillo de Stains accueille déjà un auteur de bandes dessinées en résidence pour « approfondir le débat engagé au sujet du sexisme ». La bande dessinée, une arme à méditer. Le sexisme, ce grand ennemi du lycée Utrillo de Stains, dans le 9–3 alias 9cube , près de Paris, ex-France, à l’ombre de la Cathédrale des rois.