Mercredi 12 février 2020, une conférence sur le thème du courage en politique était organisée à Toulouse. Le maire de Béziers Robert Ménard et l’essayiste François Bousquet devaient l’animer. Cette réunion publique a été fortement perturbée par des militants d’extrême gauche. Les violences commises à cette occasion viennent après d’autres, qui illustrent un recul de la liberté d’expression en France. La réaction des médias de grand chemin a été particulièrement atone à ce sujet.
La couverture par la presse locale, renversement accusatoire
La Dépêche retient que « la conférence de Robert Ménard (a été) perturbée à Toulouse » et que « la société de location va porter plainte ». En lisant l’article, on en retient que l’action violente des « militants antifascistes » (traduire : les casseurs) est au moins aussi choquante que les propos (« on est chez nous ») tenus par certains participants une fois libérés de la salle de réunion par la police. On apprend également que la société qui gère la salle louée pour l’occasion s’estime « dupée sur l’identité des organisateurs ». « Notre avocat est en train de rédiger une plainte », affirme un de ses représentants en conclusion. L’attaque des militants d’extrême gauche est présentée par le journaliste sur un mode impersonnel : « la conférence a été perturbée », sans que l’on sache qui a causé les troubles. En lisant l’article, les fautifs semblent être autant ceux qui ont voulu empêcher la réunion par la violence que ses organisateurs. C’est ce que l’on appelle un beau renversement accusatoire.
Le Midi Libre titre sur « les antifascistes s’invitent à la conférence de Robert Ménard ». On pourrait presque se réjouir de cette ouverture d’esprit. Il faut lire l’article pour apprendre qu’en fait d’invitation, « ils ont tenté d’interrompre l’événement ». Malgré l’information sur des jets de projectiles (poubelles et chaises de commerces voisins) sur le personnel de sécurité, l’article est neutre et ne comporte aucune forme de réprobation.
Ouest-France nous informe qu’à Toulouse, « des affrontements éclatent avant une conférence avec Robert Ménard, qui annule sa venue ». On croirait lire un bulletin météo : les « affrontements » éclatent comme un orage, comme un phénomène naturel. Si on apprend que « des heurts ont éclaté sur place avec des militants d’extrême gauche venus perturber l’événement », l’euphémisation de la violence est manifeste : on ne peut que saluer les prouesses du journaliste pour éviter de nommer sans équivoque les agresseurs et les agressés et ne pas employer la forme active qui serait sans nul doute trop agressive pour les lecteurs du quotidien.
La couverture par les médias nationaux, discrétion ou « face à face »
Les médias nationaux de grand chemin sont très discrets sur cet événement. Il faut lire ceux qui ont une ligne éditoriale qui échappe au politiquement correct pour être informé de la teneur exacte des événements.
Valeurs actuelles fait exception et met les pieds dans le plat en titrant : « Des antifas tentent violemment d’empêcher une conférence de Robert Ménard ». Un sujet (les antifas), un verbe qui précise le caractère violent de leur action, un complément pour préciser l’événement. L’explication donnée à ces violences est présentée dès le début de l’article : il s’agissait d’empêcher le maire de Béziers et l’essayiste François Bousquet de s’exprimer.
L’Incorrect parle d’une « attaque d’une conférence de Robert Ménard et de François Bousquet » et l’illustre par une photo d’une scène d’émeute urbaine avec un début d’incendie. Le magazine qualifie l’action du « groupe d’activistes de la gauche radicale » d’« attaque très violente ». On est loin de la couverture des médias locaux dont il ressort tout au plus quelques feux de poubelle et des jets de chaises. « Auriez-vous le malheur de vous défendre que la presse Baylet et le groupe France 3 Occitanie feraient de vous leur agresseur ». L’Incorrect rappelle l’incroyable complaisance de France 3 vis-à-vis des antifas à l’occasion d’un reportage sur ces milices qui « surveillent et s’informent sur les groupes d’extrême droite toulousains ». Présenté de cette façon, on serait presque rassurés de ce rôle de vigie… Le magazine est bien seul à rappeler les récentes exactions des antifas à Toulouse : manifestation contre une crèche vivante à Noël, agression de militants du Rassemblement national sur une place de la ville, actions violentes lors des manifestations.
La palme de l’euphémisation revient à France 3 Occitanie : les violences à l’encontre des agents de sécurité sont des « incidents » et l’agression des antifas n’est plus finalement qu’un « face à face entre militants antifascistes et membres d’extrême droite ». Plus d’agresseurs ni d’agressés, mais un « face à face » qui opposerait des militants radicaux. Le choix des mots a encore une fois toute son importance : les militants « antifascistes » sont censés défendre une cause noble, la lutte contre le totalitarisme, tandis que le terme de « membres d’extrême droite » évoque un extrémisme dangereux. Le point Godwin est presque atteint. Encore un effort, camarade journaliste ! Sans surprise, Robert Ménard est qualifié de « maire d’extrême droite ». On apprend en conclusion de l’article que cette action s’inscrit dans le cadre d’une « guerre contre les groupuscules d’extrême droite qui font leur réapparition dans la ville rose ». France 3 donne toutefois la parole à Robert Ménard qui mentionne des précédents avec Alain Finkielkraut et Sylviane Agacinski. Ce qui nous amène, en l’absence d’informations plus complètes à ce sujet dans les médias de grand chemin, à inscrire ces événements dans un contexte plus large.
De nombreux précédents
Il y a près d’un an, l’OJIM consacrait un article au recul de la liberté d’expression, avec des censures plus ou moins assumées d’intellectuels « déviants ». Ces derniers mois, plusieurs événements montrent que la restriction de la liberté d’expression a monté d’un cran : outre des annulations de conférences, il s’agit désormais également d’actions violentes de la part des très mal nommés « antifas ». La liste dont font état, toujours ponctuellement, les médias est longue :
- une pièce de théâtre d’Eschyle empêchée à la Sorbonne en mars 2019,
- une conférence de Sylviane Agacinski sur le Procréation Médicalement Assistée (PMA) annulée en octobre à Bordeaux,
- la Nouvelle librairie à Paris une nouvelle fois attaquée en octobre par des « nervis d’extrême gauche »,
- un séminaire animé par Mohamed Sifaoui sur la prévention de la radicalisation qui devait avoir lieu à la Sorbonne en octobre suspendu sous la pression de syndicats étudiants,
- une conférence de François Hollande perturbée en novembre à l’université de Lille 2 et ses livres arrachés,
- une réunion le 27 novembre d’une association à Rennes où des étudiants sont agressés par des militants d’extrême gauche dans un bar et un participant brûlé à l’acide,
- une crèche vivante à Toulouse que des « injures et des bousculades » ont contraints d’interrompre en décembre,
- un bus de pèlerins attaqué à Pontmain (Mayenne) en janvier 2020 par plusieurs individus cagoulés qui croyaient que celui-ci se rendait à la manifestation contre la PMA,
- un candidat du Rassemblement national agressé le 9 janvier 2020 encore à Toulouse, sur un marché.
Si cette liste non exhaustive est déjà longue, elle s’ajoute aux violences quasi systématiques des antifas à l’occasion de manifestations dans les grandes villes. Une réalité dont l’OJIM avait évoqué en novembre l’étrange impunité policière et la plus que discrète couverture journalistique. Dans ces conditions, comme l’évoque François Bousquet interviewé après les événements, c’est un « un sentiment d’impunité » qui s’installe face à des violences prévisibles, quasiment annoncées dans les réseaux sociaux. Mathieu Bock-Côté analyse de façon éclairante dans un billet paru dans le Figaro du 15 février la violence des « antifas ». Il pointe la menace pour la démocratie que constituent ces « milices idéologiquement intoxiquées qui se donnent le droit de perturber la vie sociale et d’agresser physiquement ceux qui ont le mauvais gout de les contredire ». Mathieu Bock-Côté, François Bousquet, ils sont bien rares ceux qui dénoncent l’étrange « mansuétude journalistique » vis-à-vis de ces agressions à répétition.