Durant la semaine du 14 au 19 juin 2021, l’actualité des médias a été marquée par une crise au sein de la rédaction d’Europe 1. Retour sur les principales données récentes de la crise.
Acte 1
Il y a du rififi à Europe 1 depuis le rachat virtuel de la radio par Vincent Bolloré et l’apparition de craintes, du côté de la rédaction, d’un rapprochement avec CNews. Une crainte avant tout politique : la majorité des membres de la rédaction d’Europe 1 voient la « méchante » droite (au minimum) partout. Ce fut déjà le cas lorsque le journaliste Louis de Raguenel quitta Valeurs actuelles pour diriger le pôle politique de la radio. La rédaction d’Europe 1 et les syndicats avaient exprimé leur crainte d’une « droitisation », si bien qu’en décembre 2020 le journaliste n’était plus que directeur adjoint du service politique.
Une AG réduite en nombre
Mercredi 16 juin 2021, une quarantaine de salariés d’Europe 1 se sont réunis en assemblée générale pour, selon Le Monde, « évoquer l’avenir de la radio ». 40 sur 204 salariés, dont une majorité de journalistes. Leur inquiétude est liée au fait que le premier actionnaire de la radio, Vincent Bolloré, imposerait ses vues : « Personne ne se fait d’illusion. Nous sommes partis sur un virage éditorial, avec la mise en place de ponts avec CNews, une chaîne ultra-conservatrice, et Canal+ [deux propriétés de Vivendi] », témoigne un journaliste présent à la réunion. « On arrive en année présidentielle. Tout cela doit être débattu. » Divers journalistes de CNews, dont Sonia Mabrouk, pourraient rejoindre Europe 1. Ce que refuse « l’assemblée générale ». Un refus de plus de pluralisme au sein de la radio, comme l’indique l’acte 2.
Acte 2
Jeudi 17 juin 2021, Le Monde publie une tribune signée par « La Société des rédacteurs et l’intersyndicale SNJ, CGT, CFTC et FO d’Europe 1 ». Son contenu est édifiant et l’introduction surprenante : « Nous vivons une époque singulière, marquée par une montée des tensions dans la société, la multiplication de « fake news », un repli identitaire certain. Un contexte qui favorise ces dernières années la cristallisation du débat politique, certains, même, n’hésitant plus à appeler à la sécession. Plus que jamais, dans ce climat de crispation, les médias ont la responsabilité de décrypter cette époque, démêler le vrai du faux, créer du lien social et de savoir faire dialoguer les uns et les autres dans le respect du pluralisme. »
Si le lecteur comprend bien, que Vincent Bolloré soit en position dominante au sein de la radio représente une menace (« montée des tensions », fake news, « repli identitaire », « sécession »). Et « le respect du pluralisme » au sein de la rédaction serait menacé. Le même collectif qui, en 2020, ne voulait pas du journaliste Louis de Raguenel, coupable d’être de « droite », se prétend menacé dans le domaine du « pluralisme ».
« Devenu premier actionnaire du Groupe Lagardère, il (Vincent Bolloré) a désormais les coudées franches pour concrétiser son projet… sans même avoir besoin de racheter la radio. La mise à l’écart de voix « maison » et leur probable remplacement par des nouveaux venus « vus sur CNews », ainsi que la méthode consistant à mettre à pied ceux qui expriment trop fort leur désaccord nous montrent que ce projet est enclenché. »
Le collectif signataire est par contre toujours resté silencieux quand les nouvelles voix provenaient de France Inter. Où le bât blesse-t-il ?
« En liant son sort à une chaîne qui s’illustre à longueur de journée par un activisme politique fortement ancré à droite, voire parfois à l’extrême droite, Europe 1 va perdre ce qui lui reste de plus précieux : son capital de crédibilité auprès des auditeurs. »
Outre le qualificatif de droite extrême, dénué de sens, les signataires ne semblent pas se rendre compte que, tout au contraire, un peu d’ouverture au pluralisme, à la droite intellectuelle et médiatique donc, pourrait sauver la station en perdition qui navigue autour de 5% d’audience contre 10% aux belles heures, mais avec les mêmes effectifs.
Acte 3
Vendredi 18 juin 2021, dans un bel enchaînement sur trois jours, avec l’aide du Monde, « La rédaction a décidé de cesser de travailler pour protester contre la mise à pied d’un journaliste, alors que les tensions se multiplient au sein de la station, sur fond de rapprochement avec la chaîne d’informations CNews. » (Le Monde).
L’Assemblée a entériné un appel à la grève par 84 voix sur 95 votes sur 204 salariés. Outre la grève, ces salariés ont réclamé l’arrêt de la procédure de licenciement lancée à l’encontre de Victor Dhollande. La directrice de la radio, Constance Benqué, leur a rétorqué qu’ils ignoraient la nature « exacte » des faits reprochés. Étant donné les tensions et les positions irréductibles se faisant face, plusieurs membres de la rédaction commencent à voir « un scénario à la i>Télé ». Un scénario où i>Télé en piètre forme et largement remaniée est devenue CNews, le challenger à succès de BFMTV. Les 84 signataires auraient-ils peur du succès ou peur d’un vrai pluralisme ?
À suivre.