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Xavier Niel, écrivain et rebelle

13 octobre 2024

Temps de lecture : 5 minutes
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Xavier Niel, écrivain et rebelle

Temps de lecture : 5 minutes

L’homme du mois de septembre 2024 est sans conteste Xavier Niel. Entre un spectacle à l’Olympia et la publication de son livre d’entretien avec Jean-Louis Missika intitulé Une sacrée envie de foutre le bordel, le patron de Free est sur tous les fronts. Disponible en librairie depuis le 25 septembre 2024, l’OJIM a parcouru ce livre attendu.

Un faux combat contre le « système »

Dès l’introduction, Jean-Louis Mis­si­ka – vice-prési­dent d’Ili­ad, (rien à voir avec l’Institut Ili­ade ndlr) une société créée par Xavier Niel, cet ancien adjoint PS à la mairie de Paris – brosse le por­trait de celui qu’il va inter­roger. De son pas­sage en prison à la créa­tion de Free, du mini­tel rose aux din­ers avec Jeff Bezos, ce por­trait évoque l’archétype du « self-made man à la française[1] ».

Au cours des quelques 250 pages de l’ouvrage tran­spire cette impres­sion que la vie de Xavier Niel se résume à un com­bat qu’il aurait mené face au « sys­tème ». Qu’il s’agisse de son com­bat con­tre le sys­tème médi­a­tique, poli­tique – lorsqu’il a obtenu la pos­si­bil­ité de devenir le qua­trième opéra­teur sur le marché durant le man­dat de Nico­las Sarkozy –, ou judi­ci­aire – lors de son incar­céra­tion en 2004 –, Niel est tou­jours vic­time de son côté décalé.

Une malheureuse victime

Une ques­tion revient sou­vent dans la bouche de Mis­si­ka : « c’est tout ? ». Cette inter­ro­ga­tion anodine revient lorsque Niel évoque cer­tains de ses déboires, comme les accu­sa­tions à son encon­tre dans la presse, son séjour en prison, ses rela­tions avec cer­tains de ses con­cur­rents ou encore son impli­ca­tion con­crète dans les médias qu’il pos­sède. Dans son réc­it, Niel tend à sim­pli­fi­er énor­mé­ment les choses, pour finale­ment presque tou­jours appa­raître comme la vic­time du système.

Comment nier le réel

Au-delà du par­cours de Xavier Niel, le livre regorge aus­si de pris­es de posi­tion sur cer­tains sujets. Dans le pre­mier chapitre, Niel revient sur son enfance à Créteil. Une enfance heureuse dans un quarti­er aujourd’hui gan­gréné par la drogue. Dans ce pas­sage, le patron de Free évoque une « inté­gra­tion dans la douleur[2] ». Il peint égale­ment ses années col­lège, où il voit défil­er des armes, du porno et des couteaux. Or, plutôt que d’admettre que les prob­lèmes qu’il a ren­con­trés se sont aujourd’hui aggravés, comme l’illustrent les émeutes de juin 2023 qui ont atteint, entre bien d’autres, le quarti­er dans lequel il a gran­di, il pointe du doigt des médias comme CNews qui extrapo­lent ces événe­ments. Pour Xavier Niel, il n’y a pas plus d’attaques au couteau que dans les années 70.

Une pincée de politiquement correct

Cette pique con­tre l’extrême-droite est la pre­mière d’une série. Lorsqu’il évoque son grand-père sym­pa­thisant de Jean-Marie Le Pen et lecteur de Minute, il déclare qu’« il ne vieil­lis­sait pas bien[3] ». Vin­cent Bol­loré est égale­ment vic­time de quelques attaques venant de Jean-Louis Mis­si­ka, qui désigne Bol­loré comme un homme opposé à l’indépendance de la presse.

Des coups de griffe contre les concurrents de Free

La presse est évidem­ment abor­dée dans le livre. Pro­prié­taire du Monde, Xavier Niel est devenu un acteur cen­tral de ce secteur. C’est dans le chapitre 7 que le sujet est abor­dé. Niel se livre à de mag­nifiques pirou­ettes pour nier avoir pris dans des parts de la presse pour gag­n­er en influ­ence. Il n’aborde la ques­tion que sous un angle économique, admet­tant tout de même que son incar­céra­tion a eu un rôle mineur dans son choix d’investir dans la presse. D’un côté nous avons donc Xavier Niel, qui n’interviendrait pas dans les rédac­tions qu’il con­trôle, tan­dis qu’en face se dresseraient les Drahi, Bouygues et Bol­loré qui cen­sur­eraient les médias qu’ils pos­sè­dent. Le pro­prié­taire du Monde décoche ses flèch­es dans ce chapitre, par­lant d’une inter­view par­tielle­ment cen­surée par des jour­nal­istes de BFM car dans celle-ci Niel égratig­nait SFR, pro­priété de Patrick Drahi. Il dépeint égale­ment Mar­tin Bouygues comme un homme qui l’aurait men­acé à demi-mot. Il évoque enfin un patron de presse qui désigne ses abon­nés comme des « mou­tons qu’il faut ton­dre[4] ». Dans ce chapitre, Niel cul­tive encore son image d’homme à la marge de cette caste d’hommes d’affaires, évo­quant la manière dont Bouygues le con­sid­érait comme un « romanichel ».

Enfin, Elon Musk n’échappe à sa petite cri­tique. Niel en par­le comme d’un entre­pre­neur bil­lant mais un humain moyen. Il bro­carde gen­ti­ment les extrémistes de la Sil­i­con Valley.

En résumé, Niel veut se pein­dre comme l’homme anti­sys­tème par excel­lence. Il bro­carde l’État ten­tac­u­laire qui lui a par­fois mis des bâtons dans les roues, pré­tend vouloir met­tre sa for­tune au ser­vice des autres et rompre avec les méth­odes d’antan dans les domaines tech­nologiques. Mal­gré le ton sou­vent irrévéren­cieux que se donne Niel, le livre fait usage d’une cer­taine langue de bois afin d’esquiver cer­tains sujets. Par ailleurs, l’ensemble des pris­es de posi­tion du livre sont par­faite­ment dans les codes actuels de la pen­sée dom­i­nante. Enfin, Niel ose se présen­ter comme un « self-made man » à rebours du sys­tème ; de la part du gen­dre de Bernard Arnault, la remar­que ne manque pas de saveur…

Voir aus­si : Xavier Niel, infographie

Notes

[1] Jean-Louis Mis­si­ka, Xavier Niel ; Une sacrée envie de foutre le bor­del ; Flam­mar­i­on, p.8

[2] Jean-Louis Mis­si­ka, Xavier Niel ; Une sacrée envie de foutre le bor­del ; Flam­mar­i­on, p.20

[3] Jean-Louis Mis­si­ka, Xavier Niel ; Une sacrée envie de foutre le bor­del ; Flam­mar­i­on, p.18

[4] Jean-Louis Mis­si­ka, Xavier Niel ; Une sacrée envie de foutre le bor­del ; Flam­mar­i­on, p.168