Les médias ne sont pas seulement constitués des radios, télévisions, sites, blogs, journaux etc. Le cinéma comme l’édition sont des outils médiatiques. Et à ce titre participent de la censure, du politiquement correct et de la mode woke comme l’indique la tribune libre d’Olivier Delavault que nous publions et où il relate son expérience d’éditeur, spécialiste des Indiens des Amériques. Certains intertitres sont de notre rédaction. Seconde partie.
Voir aussi : Wokisme et censure dans l’édition. Première partie
Désinformation historique, servilité culturelle, médiatique
D’une manière générale, presque tous les livres de la collection sont des œuvres enracinées comme les peuples dont il est question. Livre enraciné signifie ici livre « premier-matriciel » à partir duquel de nombreux travaux ultérieurs ont pu voir le jour. Ce qui est arrivé à plus de 70 % des livres de la collection « Nuage rouge » est, dès 1999–2000, une suite de censure par le silence de la presse ou de désinformation dans la plupart des articles. Par exemple, la biographie de Sitting Bull de Stanley Vestal (« Nuage rouge » 1992) publiée aux États-Unis en 1932, outre qu’elle fut la première biographie d’un chef indien, est la première du chef sioux lakota-hunkpapa de notre période « moderne ». Le livre de Vestal est l’ouvrage « matriciel » sur Sitting Bull au sens où historiens et biographes américains y puisent toujours même en apportant, et encore, de nouvelles informations. Dès 1926, seuls les Sioux qui ont connu Sitting Bull, dont ses deux neveux White Bull et One Bull, ont pu donner à Stanley Vestal les moyens de finaliser correctement à leurs yeux cette biographie, la biographie mère, historique et de terrain, après laquelle bien d’autres, jusqu’à nos jours, ont pu exister ainsi de la biographie de Robert M. Utley en 1993 qui reconnaît que, sans le Vestal, rien ne lui aurait été possible ; traduit en,1997 dans « la collection d’en face… le livre se trouve amputé des sources citant le Vestal…
Hors du sérail point de salut
Pourtant, il y a quelques années, la libraire en chef du Musée du Quai Branly me faisait savoir avec morgue et condescendance que la librairie ne pouvait prendre le Vestal car il fallait analyser sa crédibilité. Cela ne l’empêchait pas de prendre « les sous livres-copieurs » sans « les analyser, les vérifier », des livres d’auteurs français péniblement décalqués du livre fondateur de Vestal, sans le citer. Dans la même période, un libraire d’une Fnac auprès de qui j’osai… m’étonner qu’aucun livre du grand anthropologue William K. Powers — qui est avec Raymond J. DeMallie (publié aussi dans « Nuage rouge » avec Black Elk et la Grande Vision. Le Sixième Grand-Père, préface à l’édition française de J.M.G. Le Clézio, aux Sioux lakotas ce que Jean Malaurie est aux Inuit -, me rétorqua véhémentement : « Nous ne prenons pas ici cet auteur. » En l’informant que la présentation à l’édition française du livre était de Claude Lévi Strauss suite à leurs travaux communs au Collège de France je compris vite, bien sûr qu’il ne connaissait pas le livre, mais aussi la plupart des livres qu’il vendait. Mal élevé, il se détourna, autant vexé que furieux. Ce profil de libraire ne peut admettre qualité et crédibilité d’un livre publié au Rocher.
Ainsi en 2004, quand cet éditeur racheta la maison d’édition Le Serpent à Plumes, cela provoqua une quasi-émeute au Salon du Livre de Paris. En effet, comment une maison « hors du sérail… » comme le Rocher a‑t-elle pu commettre le sacrilège de racheter cette si belle et « bien-pensante » maison qu’est le Serpent à Plumes ; aussi ses auteurs les plus marqués et actifs politiquement refusèrent d’intégrer le catalogue du Rocher. Comme c’était beau ces « courageux-résistants-en-lutte-et-ouverts-à‑l’Autre… ! » Dans la même période, une librairie assez importante de la rue des Écoles (aujourd’hui fermée depuis au moins 5 ans) m’avait interpellé en ces termes : « Si tu veux voir tes Indiens dans notre librairie, change de crémerie ! » Sans oublier des agentes littéraires bien sous tout rapport sociétal… qui me détournent, pour réédition, des livres que j’ai découverts et publiés, au profit d’éditeurs considérés comme « fréquentables ». Quelle mafia !
Voir aussi : Autodafés au Canada, le wokisme fait détruire 5000 livres
Copies et sous-copies
En résumé sur l’Amérique indienne : sur quasiment tout le territoire français les librairies, et de plus en plus les Fnacs, les Grands Magasins et autres centres culturels consciemment ou non, préfèrent les copies, ces sous-livres souvent bourrées d’erreurs de toute nature et de tout niveau du moment que l’ouvrage n’est pas dans « Nuage rouge », à un véritable original « matriciel », dûment relu, annoté, vérifié du simple fait qu’il est au Rocher. Les auteurs français sur le sujet ne citent que très rarement leurs sources lorsqu’il s’agit d’un livre traduit dans « Nuage rouge » dont l’existence les insupportent tant à leurs yeux la collection est illégitime car en dehors du « sérail… » Idem pour les journalistes : c’est soit le silence de plomb, soit quelques lignes pour habilement, décrédibiliser. En 30 ans, la collection a publié des auteurs français hors norme ainsi de Daniel Dubois, reconnu comme un « Grand » sur le sujet dans le monde entier, sauf en France…, qui écrivit avec Yves Berger Les Indiens des Plaines, et en 1992 Jean Cazeneuve, de l’Institut, et premier P.D.G. de T.F. 1. en 1975. J’ai donc fait signer un contrat à mon ancien patron pour la réédition de son ouvrage sur les Indiens zunis du Nouveau-Mexique intitulé Les dieux dansent à Cibola : le Shalako des Indiens zunis, livre publié une première fois en 1957 chez Gallimard dans la collection « L’espèce humaine », créée et dirigée par le fondateur du Musée de L’Homme, Paul Rivet.
Néanmoins, l’édition me réservait quand même de bonnes rencontres. Grâce au journaliste-critique de cinéma au Parisien Éric Leguèbe – dont j’ai pu faire rééditer au Rocher le livre Histoire mondiale des Westerns – rencontré à T.F.1 quand il venait nous voir pour la documentation et les discussions passionnées sur le 7e Art avec notamment le regretté gardien d’une caverne d’Ali Baba cinématographique et télévisuelle Philippe Ferrari, et mon patron et ami Jean-Claude Albert-Weil que j’ai eu le plaisir non dissimulé de pouvoir faire publier au Rocher son roman uchronique Sont les Oiseaux… premier prix du roman de la Société des Gens de Lettres en 1997 et qui rameuta autour de lui tous les Céliniens de France et de Belgique, j’ai fait connaissance de Christian Durante qui travailla avec Éric Zemmour au Quotidien de Paris. Durante œuvra également aux côtés de Louis Pauwels au Figaro-Magazine, enchaîna comme éditeur indépendant pour entrer par la suite dans la « Big Box de la com’ » savoir Image 7 avant, désormais, de collaborer à l’ISSEP de Marion Maréchal.
Pour conclure, si tant est que c’est « idiot » comme le clamait si bien Flaubert…, la présence permanente de « Nuage rouge » en dépit des nombreuses tentatives de rendre invisible cette collection, agace. Sa résistance aux incessants coups de boutoirs pourrait suffire à lui conférer un caractère d’authenticité héroïque dans l’ensemble de la séquence allant de 1991 à nos jours. Il n’est point toléré que « Nuage rouge » croise avec une évidente habileté, un manifeste savoir, les thématiques majeures des champs d’investigation éditoriale, à savoir la littérature indienne contemporaine, l’ethnographie, l’anthropologie sociale et religieuse, l’ethno-histoire, les romans historiques. Pour mes illustres et courageux contempteurs, il s’agit depuis trente ans de démontrer que « Nuage rouge » est dépourvu de toute valeur spécifique. Oui, la configuration, la topographie des territoires traditionnels et les instances de la collection hystérisent au plus au point le « camp adverse » : le camp du Bien…
Olivier Delavault
www.nuagerouge.com
Olivier Delavault est l’auteur de nombreux livres, entre autres :
- Avec Guy Floriant, Jacques Brel. L’inaccessible étoile, éditions du Rocher, 2003
- Dictionnaire des chansons de Claude François, Durante Editeur, 2003 ; rééditions augmentées :
- Télémaque, 2008
- Guy Trédaniel, 2013, préface d’Alain Chamfort.
- Geronimo, Folio/Biographies, Gallimard 2007
- Jacques Brel, le dégoût essentiel, éditions Télémaque, 2015
- Claude François. L’intégrale des adaptations, Guy Trédaniel, 2018